Les Jeux libertins/Texte entier

Éditions Prima (Collection Gauloise ; no 135p. 1-48).

i

Vie de jeune fille



Mlle Agacette Duflan était une jolie jeune fille qui aimait la vie.

Qui, au surplus lui pourra donc reprocher cet amour ? Agacette avait pour elle tout ce qui rend l’existence agréable et riche en plaisirs. Elle avait des parents cossus, qui ne lui reprochaient jamais rien et satisfaisaient à tous ses désirs. Elle était, nous avons eu le plaisir de le dire, jolie comme le jour, active sportive et audacieuse. Les jours futurs se présentaient enfin à son espoir comme un tissu de joies et de caprices. Qu’eût pu vouloir de plus cette enfant au sourire obstinément émerveillé ? Rien, évidemment, et elle goûtait la satisfaction d’être dans son intégralité.

Voilà pourquoi, ce matin-ci, nous trouvons Agacette Duflan en train de prendre l’apéro au bar de la Pie-Grièche.

Cela se passe dans une station dite balnéaire, où l’on est heureux de voir des maillots féminins bien remplis, où le triomphe d’une joueuse de tennis est plus important que la chute d’un ministère, où savoir nager le crawl avec vigueur donne plus de renom que si l’on avait écrit la Comédie Humaine.

Une station balnéaire, pour tout dire, qui se nommait Pignarou-les-Bains…

Agacette était donc en train de boire l’apéritif. C’est une chose agréable et qui, jusqu’à ce que le pays devienne « sec », chose encore lointaine, sera estimée et propre à divertir sans nul danger pénal.

Agacette buvait un Martini. Non pas de ce vermouth fasciste, qui, d’ailleurs, est gastronomiquement assez estimable, mais un cocktail riche en gin, et qui vous gratte le gosier comme une rape à fromage.

Et Agacette souriait de toutes ses dents, qui étaient belles et rangées selon la tradition.

— Dites donc, Agacette, fit son voisin, avec lequel elle avait précédemment triomphé dans un double mixte, par six sets à trois. Dites donc, vous ne trouvez pas qu’il fait un temps à se marier.

— Ho ! répondit la jeune fille, c’est bien possible, mais je ne vois pas nettement en quoi.

— C’est une intuition, riposta l’autre. Ça ne vous tente donc pas ?

— Pour l’instant, moins que de prendre un autre Martini.

— Mais c’est très dangereux d’en abuser vous savez ?

— Pas tant que de s’adjoindre un époux, mon cher.

— Alors vous voulez rester vieille fille.

— Jusqu’à la semaine prochaine sûr ! Mais pas tant que Napoléon sera mort…

— C’est rassurant.

Elle se mit à rire.

— Seriez-vous candidat à ma main ?

— Dame, bien entendu ? Maïs je préfère vous avertir tout de suite que la main ne me suffit pas.

— C’est pourtant bien, et magnifique, fit Agacette en pouffant et se contemplant la paume. Ce qu’on peut en faire avec ça…

— Oui, j’y consens. Mais je vous dis ce que je pense.

— Merci. Je suis avertie. On s’en va ?

— Allons ! Alors vous ne voulez donc pas vous marier avec moi ?

— Mon Dieu, mon cher, c’est une idée qui ne m’était encore pas venue. Il faut la regarder de près. Cela ne se fait pas comme ça en prenant l’apéritif.

— Quand me direz-vous votre réponse ?

— Heu… Qu’est-ce que vous diriez de trois ou quatre ans. Il faut bien ça ?

— C’est un peu plus long que ma patience.

— Vous êtes exigeant. Eh bien, on verra ça.

— Agacette…

— Oui. Eh bien ?

— Je vous aime.

— Mais moi aussi, mon cher ami. Je vous adore.

— Ne riez pas. Vous vous moquez de moi.

— Je me moque rarement. Vous êtes un chic type, vous jouez un peu près du filet, mais cela n’est pas grave pour un mari. Vous nagez mieux sur le dos que sur le ventre, mais on vous dressera…

— Vrai ?

