Les Institutions de Crédit en France/04

LES INSTITUTIONS
DE
CRÉDIT EN FRANCE

III.
LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE DE CRÉDIT MOBILIER.
Seconde partie.
I. Statuts de la Société générale de Crédit mobilier. — II. Rapports présentés par le conseil d’administration aux assemblées générales du 29 avril 1854, du 30 avril 1855 et du 23 avril 1856.


IV.

Nous avons vu par les statuts de la société de Crédit mobilier et le programme présenté à la première assemblée des actionnaires que les fonctions de cet établissement ne sont point limitées à la commandite et à l’émission d’obligations ; le Crédit mobilier est appelé en outre à faire toutes les opérations de banque que comporte le commerce des valeurs créées par la commandite et le crédit public : achat et vente de rentes, d’actions et d’obligations, prêt et emprunt sur ces titres.

Cette attribution était naturellement inhérente à l’institution du Crédit mobilier. D’une part, constitué pour la commandite des grandes entreprises, mais obligé de dégager le plus souvent possible son capital afin de le porter dans de nouveaux placemens, il fallait bien qu’il fût autorisé à vendre les valeurs représentatives du capital de ces entreprises ; de l’autre, devant centraliser les capitaux disponibles au moyen de ses propres obligations et des dépôts qu’il reçoit en compte courant, il fallait bien qu’il fût autorisé à acheter des valeurs pour donner à ces capitaux un emploi fixe ou momentané. Il entrait de même dans les attributions nécessaires du Crédit mobilier soit de prêter sur les titres pour utiliser ses fonds en placemens à courte échéance, soit d’emprunter sur ces mêmes titres pour se faire des ressources. Une fois la fondation d’un établissement tel que le Crédit mobilier résolue, il était impossible de lui interdire le commerce des valeurs ; mais, quelle action doit exercer sur ce commerce une machine aussi puissante que le Crédit mobilier ? C’est une question aussi délicate qu’importante, et il faut, pour y répondre, traverser au moins d’un regard rapide ce forum grandissant et agité des intérêts matériels que l’on appelle la Bourse.


La Bourse est le marché où se vendent et s’achètent les titres qui représentent les capitaux de placement engagés dans les rentes publiques et dans les entreprises créées par le crédit commanditaire. Ce sont ces titres, dont nous avons déjà expliqué la nature et la forme en parlant du crédit commanditaire[1], que nous désignons, pour la commodité du discours, sous la dénomination générale de valeurs.

Ce marché a acquis depuis peu d’années une immense importance par la quantité des valeurs qui y ont été émises et par le nombre toujours grossissant de ceux entre lesquels se partage la propriété de ces valeurs. Nous avons vu que l’on peut estimer à environ 15 milliards le capital que représentent les rentes publiques et les actions et obligations des sociétés anonymes à leurs cours actuels, et nous ne comprenons point dans cette estimation les sociétés en commandite proprement dites. Il serait difficile d’indiquer par un chiffre exact le nombre des personnes intéressées dans cette portion de la richesse générale ; mais ce nombre s’est accru énormément après 1848 par la consolidation en rentes des livrets des caisses d’épargne, et depuis trois ans par l’émission des derniers emprunts et la création des nouvelles compagnies. Avant l’émission des derniers emprunts qui ont fait pénétrer la rente par petites coupures dans les classes les plus modestes de la population, on portait déjà à environ huit cent mille le nombre des rentiers. Il n’y a donc pas de témérité à supposer qu’environ quinze cent mille personnes sont directement intéressées au prix des valeurs dont les variations quotidiennes sont déterminées par les opérations de bourse.

Il n’est point surprenant qu’une si grande quantité de valeurs, dont la circulation est si facile, qui se prêtent si bien par la modicité des sommes que représentent leurs titres aux besoins de ceux qui veulent les vendre, à la commodité de ceux qui veulent les acheter, donne lieu à un immense mouvement d’affaires, et que la Bourse, théâtre de ces affaires, ait pris une si grande place dans les préoccupations générales.

L’activité qui règne aujourd’hui dans le commerce des valeurs et la multiplicité croissante des opérations de bourse sont la conséquence naturelle, régulière, nécessaire, d’une situation créée par le développement du crédit public et du crédit commanditaire. Il faut donc se garder, si l’on veut apprécier sainement les opérations de bourse, de la réprobation instinctive qu’elles inspiraient autrefois au sentiment populaire. L’opération de bourse est la vente et l’achat d’une chose qui a été faite pour être vendue et achetée : rien en soi de plus légitime ; mais, cette réserve posée, il ne faut point non plus s’abuser sur les avantages du commerce des valeurs.

