Les Jours de pluie (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 52-53).


LES JOURS DE PLUIE


Au long des cours, des impasses et des venelles

Des vieux quartiers retraits,
La pluie
Semble à jamais

Chez elle.


Elle y tombe depuis novembre,

Continûment, à petit bruit,
Elle y tombe, le jour, la nuit ;
Et nul ne sait quand elle aura fini
De tapoter, avec ses doigts d’ennui,

Les carreaux verts des pauvres chambres.


Les lucarnes et leurs prunelles

La regardent qui dure à l’infini ;
Et les vieux murs et leurs étais pourris
S’imbibent d’elle.

S’il arrive qu’elle tarit,


Comme à bout d’elle-même,

Une heure ou deux, quand le soleil s’amène,
Longtemps, longtemps,
L’oreille encore écoute,
Goutte après goutte,
Ses tintements derniers

Dans la gouttière des greniers.


Et les trottoirs et leurs pavés

Luisent comme des os et des moignons
Obstinément lavés ;
Et les ancres des vieux pignons
Se souillent
De pleurs de fer, de pleurs de rouille ;
Et lassé d’être un peu du temps,
Leur millésime est là, qui pend ;
Quand tout à coup, un auvent claque,
Et l’eau recommence très longuement
À choir,
Jusques au soir,

Parmi les flaques.


Dans les recoins et les retraits

Des impasses et des ruelles,
La pluie
À tout jamais

Semble chez elle.