— Je vous le promets. Enfin vous êtes un parti sortable. Du moins pour les jours de cérémonie…

— Agacette, vous me charriez ?

— Fi ! le mauvais garçon qui parle argot. Comment, ne seriez-vous pas un homme du monde pour adopter le langage des gens du « milieu » ?

— Vous êtes tragique, Agacette,

— Dame, il vaut mieux l’être que cul-de-jatte, je pense ?

Il y eut un silence.

— Allons déjeuner !

— C’est ça. Notre repas froid pourrait rechauffer…

Ils s’en allèrent côte à côte vers l’hôtel de la Coquecigrue et de Hollande.

Le ciel était beau comme un chromo, les villas se profilaient partout, sur le bleu parfait comme si un architecte venait de les passer à l’aquarelle. La mer ronronnait avec des airs câlins.

Et le sable, plus blond qu’une fille de Norvège, gardait des empreintes de corps qui évoquaient les secrets des physiologistes secrètes qui, sur lui, s’étaient allongées sans souci.

— Agacette ?

— Eh bien, mon cher. J’ai la dent !

— Oui, mais regardez comme c’est joli autour de nous.

— C’est le démon de midi qui vous fait voir ça si agréable, quoiqu’il soit près d’une heure…

— Vous attaquez le rêve et la poésie à l’arme blanche.

— Vous exagérez ! Tout au plus avec un chasse-mouches.

— Ah ! Agacette, comme je voudrais vous épouser.

— Vous y tenez donc tant que ça ?

— Plus qu’à ma vie.

— C’est trop et je n’en demande pas tant.

— Que voulez-vous, moi, je suis un homme qui ne compte pas.

— Que si, mon cher, vous n’avez pas donné cent sous de pourboire au garçon pour les Martini.

— Je ne parle pas de ça.

— Oui, on ne parle jamais de ça, je le sais, mais j’ai faim.

— Voici l’auberge !

— Il n’est que temps. Pourvu que le menu soit potable. Je sens que s’il y a du veau marengo, ma faim disparaîtra illico.

Et ils entrèrent à l’hôtel, en riant tous deux, la raquette sous le bras.

— Là-bas, leurs familles, déjà à table, les attendaient.

— À tout à l’heure, Agacette !

— Oui. Au tennis, à quatre heures.

— C’est ça. On fichera à nouveau la volée aux Anglais,

— Bien entendu.

— Bon appétit !

— À vous itou !

ii

Jeux dangereux


Agacette Duflan fut à quatre heures au tennis et, avec son compagnon, qui répondait au nom galant de Sosthène Vladivity, collabora à gagner une nouvelle partie.

Assise ensuite sur un fauteuil transatlantique, elle soufflait en pouffant.

Sosthène à son côté demanda :

— Qu’est-ce qui vous fait rire ?

— C’est que vous avez oublié votre demande en mariage.

— Mais pas du tout. Je ne pense qu’à ça !

— C’est un peu trop. Alors, cela vous tient toujours ?

— Oui. Mais on n’est pas à l’aise ici pour parler intimement.

— Vous trouvez. Moi je trouve qu’on est épatant.

— Vous vous contentez de peu.

— Que voulez-vous. Il ne faut pas trop demander à la vie. Je crois que c’est un bon moyen de ne pas avoir de déboires.

— Que de sagesse !

— Hé oui ! Alors on va prendre un autre apéro. J’ai soif.

— Courons ! Mais pas au bar. Au dancing.

— Ça va. On en guinchera une petite.

— C’est vous qui parlez maintenant l’argot du milieu.

— Mais oui. Je suis un peu affranchie.

— Vous me faites peur, Agacette.

— Ça vous la coupe ? Il ne faut pas grand’chose…

Ils étaient arrivés au Casino et on entendait le jazz occupé à faire pâmer les couples enlacés.

— Mon cher, fit Agacette, j’aime cette musique.

— Un peu brutale et sans nuances.

— Il ne faut pas trop demander. J’aime ça. Allons, venez pour un petit tango.

Ils s’enlacèrent et continuèrent à converser.

— Agacette, vous êtes merveilleusement faite.

