Les Jeux rustiques et divins/Refrain

Les Jeux rustiques et divins. La Corbeille des Heures
Mercure de France (p. 230-232).
Passé  ►


REFRAIN


Douces pensées !
Comme la mer chantait, ce soir-là, sur la grève
Le refrain éternel des Heures brèves ?
Douces pensées,
Pareilles à des algues enlacées,
Algue d’argent souple et bleui,
Algue d’or que le flot verdit,
Double serpent du caducée,
Thyrse d’oubli.
Joie éparse, douleurs passées
En mes pensées.

Celle-là qui sourit est venue,
Sur sa barque de fleurs, qui penche,
Des jours lointains de mon enfance ;
Je l’ai connue
Assise jadis à la porte
De la vieille maison ouverte sur la mer,
Elle m’apporte
Son rire clair…


Le flot roule, parmi les algues,
Des conques d’émail et de nacre ;
On y entend toute sa vie,
On y écoute son passé vivant,
Écume, marée et vent,
Sa joie et sa mélancolie,

Te voici donc, ô Songeuse !
Qui t’accoudes en robe pâle ;
Ta barque pleure,
Lentement, sur la mer étale,
De tous ses avirons qui s’égouttent dans l’eau :
Je t’entendais jadis du fond des soirs d’ennui
Gémir avec le câble et la mâture
Et les grands et calmes oiseaux
Dont l’aile frôle le silence,
Je t’entends au fond des soirs d’ennui
Pleurer dans l’ombre où l’Heure a fui
Avec les ailes du Silence.

Douces pensées,
Murmure du flot sur la grève,
Remous du sable, frissons d’aile,
Pas lointains et voix lointaines,
Arabesques d’algues enlacées,
Sang terrestre qui, de veine en veine,

Coule au granit et le fait chair,
Douces pensées,
Furtives et vaines,
Qui chantez de nous dans les choses,
Bercez en moi les conques closes,
Où s’endorment mes heures passées ;
Douces pensées !