Au point de vue économique, l’opération de bourse n’est pas, comme les transactions du crédit commercial et du commerce ordinaire, directement féconde. Elle n’est accompagnée d’aucune production de richesse. La chose vendue et achetée ne retire de cette opération aucun accroissement de valeur. L’achat et la vente du titre n’ajoutent aucune façon, aucun travail au capital dont il est le signe. Si c’est un titre de rente, sa valeur intrinsèque reste invariable comme le revenu fixe qu’il représente ; si c’est une action industrielle, sa valeur intrinsèque demeure soumise aux chances de l’entreprise du capital de laquelle il représente une fraction. Les opérations de bourse ne font donc que donner aux valeurs une circulation stérile en elle-même ; dans leur action directe, elles sont improductives et n’augmentent en rien la richesse générale.

C’est dans leurs effets indirects qu’il faut chercher leur utilité. Le grand commerce des valeurs qui se fait à la Bourse a le double avantage de procurer aux propriétaires de ces valeurs la disponibilité de leurs capitaux toutes les fois qu’ils veulent les déplacer pour les appliquer à de nouvelles entreprises, et d’attirer vers des placemens utiles et commodes les capitaux sans emploi. Par cette double action, le commerce des valeurs agglomère à la Bourse les capitaux et les épargnes, il excite leur concurrence. Il seconde par la hausse des cours la baisse de l’intérêt, et rend ainsi d’éminens services à l’état lorsqu’il est obligé de recourir aux emprunts, à l’industrie lorsqu’elle réclame des entreprises trop considérables pour les efforts et les ressources privées, et qui ne peuvent être tentées que par l’association commanditaire. Quoique la circulation que les opérations de bourse donnent aux valeurs ne soit point directement reproductive, comme la circulation des capitaux dans le commerce et l’industrie, elle a pourtant une influence indirecte, mais heureuse et féconde, sur les progrès de la richesse générale, puisque sans elle le crédit public et le crédit commanditaire seraient soumis à de gênantes restrictions.


Les prix des valeurs se fixent donc à la Bourse. Les variations de ces prix sont déterminées par des influences de plusieurs sortes, les unes naturelles, les autres artificielles : nous allons passer rapidement en revue les unes et les autres, afin d’être en mesure d’apprécier l’usage ou l’abus qu’on en peut faire.

Parmi les causes naturelles qui influent sur les prix, il en est de générales qui agissent sur l’ensemble des valeurs, il en est de parti culières qui tiennent à la nature propre de chaque valeur.

Les causes générales sont politiques ou financières. C’est de la situation politique que dépend la sécurité dont les affaires ont besoin pour se développer. Sans sécurité, les affaires n’ont pas d’horizon, les capitaux n’ont pas de confiance et d’élan ; avec la sécurité, les capitaux s’aventurent, les affaires prennent leur essor. Suivant que la situation politique paraît bonne ou mauvaise, suivant qu’elle est de nature à augmenter ou à diminuer la sécurité générale, les prix des valeurs tendent donc à monter ou à baisser. L’influence de la situation politique sur les prix est générale et simultanée : toutes les va leurs s’en ressentent. Il en est de même de la situation financière. Si elle est bonne, si l’industrie et le commerce sont dans une situation prospère, si les capitaux abondent, une hausse générale des prix en est la conséquence. Si elle est mauvaise, si les capitaux se resserrent, si l’argent devient rare et cher, une tendance générale entraîne les valeurs à la baisse. L’ensemble donc de la situation politique combinée avec la situation financière imprime au marché une impulsion générale de hausse ou de baisse à laquelle obéissent toutes les valeurs.

