Les Instruments à vent (Koechlin)/Chapitre IV
LES INSTRUMENTS À VENT
dans la Musique de chambre
dans l’Orchestre Symphonique
et dans les Orchestres d’Harmonie
DANS LA MUSIQUE DE CHAMBRE
Le domaine est des plus vastes, de la Musique de chambre où figurent des Bois et même des Cuivres, parfois sans instruments à Cordes ni Piano, parfois avec l’adjonction de celui-ci ou de ceux-là, ou des Cordes et du Piano réunis.
Si le nombre des exécutants s’accroît, on en arrive aux groupements (assez à la mode aujourd’hui) qui constituent des Orchestres de chambre, intermédiaires entre les Quintettes, Sextuors, Septuors, et les Orchestres Symphoniques complets.
La difficulté, dans l’écriture des Bois, tient à ce que ce groupe n’est pas homogène, le Hautbois y sonnant plus mince et plus en dehors ; il y a bien des précautions à prendre, surtout dans les combinaisons de la Flûte et du Hautbois.
Le Piano, réuni au Quatuor ou au Quintette des Bois (il est entendu qu’en pareil cas nous mettons le Cor dans le groupe des Bois) peut se montrer bien utile. Ses arpèges viennent fondre et adoucir la sonorité, parfois un peu crue, des Bois. Même remarque pour les Cordes ; mais dans ce dernier cas il faut prendre garde que l’Équilibre des Volumes se réalise assez mal, les Cordes Soli étant beaucoup plus minces que des Bois. La disposition adoptée par Mozart : Clarinette contre tout l’ensemble des quatre Instruments à Cordes, et par Ch. Bordes : Flûte avec Quatuor à Cordes, est excellente, et réalise le meilleur équilibre.
N’écrivant pas ici un Traité de l’Orchestration, il nous semble que ces indications générales suffisent. Les listes suivantes donneront, bien que trop incomplètes, une idée de la richesse du Répertoire de la Musique de chambre pour instruments à vent.
1. Bois seuls (ou avec Trompettes et Cors ; nous n’avons que peu d’exemples de l’emploi du Trombone joint aux Bois, Trompettes et Cors, pour de la musique de Chambre. Mais il se trouve parfois de la Percussion dans les œuvres de ce genre écrites pour un assez grand nombre d’instruments. On y peut voir les débuts de la musique pour Orchestres d’Harmonie).
Nous indiquerons les instruments par une notation abrégée :
Fl. pour Flûte, Ob. pour Hautbois, C. A. pour Cor anglais, Cl. pour Clarinette, Fag. pour Basson, Sax. pour Saxophone, Trp. pour Trompette, Trb. pour Trombone, C. Fag. pour Contrebasson.
Dans ces trois dernières œuvres, on peut voir la naissance de l’Orchestre d’Harmonie. Il est plus nombreux encore dans la suivante :
Signalons enfin, parmi les ouvres modernes, les caractéristiques Symphonies d’Instruments à Vent, d’I. Strawinsky, écrites à la mémoire de Claude Debussy.
2. Bois (plus, éventuellement, Cuivres) avec Piano.
Mentionnons aussi, avec Clavecin :
3. Bois (plus, éventuellement, Cuivres) avec Cordes, et avec ou sans Piano. (Nous indiquons Violon par V., Alto par A., Violoncelle par Vc., et Contre basse par C. B.)
À cette liste, ajoutons celle des ouvres « concertantes » où figurent des Bois (ou Cuivres) solistes, accompagnés par l’orchestre. Genre très cultivé jadis, auquel semblent revenir certains musiciens modernes.
Comme on le voit, ce Répertoire est considérable (et les listes précédentes restent fort incomplètes). Chaque année, à Paris, de nombreux concerts sont consacrés à l’exécution d’œuvres de musique de chambre où figurent des Bois (parfois aussi, des Cuivres) ; à ce propos il nous faut signaler, en premier lieu, ceux de la Société des Instruments à Vent, de fondation déjà assez ancienne (1879) et dont l’activité n’a cessé de s’accroître, principalement en ces dernières années. Elle est actuellement dirigée par M. F. Oubradous, le célèbre bassoniste.
Mentionnons encore les Concerts pour Orchestre de chambre, qui comportent un plus grand nombre d’instruments et dont les formations (d’ailleurs assez diverses) sont intermédiaires entre celles de la Musique de Chambre et celles des Orchestres Symphoniques. En général, dans ces groupements, on trouve les Bois au complet, par deux, avec deux Cors, deux Trompettes, parfois même deux Trombones et de la Percussion. Mais les Instruments à Cordes y sont en nombre réduit (quatre à six premiers Violons, trois à quatre Seconds, trois Altos, deux Violoncelles, une Contrebasse). On peut jouer, de la sorte, bien des œuvres « classiques », et plus d’un compositeur moderne écrit pour ces Orchestres de Chambre.
