Les Jeux rustiques et divins/Sentence

Les Jeux rustiques et divins. Les Roseaux de la flûte
Mercure de France (p. 152-153).
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SENTENCE


Écoute, sur le seuil qu’un jour fera décombre,
Ceux qui viennent de l’aube et qui parlent dans l’ombre,
Car ils savent la route et la vie est en eux.
Le thyrse sans le pampre est un bâton noueux ;
Le masque aphone rit de sa bouche tordue
Le l’ire sans écho d’une voix qui s’est tue
Et survit tristement au visage esquivé ;
La pluie a, peu à peu, de ses larmes lavé
La joue et le menton que le cinabre farde ;
Les yeux sont trop ouverts par où nul ne regarde ;
Le Faune disparu laisse un bouc maladroit
Qui l’imite à son tour en se levant tout droit ;
Les Nymphes à jamais pleurent dans les fontaines ;
Le marbre se fait socle et le porphyre gaine
Pour le buste d’airain qui jadis fut de chair ;
Une crinière à chaque vague de la mer

Se gonfle, se hérisse et s’achève en écume ;
Toute torche se meurt en un tison qui fume ;
La Lyre qui se rompt aux portes du tombeau
Redevient les deux cornes torses d’un taureau ;
De l’armure brisée on forge une charrue,
Et l’Amour et la Mort font toute beauté nue ;
L’aube qui monte au jour redescend vers la nuit,
L’écho le moins lointain n’est que l’ombre d’un bruit.
Tu es pour un instant celui qui peut m’entendre,
Et tout, à qui le pèse, a le poids de sa cendre.