Outre cette influence générale, chaque valeur subit dans les variations de son prix l’influence des conditions, des combinaisons et des accidens qui résultent de sa nature particulière. On peut ranger en deux classes les valeurs qui se négocient à la Bourse. Les unes représentent les emprunts de l’état et des compagnies : ce sont les titres de rente et les obligations ; elles produisent un revenu qui n’est soumis à aucune chance aléatoire d’augmentation ou de diminution, un revenu fixe. Les autres représentent les capitaux associés dans les entreprises de commandite : ce sont les actions ; elles produisent un revenu variable, un dividende prélevé proportionnellement sur les bénéfices de l’entreprise. Parmi ces valeurs, celles de la première classe, les titres de rente et les obligations, auxquelles est attaché un revenu fixe, sont dans leurs variations moins dominées que les autres par des influences particulières. Il n’y a pas pour ces valeurs de variations possibles dans le revenu. Les variations du capital qu’elles représentent dépendent donc principalement des causes générales que nous avons indiquées plus haut, et qui résultent de l’ensemble de la situation politique et financière. Cependant, quoique moins nombreuses, il y a des circonstances particulières inhérentes à leur nature qui peuvent influer aussi sur leurs variations : l’accroissement ou la diminution des revenus publics, l’émission d’un nouvel emprunt, affectent le cours des rentes ; de même la valeur des obligations d’une compagnie peut varier suivant que le revenu de ces obligations est garanti ou non par l’état, suivant le degré de prospérité de l’entreprise, suivant que la compagnie devra ou ne devra pas recourir à de nouveaux emprunts. Les valeurs de la seconde classe, les actions, sont naturellement beaucoup plus sensibles aux influences qui résultent de leur condition particulière. Leur revenu étant variable, les variations probables de ce revenu réagissent constamment sur celles du capital, sur les variations de leurs prix. S’il s’agit d’institutions de crédit, comme la Banque ou le Comptoir d’escompte, les publications mensuelles de leurs bilans, qui tiennent le public au courant de leurs affaires, permettent de pressentir, d’après le mouvement de leur situation, le chiffre de leurs bénéfices et d’estimer sur cette base la valeur de leurs actions ; s’il s’agit du Crédit mobilier, on peut supputer l’importance de ses profits présumés et le prix de ses actions d’après les affaires qu’il a commanditées ou qu’il est en train de préparer ; s’il s’agit d’un chemin de fer, la progression de ses recettes hebdomadaires, la comparaison de ces recettes avec celles des années précédentes, servent à établir, d’après le dividende probable que présagent les produits bruts, la valeur de l’action. Si une compagnie de chemin de fer sollicite des concessions nouvelles, si elle doit faire des appels de fonds, si elle est prête à s’unir par une fusion à’ d’autres compagnies, il y a la encore des élémens variables qui se font également sentir dans le prix de l’action. Ces exemples suffisent pour donner une idée des influences particulières qui, au-dessous de l’influence générale de la situation politique et financière, agissent sur les prix des valeurs.

Nous n’avons jusqu’à présent parlé que des influences naturelles, c’est-à-dire de celles qui naissent des choses et de leurs rapports réciproques. Nous arrivons aux influences artificielles, à celles que l’action personnelle des hommes qui se livrent au commerce des valeurs peut y exercer. Le problème du trafic des valeurs est le même que celui des autres trafics ; il se réduit à la vieille formule : acheter au meilleur marché possible et vendre le plus cher possible. Le grand art dans le commerce des valeurs consisterait donc à ramener les prix à un cours bas lorsqu’on veut acheter, à les porter à un cours élevé lorsqu’on veut vendre, ou du moins à prévoir les variations des cours et à en profiter. Existe-t-il des moyens par les quels, en combinant ses efforts avec les influences naturelles que nous avons indiquées, le trafiquant en valeurs puisse, à un moment donné, modifier les prix à sa convenance ou ménager ses mouvemens suivant les variations prévues des prix ?


Quelques explications préliminaires sur les opérations de la Bourse sont ici indispensables. Nous devons en effet supposer que le mécanisme de ces combinaisons n’est point familier à la majorité de nos lecteurs.

Les affaires auxquelles donne lieu le commerce des valeurs peu vent se diviser en deux classes d’opérations, les opérations au comptant et les opérations à terme.

Les opérations au comptant sont celles qui se règlent, par la livraison et le paiement de la valeur vendue, au moment où se fait l’opération ou dans un délai très limité ; Ce délai est de trois jours à la Bourse de Paris.

