Poëmes et PoésiesDentu, libraire-éditeur (p. 109-111).



LES JUNGLES.

À Louis Ménard.





Sous l’herbe haute et sèche où le naja vermeil
Dans sa spirale d’or se déroule au soleil,
La bête formidable, habitante des jungles,
S’endort, le ventre en l’air, et dilatant les ongles.

De son mufle marbré qui s’ouvre un souffle ardent
Fume ; la langue rude et rose va pendant ;
Et sur répais poitrail chaud comme une fournaise,
Passe par intervalle un frémissement d’aise.
Toute rumeur s’éteint autour de son repos :
La panthère aux aguets rampe en arquant le dos ;
Le python musculeux aux écailles d’agate,
Sous les nopals aigus glisse sa tête plate ;
Et dans l’air où son vol en cercle a flamboyé,
La cantharide vibre autour du roi rayé.
Lui, baigné par la flamme et remuant la queue,
Il dort tout un soleil sous l’immensité bloue.



Mais l’ombre en nappe noire à l’horizon descend ;
La fraîcheur de la nuit a refroidi son sang ;

Le vent passe au sommet des herbes ; il s’éveille.
Jette un morne regard au loin, et tend l’oreille.
Le désert est muet. Vers les cours d’eau cachés
Où fleurit le lotus sous les bambous penchés.
Il n’entend point bondir les daims aux jambes grêles.
Ni le troupeau léger des nocturnes gazelles.
Le frisson de la faim creuse son maigre flanc :
Hérissé, sur soi-même il tourne en grommelant ;
Contre le sol rugueux il s’étire et se traîne.
Flaire l’étroit sentier qui conduit à la plaine.
Et se levant dans l’herbe avec un bâillement,
Au travers de la nuit miaule tristement.