Les Jeunes Croyances/III/Le long de la rivière.

Alphonse Lemerre, éditeur (p. 77-79).



VI

LE LONG DE LA RIVIÈRE.




Le Gapeau chantait une chanson folle
De joie et d’amours ;
Son onde tordait sur l’arène molle
         Mille et un détours ;

Et moi j’allais, triste, avec l’âme pleine
         De papillons noirs ;
J’avais promené du val à la plaine
         De vieux désespoirs.


Je songeais à tout ce qui fait de l’ombre :
         À la nuit, au sort ;
Je ne voyais plus que du côté sombre
         La vie et la mort ;

Et, trouvant enfin ennuyeux de vivre
         Comme de mourir,
Regardant le monde ainsi qu’un vieux livre
         Qu’on est las d’ouvrir,

Tout me semblait laid, l’ortie et la rose,
         L’astre et le flambeau…
Soudain je vous vis : ô métamorphose !
         Tout redevint beau.

Vous étiez ensemble une fleur qui brille,
         Un souffle embaumé ;
J’étais une autre âme, ô ma jeune fille,
         Car j’avais aimé !


Votre pied suivait sur l’arène molle
         Mille et un détours,
Et moi j’entonnais une chanson folle
         De joie et d’amours !

Septembre 1865.