Les Jeux rustiques et divins/Ode II

Les Jeux rustiques et divins. La Corbeille des Heures
Mercure de France (p. 239-241).


ODE II


Les Heures de la Vie chantent et passent
Debout et doubles, en guirlande
De joie ou de tristesse,
Fortes ou lasses,
Et leurs mains tressent
La couronne des jours, un à un, et s’enlacent.
Une, parfois,
D’un geste qui sourit ou d’un geste qui pleure,
Porte à ses lèvres qui les baisent
La fleur de son extase ou la fleur de sa fièvre,
Durable ou brève ;
Et toutes chantent
Et passent, par les mains unies.

Ce sont les heures de la Vie.
Les Heures du Passé songent dans l’ombre.
Les diadèmes d’or cerclent leur cheveux sombres ;

Leurs robes sont graves de pourpres anciennes ;
Assises dans l’ombre, elles tiennent
De vieux miroirs pâles et ternes
Où elles se mirent longtemps
Et se cherchent toujours et ne se revoient pas.
Parfois, elles parlent tout bas ;
On les entend
Chuchoter comme un bruit de feuilles mortes ;
Elles ont des clefs qui n’ouvrent plus de portes
Elles ont froid comme d’être nues ;
Chacune se sent seule ensemble,
Et la plus vieille boit de sa lèvre qui tremble
Au cristal d’une coupe fendue
Une eau de larmes et de cendre.

Les Heures d’Amour sont jeunes et belles.
Les voici toutes,
Regarde-les !
Que leur importe l’ombre ou les cieux étoilés,
Le doux soleil au fleuve et l’averse à la route,
Les roses d’autrefois, les épines d’alors,
Et les robes de pourpre et les couronnes d’or ?
Que leur importe
Le miroir, la corbeille et la clef et la porte ?
Regarde-les.


Elles sont toutes là, couchées,
Chacune seule en sa pensée,
Aveugles, immobiles et belles ;
Mais l’Amour est au milieu d’elles,
Debout
Et mystérieux, tout à coup,
Dans l’envergure de ses ailes ;
Il chante nu au milieu d’elles,
Et toujours
Chacune en sa pensée entend chanter l’Amour.