— Vous voulez l’adresse des fabricants ?

— Je ne ris pas. Vous êtes pareille à une statue.

— Il y en a de bien moches.

— Oui, mais celles qui vous ressemblent sont belles.

— Oh !… fit la jeune fille en riant, ne me serrez pas comme ça.

— Je vous ai fait mal ?

— Pas du tout, mais enfin…

— Dites quoi ?

— Les mots sont rares pour exprimer la chose. Quoi, vous m’avez mis en contact avec vous-même de façon bien étroite.

— Avec moi ?

Sosthène ne comprenait pas.

— Oui ! avec vous, que voulez-vous m’entendre dire ? Vous êtes un homme et cela comporte des reliefs que vous m’avez imprimés dessus, comme si vous vouliez m’en faire garder l’empreinte. C’est de trop.

Agacette riait, ce disant, avec un regard en coulisse et des airs amusés qui démentaient son indignation.

Sosthène rougit.

— Vous avez une façon de tout dire…

— Vous aimeriez mieux me l’entendre taire ? C’est comme la fameuse légende d’un dessin militaire : J’en entends un qui ne compte pas…

— Agacette, venez boire un verre dans le petit coin, là-bas où l’on n’est pas vu.

— Bon ! Ce soir pas de Martini. Je veux un Manattan.

— Vous êtes capricieuse.

— Pas du tout. Ah ! on est bien dans ces fauteuils anglais. On se sent prise de partout.

— Ça serait pareil si vous vouliez m’épouser.

— Ah ! on y revient. Eh bien, mon cher, je ne dis pas non. Mais faites-vous aimer.

— Vous m’avez dit que vous m’adoriez.

— Je vous adore, mais pas comme époux, comme joueur de tennis, copain pour plonger du haut du toboggan, camarade pour prendre des glasses dans les mastroquets.

— C’est tout ?

— C’est énorme. Je crois même que c’est le commencement de l’amour. Allons, faites un petit effort pour vous faire aimer tout à fait.

Un silence.

— Ah non, pas comme ça ! fait Agacette, qui pousse un petit cri et repousse la main envahissante de Sosthène.

— Je croyais que c'était un moyen…

— Il est mauvais. C'était bon du temps des crinolines et des vertugadins, ces jeux-là. On avait des choses à retrousser pour passer la main…

Elle montra ses jambes nues jusqu’au delà du genou.

— Mais aujourd’hui que toute la besogne de troussage est déjà faite, vous êtes un de ces types qui partiraient pour attraper un papillon avec une mitrailleuse.

— Alors, comme ça.

Il l'avait embrassée fortement, imprimant, sur les lèvres gracieuses et fardées un baiser pénétrant et passionné, Agacette eut un rire léger et ses yeux se colorèrent ainsi que ses pommettes.

— C'est déjà mieux…

Le jeune homme la regarda amoureusement.

— Ah ! Agacette si nous étions ailleurs…

— Allons-y, si vous voulez.

— Vous voulez que nous nous promenions un instant près des rochers ? :

— Pourquoi non ?

— Sortons donc. Il n’y avait pas assez de glace dans ces cocktails, n’est-ce pas. Et tiède, c'est mauvais.

— Le mien était bon. Il était parfumé…

Elle riait.

— Parfumé à quoi ?

— Parfumé à votre baiser.

Voici la falaise où les deux amoureux continuent de progresser doucement en conversant.

Bientôt ils deviennent invisibles. Au-dessus d'eux, les roches montent à pic et, tout autour, c’est un entassement où nul ne saurait les épier.

— Agacette, je vous aime !

— Vous me l’avez déjà dit, mon cher.

— Je vous désire. Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/11 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/12 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/13 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/14 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/15 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/16 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/17 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/18 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/19 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/20 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/21 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/22 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/23 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/24 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/25 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/26 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/27 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/28 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/29 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/30 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/31 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/32 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/33 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/34 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/35 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/36 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/37 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/38 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/39 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/40 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/41 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/42 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/43 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/44 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/45 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/46 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/47 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/48 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/49 Page:Dunan - les jeux libertins, 1929.djvu/50