Les opérations à terme sont celles qui ne se règlent qu’à une époque plus ou moins éloignée du moment de la négociation, mais fixée d’avance. C’est ce règlement à une époque fixée d’avance que l’on appelle liquidation. Sur les rentes, les opérations à terme se liquident à la Bourse de Paris le 1er de chaque mois. Pour les opérations à terme, faites sur les actions des chemins de fer, du Crédit mobilier, etc., il y a deux liquidations mensuelles, l’une le 2 et l’autre le 16 de chaque mois. Le marché à terme n’existe pas pour les obligations.

Les opérations au comptant n’excluent aucune quantité de valeurs, quelque minime qu’elle soit. Une coupure de 10 francs de rente, une seule action, peuvent se vendre et s’acheter au comptant. Il n’en est pas de même des opérations à terme. Elles ne peuvent porter que sur des quotités fixes dont voici les bases minima : 2,250 fr. de rente pour le 4 1/2 pour 100 français ; 2,000 francs de rente pour le 4 pour 100 ; 1500 francs de rente pour le 3 pour 100 ; 25 actions des diverses sociétés dont les valeurs se négocient à terme. On ne peut pas acheter ou vendre à terme, là la Bourse de Paris, de moindres sommes de rentes françaises ou un nombre moindre d’actions. »

Les opérations à terme se subdivisent elles-mêmes en marchés fermes et en marchés à prime.

Le marché ferme est l’opération qui consiste à acheter ou à vendre une valeur dont la livraison contre espèces doit avoir lieu à l’époque de la liquidation. Trois cas peuvent se présenter dans cette opération : 1° le vendeur a les titres de la valeur vendue, et l’acheteur l’argent nécessaire pour la payer ; dans ce cas, la livraison des titres contre espèces a lieu au terme et aux prix convenus ; 2° le vendeur n’a pas les titres, tandis que l’acheteur a l’argent ; dans ce cas, le vendeur a fait ce que l’on appelle une vente à découvert, dans l’espoir que le prix de la valeur baisserait et qu’il pourrait la racheter, avant la liquidation, au-dessous du prix auquel il l’a lui-même vendue, et bénéficier de la différence. S’il s’est trompé dans son calcul, si la valeur, au lieu de baisser, monte, le vendeur à découvert est obligé de perdre une différence, ou, s’il veut continuer son opération, d’emprunter les titres qu’il doit livrer en liquidation à son acheteur, si celui-ci en exige la livraison. 3° Le vendeur a les titres, c’est l’acheteur qui n’a pas l’argent. Si celui-ci, qui comptait sur la hausse et espérait réaliser à son profit une différence, s’est trompé ; si, au moment de la liquidation, la valeur qu’il avait achetée à terme a baissé au lieu de monter, et si, comptant encore sur la hausse, il veut, au lieu de réaliser sa perte, conserver sa position jusqu’à la liquidation prochaine, il est dans la nécessité d’emprunter de l’argent pour payer les titres qui lui sont livrés ; il se fait reporter en payant un intérêt. Ainsi, le moment de la liquidation venu, ou les opérations à terme deviennent des opérations au comptant, et se liquident par les livraisons de valeurs contre espèces, ou elles s’ajournent jusqu’à la prochaine liquidation, soit au moyen du déport, redevance payée au titre, si les titres sont demandés et rares, soit au moyen du report, redevance payée à l’argent, si, les titres étant offerts et abondans, c’est l’argent au contraire qui, relativement aux titres, est rare et demandé.


Le marché à prime est une opération dans laquelle l’acheteur se réserve le droit d’annuler son marché à une époque fixée d’avance, moyennant l’abandon, au profit du vendeur, d’une indemnité appelée prime. C’est Law qui naturalisa chez nous cette combinaison, en achetant au pair, à six mois de date et avec une prime de 30 à 40 pour 100, des actions de sa compagnie d’Occident, lorsqu’elles perdaient encore moitié. La prime se calcule sur l’unité de l’intérêt pour les rentes, sur l’unité de l’action pour les autres valeurs. Les primes sont ordinairement de 50 centimes, 1 franc, 2 francs pour les rentes, de 10 francs et de 20 francs pour les actions. Dans le langage de la bourse française, acheter à prime, dont 50 ou dont 1, 1,500 francs de rente 3 pour 100, signifie que l’on paiera en prime au vendeur autant de fois 50 centimes ou 1 franc qu’il y a de fois 3 dans 1,500, c’est-à-dire 250 ou 500 francs, si, au jour de l’échéance de l’opération le cours de la rente 3 pour 100 étant inférieur au prix, déduction faite de la prime, auquel il l’a achetée, l’acheteur veut annuler son marché. De même, acheter vingt-cinq actions à prime, dont 10 ou dont 20, c’est se réserver le droit, moyennant le paiement d’une prime de 250 ou 500 francs, de ne pas prendre livraison de ces actions, si au moment de la liquidation elles n’ont pas atteint le prix, déduction faite de la prime, auquel elles ont été achetées. L’échéance des marchés à primes est fixée, à la Bourse de Paris, le dernier jour ; du mois pour les rentes, le dernier jour du mois et le 15 pour les actions : c’est ce que l’on appelle la réponse des primes. Si ce jour-là l’acheteur annule son marché, on dit que la prime est abandonnée ; dans le cas contraire, on dit que l’on lève, et alors le marché à prime devient ferme et se traite comme toute opération ferme, quelle que soit son origine.

