Les Jeux rustiques et divins/Pour la Porte des Voyageurs

Les Jeux rustiques et divins. Inscriptions pour les treize portes de la ville
Mercure de France (p. 197-198).


POUR LA PORTE DES VOYAGEURS


Toi qui marchas longtemps dans l’ombre, côté à côte
Avec toi-même, ô cher Voyageur, sois mon hôte !
Assieds-toi sur ma borne et secoue à mon seuil
La poudre de la route où peina ton orgueil
Peut-être, et redeviens celui qui, au départ,
Souriait d’être jeune et croyait partir tard,
Toi qui reviens à l’heure où sortent les colombes !
L’aurore douce aux toits est douce sur les tombes,
Et tout matin est bon à qui vécut les soirs ;
Oublie avec la route grise et les bois noirs,
La ronce âpre, l’ortie et les sombres fontaines,
Et la cendre des jours qui coule des mains vaines,
Et le manteau qui fait ployer l’épaule lourde ;
Brise l’épieu d’épine et romps aussi la gourde
Ou, plutôt, revenu de l’ombre où d’autres vont,
Donne-leur, à leur tour, la gourde et le bâton
Et salue à jamais ceux qui passent là-bas
Et qui retrouveront la trace de tes pas

Sur le gravier du fleuve et le sable des grèves,
Et que la nuit pour eux en étoiles s’achève
Mystérieuse sur la plaine et sur la mer !
Car c’est déjà le soir, hélas ! quoiqu’il soit clair
Encor et tiède encor d’un peu de crépuscule ;
Et dis adieu du seuil au voyageur crédule
Qui sans craindre le vent et l’ombre et le caillou
Part à l’heure équivoque où pleure le hibou.