Les Jeux rustiques et divins/Les Souhaits

Les Jeux rustiques et divins. Les Roseaux de la flûte
Mercure de France (p. 126-127).
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LES SOUHAITS


Nous allons tous les deux par des routes amies
Rejoindre lentement les Ombres endormies
Qui nous ont précédés dans l’aurore ou le soir ;
Tu portes la colombe et moi le hibou noir,
Moi la flûte d’argent et toi la flûte d’or,
Et je souris déjà lorsque tu ris encor,
Et, pas à pas, et côte à côte, nous mêlons
La trace, tour à tour, de nos doubles talons
Sur le sable qui cède et la terre qui croule.
L’oiseau noir se lamente et l’oiseau blanc roucoule ;
La fontaine où j’ai bu redevient ton miroir,
Et l’Amour à jamais entre nous vient s’asseoir
Et j’embrasse sa lèvre et tu baises sa bouche.
Le vent passe et frissonne entre les plumes douces
De son aile étoilée et de son aile obscure ;
Mais par le chemin clair ou par la route dure
Il nous mène tous deux, par la main, vers le Temps
Qui fane les étés et vieillit les printemps ;

Et l’Amour qui nous rit jadis sourit encor
À la flûte d’argent comme à la flûte d’or,
Et rien n’empêchera la fontaine fidèle
De mirer, quand nos soirs se pencheront sur elle,
Parmi ses feuilles d’or et ses feuilles d’argent,
Et dans son onde en pleurs que ridera le vent
Mystérieux et doux des automnes jaunies,
Un laurier toujours vert à nos tempes blanchies.