DANS L’ORCHESTRE SYMPHONIQUE
On a cherché souvent à préciser le Rôle que peuvent jouer les Bois et les Cuivres dans l’ensemble orchestral symphonique. C’est là, nous l’avouons, une tâche ingrate et difficile. Peut-être d’ailleurs n’est-elle pas utile ; voici pourquoi :
De nos jours, avec les perfectionnements sans nombre apportés à la technique des Bois à Clefs et des Cuivres à pistons, les diverses classes d’instruments sont beaucoup moins tranchées qu’autrefois. Du temps que les Cors et Trompettes ne faisaient entendre que les Harmoniques successifs de leur fondamentale, il pouvait s’agir de tenues des Cors (sur Tonique et Dominante), d’accents des Trompettes, parfois aussi, de Soli (pour le Cor) dans lesquels intervenaient quelques notes bouchées (Nocturne du Songe d’une Nuit d’été). Il y avait chez Rameau, chez Mozart, une certaine démarcation entre les Bois et les Cors. Elle existe encore, bien que moins visible, chez Beethoven ; beaucoup moins chez Berlioz ; quant à Bizet, les Cors simples de Carmen interviennent souvent comme des Bois (un peu plus gros, un peu plus solides). Mais alors les rôles de ces divers groupes ne sont plus définis ; les Cors (sauf exception) ne forment pas un ensemble autonome ; ils s’insèrent aussi bien parmi les Bois que parmi les Cuivres. Les Bois peuvent ne faire que des accompagnements (arpèges, tenues, notes répétées, etc.), mais ils peuvent aussi jouer un rôle mélodique : chanter des Cantilènes que reprendront ensuite les Cordes, en réponse (ou, inversement, répondre aux Cordes) ; ils peuvent également ajouter des guirlandes d’arpèges, mais ces guirlandes sont aussi bien du domaine des Cordes. Aujourd’hui donc, ne disons point qu’il y ait un rôle des Bois, un rôle des Cordes. Ils s’entremêlent et se confondent, plutôt que de s’opposer. Quant aux Cors et aux Cuivres (Trompettes, Trombones) ils s’incorporent souvent à des dessous de l’orchestre, même les Trombones ; et s’il arrive que ceux-ci se livrent encore à d’éclatantes sonneries, ou concluent tel crescendo de l’orchestre par des accords foudroyants, ce n’est pas toujours le cas, non plus que pour les Trompettes. C’est pour quoi nous n’insisterons pas davantage sur le Rôle, à l’orchestre, de ces instruments. Car il comporte un très grand nombre de cas divers : il y faudrait une étude approfondie, avec des exemples musicaux.
LES INSTRUMENTS À VENT
DANS LA RADIODIFFUSION ET LES ENREGISTREMENTS
En Solo, rien ne se transmet mieux par Radiodiffusion, que le son de certains instruments à vent ; la Flûte notamment y conserve la pureté de son timbre ; elle semble jouer réellement à côté de vous, comme pour l’audition directe.
La Clarinette, le Cor, le Basson ne sont aucunement défigurés ; le Saxophone non plus ; pour le Hautbois, il se peut que le son perde un peu du mordant qui le caractérise, et c’est alors comme avec les Instruments à Cordes, où l’on sent moins la corde qu’à l’audition directe. Cette légère modification du timbre peut passer pour excellente en certains cas, moins bonne toutefois en d’autres circonstances ; en somme, cela dépend du caractère de la musique jouée à la Radiodiffusion par le Hautbois. Enfin, la Trompette et le Trombone sortent bien avec toutes les caractéristiques de leur timbre, s’il ne s’agit pas d’un ff à plusieurs parties. Dans ce dernier cas le résultat est parfois pâteux, sans force véritable, et bien différent de ce que donne l’audition directe.
Écrits pour des Polyphonies, les Bois peuvent encore bien sonner à la Radiodiffusion. Mais il faut éviter toute lourdeur ; des paquets d’accords n’ont plus du tout l’accent de l’audition directe ; un style contrapunctique se prête toujours mieux aux transmissions par T. S. F.
Mêmes observations en ce qui concerne les Harmonies plaquées, qu’il faut éviter si l’on n’est point capable de les écrire sans lourdeur. Un petit nombre de parties est toujours excellent (deux, trois) ; quatre parties peuvent déjà sonner un peu confus ; et au delà, l’Enregistrement, ni la Radiodiffusion ne valent l’Audition directe.
