Les Jeux rustiques et divins/Odelette IX

Les Jeux rustiques et divins. La Corbeille des Heures
Mercure de France (p. 251-252).
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ODELETTE IX


 
Que te dirais-je
Sinon des choses d’hier :
L’ombre, la forêt ou la mer
Et le vent furieux et la pluie et la neige,
Et la ronce griffant la chair,
L’amertume d’avoir été dans le passé
Celui dont se souvient avec sa face morte
La Tristesse debout qui, d’un regard lassé,
Suit, du seuil de la porte,
Sur la route où ses pas s’en vont de pierre en pierre,
Ce passant qui s’assit auprès d’elle en silence
Et qui pleura dans l’ombre en lui baisant les mains ?

Que te dirais-je ?
Avril a fondu la neige ;
Le vent chuchote, hésite et tremble,
Lui qui parlait si haut avec sa voix d’hiver,
Sur le chemin ;
Il y a des barques sur la mer

Et des fleurs au jardin ;
Quelle fleur douce est dans ta main ?
Et te voici debout au seuil et tu souris
Au soir qui m’a mené vers le porche où tu cueilles
La pourpre qui renaît et l’or qui refleurit,
Entre les feuilles,
Sur la tige noueuse où pointe encor l’épine ;
Car du passé saignant sort la rose divine.
Que te dirais-je ?
Laisse-moi me taire tout bas ;
Écoutons s’endormir l’écho mort de mes pas ;
Il me semble que pleure encor une fontaine….
Ne parlons pas !
La grande aile de l’ombre autour de nous s’éploie.
Demain je te dirai le songe de ma joie.