Les Jeux rustiques et divins/Pour la Porte des Marchands

Les Jeux rustiques et divins. Inscriptions pour les treize portes de la ville
Mercure de France (p. 191-192).


POUR LA PORTE DES MARCHANDS


Sois béni, noir portail, qu’entrant nous saluâmes !
Les coffres durs pesaient à l’échine des ânes ;
Nous apportions, pour les étaler dans les cours,
Ce qu’on taille la nuit, ce qu’on brode le jour,
La pendeloque claire et l’étoffe tissée.
Le plus vieux d’entre nous tenait un caducée ;
C’était le maître exact des trocs et des échanges,
Et la gourde bossue et les perles étranges
Se mêlaient dans nos mains poudreuses, et chacun,
Pourvoyeur de denrée ou marchand de parfum,
Vidait son étalage et gonflait sa sacoche ;
Car tout acheteur cède au geste qui l’accroche
Par un pan de la robe et le bout du manteau…
Les plus petits grimpaient sur de grands escabeaux,
Et le plus doucereux comme le plus retors,
Le soir, comptait et recomptait sa pile d’or,
En partant, et chacun, pour qu’à l’ombre des haies
Les détrousseurs d’argent qui guettent les monnaies

Ne nous attendent point sur la route déserte,
Ô porte ! et pour qu’un dieu fasse nos pas alertes,
Chacun, sans regarder celui qui va le suivre,
Cloue à ton seuil de pierre une pièce de cuivre.