Les Jeux rustiques et divins/L’Accueil (La Corbeille des heures)

Les Jeux rustiques et divins. La Corbeille des Heures
Mercure de France (p. 214-216).


L’ACCUEIL


Le flot bleu qui se rue et se cabre à la côte
T’apporta, blanche et nue, en ses écumes d’or
Sur la plage saline où gronde la mer haute.

Tes beaux doigts ont saisi les crinières que tord
Le vent marin au col des lames dont la bouche
A bavé hennissante au roc dur qu’elle mord.

Fille du flot profond et de la mer farouche,
Te voici écumeuse et debout et riant
Au monstre paternel qui devant toi se couche.

L’aube pour t’accueillir se lève à l’orient ;
La terre en fleurs tressaille et hausse ses corolles
Jusqu’à ta jeune main qui passe en les pliant ;

La branche te caresse et te touche l’épaule,
Le caillou se détourne et roule sous tes pas,
Et l’écho t’accompagne et la brise te frôle.


Le Printemps t’a fêtée, ô Divine ! et, là-bas,
L’Été silencieux vers qui tu marches nue
Entr’ouvre sa paupière et lève ses yeux las.

Toute la plaine est d’or de t’avoir reconnue ;
La houle des blés mûrs s’enfle et déferle au vent
Et la source est joyeuse où ta beauté s’est vue.

Le flexible lierre et le pampre sanglant,
Les plantes de la mer, du fleuve et de la plaine
S’entrelacent autour de ton thyrse indolent.

L’heure semble attentive à ta grâce sereine ;
Pose ton pied charmant sur les mousses, et fais
De ta coupe perler l’onde de la fontaine.

Ton geste gracieux l’épanche au gazon frais.
Reste ainsi. Le soleil en sa gloire fleurie
Te sculpte une chair d’or dans un marbre de paix.

Mais regarde, là-bas, venir sur la prairie
Le Crépuscule lent et l’Automne qui tient
Son sceptre rouge où pend une grappe meurtrie.

L’un et l’autre, à leur tour, te prendront par la main ;
Ils savent les sentiers de la forêt fatale
Où tes pieds saigneront aux ronces du chemin.


Les fleurs que tu cueillis, pétale par pétale,
S’effeuilleront alors au thyrse dévasté,
Et la pluie et la brume autour de ta chair pâle,

Haletante au vent dur qui gerce ta beauté,
Tisseront lentement leurs voiles où frissonne
Le spectre de ta joie et de ta nudité.

Toi qui fus le Printemps que l’Été d’or couronne,
Tu n’es qu’une ombre errante écoutant, à travers
Les arbres nus, hennir au Temps qui les talonne

L’âpre déferlement des chevaux de la Mer.