Librairie Antisémite (p. 27-35).


I


L’AFFAIRE ET L’ARMÉE


Les quelques jours qui nous séparent encore de l’heure où le Conseil de guerre de Rennes aura rendu son verdict, sont une occasion favorable pour analyser sous tous ses aspects la situation que la campagne Dreyfus a faite à la France.

Nos lecteurs, je l’espère, ne m’en voudront pas de rester fidèle à notre méthode ordinaire et d’examiner cette question dans un esprit philosophique, impartial et abstrait, sans craindre de blesser certains partis pris qui ont des côtés touchants.

J’estime que l’amertume salubre de la Vérité vaut mieux pour un pays comme le nôtre, qui a encore tant de forces en réserve, que les mensonges, les hypocrisies et les déclamations dont on berce l’agonie des sociétés dont la décadence est irrémédiable.


Il est incontestable que l’affaire Dreyfus a été une immense victoire pour l’Allemagne. À l’heure actuelle, la France reste la plus formidable des puissances de deuxième ordre, mais elle a évidemment descendu d’un degré. Elle ne peut espérer jouer dans les événements qui se préparent dans le monde le rôle qu’elle aurait pu avoir au mois d’octobre 1896, alors que l’Alliance russe, en admettant même qu’on s’en exagérât l’importance, nous avait tonifiés un peu, nous avait remontés à nos propres yeux et aux yeux de l’Europe.

Pour employer l’expression du baron de Stein qui, après Iéna, releva et reconstitua la Prusse, c’est une « grande machinerie militaire » qui vient de tomber en morceaux, non pas après une défaite, mais sous les coups des ennemis intérieurs, alliés à l’étranger, sous les coups des Cosmopolites et des Juifs !

Si une guerre avait éclaté en 1896, le pays aurait été convaincu que nos frères les Russes étaient prêts à voler à notre secours ; que le général de Boisdeffre, l’élève et le successeur désigné par Miribel, était, comme chef d’état-major, de la valeur de de Moltke. Il ne faisait doute pour personne, à ce moment, que grâce aux vingt-cinq milliards qui avaient été dépensés, grâce au service obligatoire pour tous, nous avions une armée incomparable.

C’était peut-être la vérité, c’était peut-être une illusion. Dans les choses de la guerre, d’ailleurs, la vérité et l’illusion sont à peu près équivalentes. Quand Murat se présentait aux portes de Vienne avec un escadron de hussards et sommait la ville de capituler, il était escorté par une force invisible qui suppléait à la force matérielle qui lui manquait ; il agissait en vertu d’une sorte de prestige magique. Quand la confiance n’y est plus, on est déjà à moitié vaincu.

Il est indiscutable que le bon état moral dans lequel nous étions il y a quelques années encore n’existe plus. Ce n’est pas impunément qu’on peut du matin au soir traiter les généraux et les officiers de misérables et de faussaires.

Si une guerre éclatait, il y aurait un sentiment de malaise qui remplacerait l’entrain que nous avions autrefois. Les uns soupçonneraient des Dreyfus et des Picquart partout ; les autres, sans même être imprégnés du venin dreyfusard, auraient une appréhension, après tout légitime, en se voyant conduits par des chefs que les attaques d’une bande de mercenaires et de Juifs ont suffi à démonter.

Créer cette impression a été le but qu’ont voulu atteindre les organisateurs du complot judéo allemand. Ils ont obtenu le résultat qu’ils désiraient, mais ce résultat, au point de vue de la destruction de la France, que les Juifs se proposent, n’a pas été aussi considérable qu’ils auraient pu l’espérer.

Il convient, je crois, de serrer la question de près et d’imiter le médecin qui, sans rien cacher des symptômes alarmants, indique également les symptômes rassurants.

Il n’y a pas de pays où l’on trouverait des êtres assez crapuleux pour aider volontairement, comme les Brisson et les Waldeck, à l’abaissement de l’armée qui défend la Patrie. Il n’y a pas un pays non plus qui serait en état de supporter, comme la France l’a fait, la crise affreuse que nous traversons depuis deux ans.

En réalité, la façon dont la France a résisté à la campagne forcenée que la Juiverie a déchaînée sur nous est le plus éclatant et le plus magnifique hommage qui puisse être rendu à la conscience avec laquelle nos officiers ont rempli ieur devoir.

Depuis 1871, des millions d’hommes ont passé par la caserne. Beaucoup d’entre eux n’avaient aucun goût, mais bien plutôt une antipathie instinctive, pour le métier militaire qui était contraire à leurs habitudes et à leur nature d’esprit. Ces hommes sont des Français de la fin du xixe siècle, c’est-à-dire des citoyens indépendants que le respect n’étouffe pas, des lecteurs de journaux. Pendant les périodes d’exercice, ils ont été dérangés dans leurs intérêts et quelques-uns, sans nul doute, ont eu de la peine à se plier aux exigences d’une discipline qui contraste avec la liberté de la vie actuelle.

Si les officiers avaient été arrogants, injustes, amoureux de leurs aises, s’ils n’avaient pas donné à leurs soldats l’exemple du dévouement et de l’acceptation de toutes les fatigues, la campagne contre l’armée entreprise avec d’aussi effroyables moyens aurait trouvé partout des adhérents.

Or, il est indéniable que le cri de Vive l’armée ! est le cri populaire, le cri populaire dans la France entière et à Paris même où l’on est plus indépendant, moins docile, plus indiscipliné que partout ailleurs.