Nous remarquerons enfin que si d’une part, on n’arrive pas aux ff de l’Audition directe lorsque la musique passe par le Microphone et le Haut-Parleur, d’autre part, les ppp ne sont guère réalisables à cause de bruits parasites dans le moteur, et qu’il faut sur monter. C’est pourquoi les Ingénieurs du son ne respectent guère les indications pp du musicien — persuadés qu’ils sont, que cela « ne sortirait pas ». Or, s’il ne faut point compter sur de vrais ppp, il nous semble incontestable que des pp sont possibles, plus doux que ne les réalisent en général les Ingénieurs du son. Avis aux intéressés.
LES ORCHESTRES D’INSTRUMENTS À VENT
Ils sont particulièrement destinés au plein air, avec des sonorités très fournies (comportant parfois des doublures entre les divers groupes ; mais cela n’est pas nécessaire, il importe surtout que chacun des groupes soit, par lui-même, bien plein).
Les orchestres sont formés de quatre groupes :
1o La Petite Harmonie, composée de quelques instruments d’une assez faible sonorité : on la destine surtout à des Soli dans la douceur, à des effets de couleur. Il y a, en général : deux petites Flûtes, deux grandes Flûtes, deux Hautbois, deux Bassons, avec parfois aussi des Timbales, et des Harpes. On prendra garde qu’en plein air le Hautbois solo sonne un peu maigre, surtout dès la seconde Octave, et que le Basson ne porte guère, sauf dans l’Octave grave (et encore !) ;
2o Le Groupe très important, très nourri, des Clarinettes et des Saxophones auxquels s’ajoutent éventuellement des Sarrusophones. Ce groupe, dans les Transcriptions de morceaux symphoniques, joue le rôle des Instruments à Cordes de l’orchestre ordinaire : les petites Clarinettes en mi bémol et les premières Clarinettes ordinaires en si bémol (assez nombreuses, celles-ci ; mais il y a en général trop peu de petites Clarinettes, comme il y a trop peu de Flûtes dans la Petite Harmonie) remplacent les premiers Violons ; on y ajoute aussi, lorsqu’il y en a, des Saxophones et des Sarrusophones Soprani ; les Seconds Violons sont remplacés par les Secondes Clarinettes en si bémol et les Saxophones Altos (avec, s’il y en a, des Sarrusophones Altos) ; les Clarinettes Altos, avec quelques troisièmes Clarinettes en si bémol et des Saxophones ténors, remplacent les Altos à Cordes (on peut aussi utiliser des Sarrusophones ténors) ; enfin, quant aux Basses (Violoncelles, Contrebasses), c’est l’affaire des Saxophones graves, des Clarinettes Basses ainsi que des Sarrusophones Barytons, Basses et Contrebasses ; on y ajoute aussi, quand l’orchestre en possède, des Clarinettes Contralti et Clarinettes Contrebasses.
Chose curieuse : en plein air et à distance, cet ensemble sonne presque tout à fait comme un ensemble d’Instruments à Cordes. Et l’illusion est plus forte encore pour les concerts radiodiffusés ;
3o Le Groupe des Saxhorns, depuis les Petits Bugles et les Bugles jusqu’aux plus volumineuses Contrebasses de cuivre, en y ajoutant les Cors, assume le rôle des Bois et Cors de l’Orchestre Symphonique. Là encore l’illusion sans être parfaite, se réalise assez bien. La seule difficulté réside dans l’aigu des Bois d’un morceau symphonique à transcrire, car les Clarinettes et même les Hautbois de l’Orchestre Symphonique montent bien plus haut que les Bugles. C’est un point délicat. Pour bien faire, il faudrait aux Saxhorns de ce groupe adjoindre quelques Flûtes et des petites Clarinettes en mi bémol. Mais ce n’est pas toujours possible, car le plus souvent il y a trop peu de flûtes et de petites clarinettes. On peut aussi transposer à l’Octave grave les passages trop hauts pour Saxhorns ; mais alors ils risquent de perdre beaucoup de leur éclat. Quoi qu’il en soit, les transcriptions actuelles signées G. Balay, ou Commandant Dupont, sont au-dessus de tout éloge. On est parvenu à orchestrer pour Musiques d’Harmonie des œuvres très subtiles de Ravel ou de Cl. Debussy, en y conservant l’essentiel du caractère ;
4o Il y a, enfin, les Cuivres clairs (Cornets, Trompettes, Trombones), et les Instruments de Percussion. Ils jouent le même rôle que dans l’Orchestre Symphonique.