Ces définitions sommaires comprennent toutes les opérations aux quelles donne lieu à la Bourse le commerce des valeurs. Sans entrer dans des explications détaillées sur les combinaisons auxquelles elles se prêtent, elles nous paraissent suffisantes pour l’intelligence de ce qui va suivre. On doit déjà voir, par exemple, quels sont, au point de vue des prix des valeurs, les caractères spéciaux des trois sortes d’opérations dont nous venons de parler, l’opération au comptant, l’opération ferme à terme, et l’opération à prime. L’opération au comptant donne le prix réel de la valeur tel qu’il résulte des rapports actuels de l’offre et de la demande. L’opération ferme à terme s’écarte du prix réel et actuel, elle fait intervenir dans le prix l’influence des chances diverses qui pourront se produire entre le moment où cette opération commence et le moment où elle devra se liquider : elle soumet le prix à une autre influence que celle qui résulte des rapports actuels des titres et de l’argent, à l’influence de la spéculation. Aussi, quand la spéculation est active, y a-t-il toujours une différence, un écart entre les prix du marché au comptant et le » prix du marché ferme à terme. Enfin l’opération à prime fait encore la part plus large à la spéculation : elle limite par la prime ses risques de perte en lui laissant ouvertes toutes les chances de bénéfice ; elle écarte donc davantage les prix de leurs conditions réelles. On comprend en effet que l’acheteur à prime doive payer l’avantage d’être, assuré contre la perte, en donnant de la valeur sur laquelle il spécule un prix supérieur au cours ferme de cette valeur.

Maintenant, avant de rechercher les combinaisons par lesquelles ceux qui font le commerce des valeurs peuvent, au moyen de ces opérations, modifier les prix à leur profit, considérons un instant les diverses classes de personnes qui sont intéressées et qui prennent part à ce commerce.

Il faut ranger en première ligne celles qui ne font point métier de ce commerce, et qui n’y prennent part qu’accidentellement pour des motifs légitimes et sérieux. Ce sont celles entre lesquelles se répartit la propriété des valeurs négociées à la Bourse, la classe des propriétaires de rentes, d’actions et d’obligations, qui les ont acquises et qui les gardent comme un placement fixe en vue des revenus qu’elles donnent. De cette masse de valeurs classées, il s’en détache chaque jour une certaine quantité que leurs propriétaires vendent pour parer à des besoins ou pour porter leurs fonds dans d’autres placemens. Chaque jour aussi, en regard de ces détenteurs de titres classés qui se défont de leurs valeurs, il se présente des gens qui veulent acheter des valeurs, dans des conditions analogues, pour faire des placemens fixes en vue de certains revenus. Ce sont ces deux besoins simultanés et destinés à se satisfaire l’un par l’autre qui établissent ce qu’on pourrait appeler le marché naturel des valeurs négociées à la Bourse. Celui de ces deux besoins qui est le plus vif subit la loi de l’autre. Si le besoin de vendre est plus considérable et plus pressant que celui d’acheter, les prix baissent jusqu’au point où ils puissent tenter un nombre d’acheteurs proportionné au nombre des vendeurs. Si au contraire le capital disponible abonde et recherche les placemens, les prix montent jusqu’au point où ils puissent décider à se départir de leurs valeurs un nombre de propriétaires de titres qui soit en rapport avec le nombre des acheteurs. Les opérations auxquelles donnent lieu ces rapports entre les propriétaires de titres qui vendent et les détenteurs de capital disponible qui achètent des valeurs comme placement se font au comptant, du moins lorsqu’elles portent sur de petites sommes.

