Les Jeunes Croyances/IV/Que voulez-vous que je vous dise ?

Alphonse Lemerre, éditeur (p. 101-103).



V




Que voulez-vous que je vous dise ?
Cela vous coûterait bien peu,
De délaisser enfin l’Église
Et de vous rapprocher de Dieu.

Vous écrasez les grandes choses
Sous un niveau matériel,
Sans baisser les yeux vers les roses,
Sans les élever jusqu’au ciel !


Vous inventez des saintes vierges,
Tout en marchant dans l’impudeur ;
Vous portez à la main des cierges,
Et la nuit noire au fond du cœur.

Si vous le vouliez bien, mes frères,
Ancrés dans la félicité,
Vous abdiqueriez vos colères
Pour la simple fraternité !

L’Humanité, blanche et nouvelle,
Dresserait un front triomphant…
Sous l’azur, clémence éternelle,
Nul ne gronderait un enfant !

Les enfants auraient tous des mères ;
Ils pourraient se chérir entre eux,
Sans se mêler à des misères,
Sans ternir le ciel de leurs yeux !


Les enfants feraient leur murmure
Comme les oiseaux et les vents ;
La mystérieuse Nature
Serait comprise des vivants.

Je vous le dis ; moi, je vous aime,
Frères, je voudrais vous voir tous
Debout dans un amour suprême,
Jamais humbles, mais bons et doux !

Non ! l’homme rampe dans la fange,
Lui qui pourrait, juste et béni,
Entr’ouvrir ses deux ailes d’ange,
Et s’élancer dans l’infini !

Toulon, 5 mai 1866.