D’après M. A. Soyer (cf. Encyclopédie de la Musique), un Orchestre d’Harmonie complet, en somme, devrait comprendre :
Petites Flûtes | timbres cristallins
|
Flûtes tierces, en Mi bémol ou en Fa | |
Grandes Flûtes | |
Flûtes basses, en Sol | |
Hautbois pastoral, en Sol | timbres vibrants
|
Hautbois en Mi bémol | |
Hautbois en Ut | |
Hautbois d’amour, en La | |
Cor Anglais | |
Hautbois Baryton | |
Basson en Mi bémol | |
Basson | |
et tous les Sarrusophones | |
Petites Clarinettes en La bémol | timbres doux
|
Petites Clarinettes en Mi bémol | |
Clarinettes en Si bémol 1res, 2es et 3es | |
Clarinettes Altos, Basses, Contraltos, Contrebasses, et tous les Saxophones | |
Tous les Saxhorns | timbres doux
|
les Cors (en Fa ou en Mi bémol) | |
Tous les Cornophones (Altos, Barytons, Basses, Contrebasses) | |
Petit Cornettino aigu en Si bémol | cuivres clairs
|
Petit Cornet en Mi bémol | |
Cornets en Si bémol | |
Trompettes en Si bémol | |
Trompettes en Fa ou en Mi bémol | |
Trompettes Basses en Si bémol ou en Ut | |
et tous les Trombones, du Sopranino au Trombone Contrebasse |
Quelles admirables sonorités n’obtiendrait-on pas, avec cet ensemble ! Mais il est rarement réalisé, — autant dire jamais.
N’oublions pas de noter que les Orchestres d’Harmonie comportent encore, outre la Percussion (Grosse Caisse, Caisse roulante, Caisse claire, Tambour, Triangle, Cymbales, Timbales) et plusieurs Harpes, quelques Contrebasses à Cordes. Elles servent à la netteté des attaques de Basses, aussi bien arco que pizzicato.
À Béziers, lorsque fut donné le Prométhée de Gabriel Fauré (orchestré magnifiquement par M. Eustace, chef de musique du régiment de Montpellier), il y avait deux Orchestres d’Harmonie (la Lyre bitterroise, et l’Orchestre militaire du régiment de Montpellier), de très nombreux Instruments à Cordes (environ cent vingt), et quinze à vingt Harpes. La sonorité était splendide, dans le plein air, sous le grand ciel d’été. C’est pour nous un souvenir inoubliable.
LES FANFARES
Lorsqu’on n’a point de Clarinettes, de Saxophones, de Flûtes, de Hautbois, de Bassons, ni de Sarrusophones, ce sont des Fanfares, composées de Saxhorns, de Cors (éventuellement), de Cornets, de Trompettes et de Trombones.
Si rudimentaires que soient ainsi ces Orchestres, certaines transcriptions habiles peuvent garder beaucoup d’éclat, et ne point altérer outre mesure le caractère d’une œuvre symphonique. Il est aussi des Fanfares originales : on en connaît d’excellentes de Florent-Schmitt et de Paul Dukas.
Dans les transcriptions, le groupe des Saxhorns remplace alors les Clarinettes et les Saxophones de l’Orchestre d’Harmonie, c’est-à-dire les Cordes de l’Orchestre Symphonique. Ce que jouaient les Saxhorns de l’Orchestre d’Harmonie sera confié à certains Saxhorns et à quelques Cuivres clairs, réalisant ainsi un ensemble plus accentué que celui du premier groupe (Saxhorns seuls). Et l’on réservera les plus sonores des Cuivres pour le troisième groupe, celui des Cuivres clairs de l’Orchestre d’Harmonie. Il y a bien des difficultés à vaincre, notamment en ce qui concerne les notes aiguës des Clarinettes, que ne peuvent jouer les Saxhorns. C’est affaire d’ingéniosité de la part des transcripteurs ; mais ceux-ci arrivent à surmonter bien des obstacles.
La Fanfare, parfois, n’a qu’une assez mauvaise presse : cela tient, croyons-nous, à la médiocrité des villageois, amateurs peu exercés, et souvent assez piètres musiciens. Mais nous estimons le genre Fanfare tout à fait digne d’être cultivé, et encouragé. Il y a proprement des merveilles à réaliser, en des œuvres originales, par l’opposition des Cuivres clairs et des Saxhorns avec, entre les deux, des Cors et des Cornets à Pistons.
C’est le Répertoire qui fait défaut : avis à nos jeunes confrères. Il leur faudra seulement se garder de toute difficulté inutile : et surtout ne pas écrire trop haut.
Pour de plus amples détails sur toutes ces questions des Orchestres d’Harmonie, voir les ouvrages que nous citons à la Bibliographie.
Parmi les œuvres modernes dont la version originale est pour Fanfare, nous mentionnerons :