Après cette classe de gens intéressés sérieusement au prix des valeurs par le besoin réel d’en vendre ou d’en acheter, il faut placer ceux qui n’ont dans les opérations de bourse d’autre mobile qu’un intérêt de spéculation. On peut distinguer trois sortes de spéculateurs : 1° ceux qui spéculent avec des ressources réelles et qui sont en état de liquider leurs opérations, soit en livrant des titres qui leur appartiennent s’ils ont vendu, soit en payant les titres avec leur propre argent s’ils ont acheté ; 2° ceux qui font profession de spéculer dans des proportions qui dépassent leurs ressources, qui ne pourraient ni lever les titres qu’ils vendent ni payer les valeurs qu’ils achètent, et qui ne font entrer dans leurs prévisions que le gain ou la perte d’une différence ; 3° les spéculateurs d’occasion, ceux qui font une opération à la Bourse accidentellement, et qui jouent sur l’effet que pourra produire un événement politique, ou une circonstance encore ignorée, laquelle, une fois connue, devra modifier le prix des actions de telle ou telle compagnie.

De ces trois classes de spéculateurs, la première, celle des gens qui spéculent dans les conditions de leurs ressources réelles, s’est considérablement accrue dans ces dernières années. Ils forment, entre les valeurs classées et les capitaux qui cherchent des placemens, une sorte de corps mobile qui va sans cesse, éparpillé en fourrageurs, d’un côté à l’autre. La tactique de ces spéculateurs est d’acheter des valeurs lorsque les prix sont bas, de les lever, comme on dit à la Bourse, de les garder jusqu’à ce que les prix remontent, de les revendre alors, en réalisant un bénéfice, pour recommencer la même manœuvre au retour de la baisse. Comme cette spéculation est toujours basée sur des ressources réelles en titres ou en argent, elle agit dans des données relativement restreintes, et ses effets vont se confondre avec ceux que produisent sur le marché les opérations déterminées par les besoins naturels de vente et d’achat dont nous parlions tout à l’heure.

Il n’en est point ainsi des spéculateurs de profession et de la spéculation proprement dite. Celle-ci ne fait pas entrer dans ses prévisions la levée ou la livraison réelle des titres sur lesquels elle agit ; elle ne mesure pas l’importance de ses achats ou de ses ventes aux sommes d’argent ou aux quantités de titres que ses opérations exigeraient, si elles devaient se liquider réellement par des paiemens ou des livraisons ; elle les proportionne à la différence dont elle pour suit le bénéfice et dont elle consent, à encourir la perte, et ses opérations portent nominalement sur de grandes sommes de valeurs. L’affaire de la spéculation est de pressentir les mouvemens de hausse ou de baisse qui pourront se produire dans les prix d’une liquidation à l’autre. Elle n’opère jamais au comptant : c’est elle qui vend à découvert, qui achète à terme, qui emploie, pour limiter ses risques, l’expédient des marchés à prime. Comme elle agit sur de grandes masses nominales de valeurs, et comme elle a la prétention de prévoir et de devancer, pour en recueillir à son profit les différences, les variations qui dans un temps donné affecteront les cours des valeurs, elle exerce une grande influence sur les prix. Si elle touche juste, si le besoin d’acheter des titres ou le besoin d’en vendre dominent à la liquidation, comme elle l’avait prévu, elle gagne, et les prix prennent les cours de hausse ou de baisse dont elle a donné le signal. Si elle se trompe au contraire, son impulsion agit en sens inverse de l’effet qu’elle avait voulu produire, car elle est obligée, pour se liquider, soit de racheter les valeurs qu’elle avait vendues dans la prévision de la baisse, et par la elle surexcite la hausse, soit de revendre les valeurs qu’elle avait achetées dans l’espoir de la hausse, et par la elle aggrave la baisse. C’est alors que, si elle ne veut pas se tenir pour battue, et si elle persévère dans ses appréciations générales sur l’avenir prochain du marché, elle a retours, pour continuer ses opérations jusqu’à une autre liquidation, à la combinaison des reports que nous avons expliquée. Si le prix des reports est insignifiant, la spéculation est encouragée dans ses tendances et persiste dans sa situation. Si le prix de ces crédits est très élevé, s’il impose des charges trop lourdes à la spéculation, il faut qu’elle s’exécute et se liquide en réalisant ses pertes. Il est inutile d’ajouter que la spéculation choisit de préférence, pour objet de ses opérations, les valeurs qui sont les plus sensibles aux variations de hausse et de baisse.