Vous avez là-dessus le témoignage, véritablement monstrueux d’ailleurs, dans son cynisme, de cet André, le commissaire de police qui a déposé dans le procès Christiani. Ce malheureux a osé dire en plein tribunal : « On criait Vive l’armée ! d’une façon abominable » sans que le président, plus ignoble encore que le commissaire, ait eu la pudeur de répondre à ce témoin extraordinaire :

« C’est votre déposition qui est abominable ; il n’y a rien d’abominable à crier Vive l’armée !

Allez dans n’importe quel quartier de Paris ou dans n’importe quelle ville de France crier : Vive l’armée ! Dès que vous ne vous heurterez pas à une bande organisée par la Sûreté ou par la Juiverie, tout le monde reprendra : Vive l’armée !

Rien n’est plus concluant sous ce rapport que ce qui s’est passé à Longchamp où, par une ironie véritablement énorme, il a fallu pour empêcher le cri de Vive l’armée ! qui est, paraît-il, une offense mortelle pour Loubet, mobiliser une véritable armée.

Il est clair, je le répète, que si tous ceux qui ont passé par l’armée depuis trente ans, n’y avaient vu que des abus, ils ne crieraient pas de si bon cœur Vive l’Armée ! au moment où, grâce à la complicité de gouvernants qui sont des traîtres, on les convie, on les encourage, on les provoque à l’aide de toutes les excitations par la parole, par la plume, par le crayon, à crier A bas l’armée !

Il y a là, encore une fois, un symptôme très rassurant, comme une sorte de mobilisation des âmes, une manière de plébiscite en faveur de nos officiers.

L’Empereur d’Allemagne a l’âme vile, car on ne s’allie pas à la Juiverie pour bouleverser un pays, avec lequel on n’est pas en guerre, à propos d’un espion. Il passe, cependant, pour intelligent et certainement, il aura dû être frappé de cette épreuve préparatoire qui lui a montré quel était, vis-à-vis de nos officiers, le sentiment de la nation française.

Il est manifeste, néanmoins, qu’après la crise qu’elle vient de traverser, la France, au point de vue militaire, n’est point dans cette période d’enthousiasme et d’élan qui rend les peuples redoutables. Elle n’est point absolument abattue, sans doute, mais elle est visiblement détendue et peu confiante en elle-même.

Le fait s’explique aisément.

Pendant le règne de Louis-Philippe, la France vécut sur les souvenirs de la prodigieuse épopée impériale.

La guerre de Crimée et surtout la guerre d’Italie furent, au point de vue politique, des conceptions parfaitement déraisonnables. Ces campagnes terminées par des victoires ne nous en avaient pas moins donné un nouveau patrimoine de gloire, c’est-à-dire un nouveau fonds de confiance et d’espoir sur lequel nous avons vécu jusqu’aux dernières heures de ce siècle, même après les désastres de l’Année Terrible.

Il n’en est plus tout à fait de même aujourd’hui. Près de trente ans de paix, c’est long pour une nation qui fut pendant des siècles une nation militaire. Pour que l’ardeur du patriotisme, la poésie du drapeau survivent, il a fallu l’effort de tous les braves gens, la coalition presque unanime de tous les écrivains, Zola, bien entendu, excepté. Il a fallu que l’on magnifie le moindre épisode de la guerre de 1870, qu’on maintienne, un peu artificiellement, l’âme française à un certain diapason.

C’est par cette action sur l’opinion que Déroulède fut vraiment grand. Toujours vibrant, toujours éloquent, indifférent à toutes les railleries, il parlait superbement de la Patrie sans s’inquiéter de savoir si sa parole trouvait toujours un écho aussi profond qu’il l’eût désiré. Grâce à ce pieux artifice, on a grandi, surfait, gonflé un peu des hommes comme Jamont, comme Négrier, comme Boisdeffre, qui, sans doute, étaient de bons généraux, mais dont la personnalité un peu mince n’avait pas les proportions qu’on leur prêtait avec une patriotique complaisance.

Dans l’assaut furieux que la Juiverie cosmopolite a donné à l’armée, ces chefs, il faut bien le reconnaître, n’ont pas été brillants ; ils n’ont pas justifié la situation un peu exceptionnelle que l’on avait faite à des hommes qui n’étaient pas auréolés par la Victoire.

En ce qui les concerne, ils n’ont su faire preuve, devant de si ignominieuses attaques, ni d’énergie, ni de volonté, ni d’initiative ; ils ont apparu un peu comme ces mandarins militaires chinois dont le costume est orné d’emblèmes terrifiants, mais qui, dans l’Empire du Milieu, ont une place tout à fait effacée derrière les mandarins administratifs ou les lettrés qui savent les 5.000 mots dont est composé le dictionnaire chinois.

Ces chefs, qui n’ont rien voulu sacrifier des avantages que leur procurait leur rang dans la hiérarchie, n’ont usé de l’autorité que leur conférait leur grade que pour menacer de toutes les rigueurs les jeunes officiers qui frémissaient sous tant d’outrages et qui trouvaient raide tout de même de se laisser insulter sans répit et sans trêve par les stipendiés d’Israël.

C’est donc enregistrer purement et simplement un fait social que de constater que l’armée française a subi en pleine paix une diminution morale plus considérable que celle que lui aurait causée une défaite glorieuse ; c’est elle qui sort humiliée de cette campagne.

Il nous reste à examiner comment cette campagne a été organisée, et la signification exacte de l’attitude nettement hostile à la France que la Juiverie a prise dans cette circonstance…