À ceux qui vendent et achètent pour sortir sérieusement des va leurs et y entrer réellement, à ceux qui achètent et vendent avec de l’argent et avec des titres pour réaliser sans risque et à leur heure des différences, à ceux qui spéculent sur la hausse ou la baisse, resserrés entre les limites de deux liquidations, mais qui se livrent à ce jeu avec suite et qui en connaissent et qui en appliquent toutes les combinaisons, viennent s’ajouter les spéculateurs d’occasion. Le nombre de ceux-ci s’est aussi considérablement accru dans ces derniers temps. On a un renseignement poétique, on croit qu’il est de nature à faire monter ou baisser la rente ; on achète ferme ou à prime, ou l’on vend une certaine quantité de rentes pour gagner une différence sur la hausse ou la baisse à laquelle on s’attend. On est informé qu’une fusion se prépare entre tels et tels chemins de fer ; les actions de ces chemins devront monter lorsque la fusion sera connue du public, on achète un certain nombre de ces actions pour les revendre et gagner une différence quand le mouvement de hausse se produira. Dans le langage pittoresque de la Bourse, ces spéculations accidentelles s’appellent des coups de pistolet. Ces coups de pistolet sont devenus à la mode dans les rangs les plus divers de la société. Une nuée de petits spéculateurs prend son élan lorsqu’on croit qu’un incident politique pourra se traduire en mouvement de bourse. Les grands spéculateurs se rient ordinairement de ces petits joueurs, que l’on a vus pendant la dernière guerre si empressés à escompter les évolutions de la diplomatie. « La diplomatie à la Bourse, c’est 3,000 francs de rente, » disait un homme d’esprit en se moquant des petits enjeux que viennent risquer ces intrus sur la foi d’une nouvelle. Cependant ces spéculateurs d’occasion sont quelque fois très incommodes aux spéculateurs de profession. Pour ceux-ci, les jeux de bourse sont une science et un art ; ils tiennent compte à la fois, dans leurs opérations, de tous les élémens qui peuvent influencer les prix des valeurs, et ils ne négligent aucune des combinaisons à l’aide desquelles ils peuvent se parer. Les spéculateurs d’occasion au contraire n’agissent que sur une seule donnée ; emportés par une idée fixe, ils font irruption en désordre et sans discipline sur un terrain qui leur est inconnu, dans une sorte de guerre dont ils ignorent la tactique. On les a appelés assez plaisamment les bachi-bouzouks de la spéculation. Les charges intempestives de ces bachi-bouzouks créent parfois de sérieuses difficultés aux spéculateurs de profession, dont elles compromettent le jeu en l’exagérant et en lui imprimant des saccades désordonnées. C’est ce qui est arrivé à la fin de l’année dernière, lorsque les premiers bruits de paix amenèrent à la Bourse une avalanche de gens du monde trop tôt et trop bien informés.

Nous arrivons enfin à la classe la plus puissante des personnes intéressées aux opérations de bourse, aux banquiers et aux grands capitalistes qui font valoir leurs fonds dans le commerce des valeurs.

Les banquiers et les grands capitalistes qui trafiquent des valeurs réunissent en eux les conditions des diverses classes que nous venons de passer en revue. Comme les détenteurs sérieux de titres, ils ont parfois besoin de vendre des valeurs ; comme les détenteurs de capitaux, ils ont parfois besoin d’en acheter pour faire des placemens ; de même que les petits spéculateurs au comptant, leur affaire est d’acheter dans les bas prix et de vendre dans les prix élevés ; seulement, comme ils agissent avec de plus grandes quantités de valeurs ou des fonds plus considérables, ils peuvent tenir de liquidation en liquidation la partie des grands spéculateurs de profession et des petits spéculateurs d’occasion. En définitive, toutes les opérations de la spéculation, les opérations à terme et à prime, viennent se résoudre, à chaque liquidation, en opérations au comptant. À chaque liquidation, les opérations en sens contraire de vente et d’achat qui sont engagées à la Bourse se compensent pour la plupart, mais celles qui ne s’annulent pas par compensation doivent se régler par des livraisons de titres et des paiemens en espèces. À ce moment-là, le marché à terme rejoint le marché au comptant et se trouve ramené aux conditions de celui-ci, c’est-à-dire se ter mine en baisse, si les besoins d’argent chez les détenteurs de titres sont plus pressans que les besoins de placemens en valeurs chez les détenteurs de l’argent, et se termine en hausse, si c’est le contraire qui a lieu On comprend sans peine la grande influence que les riches banquiers et les puissans capitalistes peuvent à ce moment exercer sur le marché. Ce sont eux qui possèdent les grandes réserves de titres et les grandes réserves de capitaux. Ils sont souvent en position de faire la loi à la spéculation qui opère sans titres et sans capitaux, qui ne peut ni livrer la valeur, ni la payer avec ses propres ressources, et c’est cette loi qui fixe, par exemple pour la spéculation à la hausse, le prix des reports, dont le taux réagit immédiatement sur les prix des valeurs.


On doit commencer à pressentir ici qu’il existe des moyens pour les grands banquiers et les grands capitalistes de modifier les prix à leur convenance à certains momens donnés, indépendamment des influences naturelles, générales ou particulières qui en déterminent la tendance. Les banquiers et les capitalistes sont d’ailleurs obligés par nécessité d’état de remplir et de vider alternativement leurs portefeuilles, et de faire cette opération le plus souvent possible ; ils doivent être constamment appliqués à vendre plus cher qu’ils n’achètent ; il faut par conséquent s’attendre à les voir rechercher et employer tous les moyens qui sont à leur disposition pour modifier les prix à leur avantage, c’est-à-dire pour peser sur les cours quand ils ont besoin d’acheter, pour les faire monter quand ils ont besoin de vendre. Nous ferons seulement remarquer, avant d’indiquer quelques-uns de ces moyens, qu’en les employant dans les conditions égales de la concurrence et sous le frein de la responsabilité personnelle, les banquiers ordinaires usent d’un droit légitime ; c’est pour eux la seule manière de se défendre dans les luttes de la Bourse, où leur profession les engage ; la concurrence des intérêts neutralise au surplus les mauvais effets de ces pratiques, et les fait tourner en définitive au profit général.

Cette réserve posée, qu’on nous permette de présenter, en exagérant un peu les expressions afin de nous rendre plus intelligibles, quelques-uns des cas où peut se faire sentir l’influence des grandes concentrations de capitaux s’exerçant à la Bourse au moyen dès combinaisons que nous avons décrites, et à l’encontre des diverses classes de spéculateurs que nous avons signalées.

Appelons X… un banquier ou un grand établissement agissant avec une masse de capitaux assez considérable pour que ses mouvemens ne puissent s’accomplir sans que, dans de certaines circonstances, les mouvemens du marché ne s’en ressentent. Supposons que X… ait des emplois de fonds à faire en valeurs. Il veut acheter ; il est par conséquent intéressé momentanément à voir ramenées à des prix bas les valeurs qu’il se propose d’acquérir. Le mécanisme des reports lui fournit le moyen d’agir dans le sens de cet intérêt. Le report est, comme nous l’avons vu, la forme du crédit que le capital fait à la spéculation. À la faveur du report, les spéculateurs qui ont acheté à terme des valeurs dont ils n’ont pas les moyens de payer les titres peuvent prolonger leur opération en payant un intérêt pour un mois s’ils ont acheté de la rente, pour quinze jours s’ils ont acheté des actions. En élevant cet intérêt, on met les spéculateurs dans la nécessité d’avouer leur besoin d’argent ; en l’élevant encore, on finit par les contraindre à vendre les valeurs qu’ils avaient achetées. Ces ventes forcées se font pour la plupart le même jour, le jour de la liquidation, elles produisent une baisse, et X…, le capitaliste de notre hypothèse, en supprimant ou restreignant le crédit qu’il faisait à la spéculation, peut profiter de cette baisse pour acheter à bas prix les valeurs abandonnées par la spéculation.

Dans le cas contraire, si au lieu d’acheter X… veut vendre, s’il a intérêt à la hausse des prix, le mécanisme des reports fournit également le moyen de produire le mouvement inverse dans le sens de la hausse. Si la rareté des capitaux qui se prêtent à la spéculation ; sur une valeur amène la baisse de cette valeur, le retour de l’abondance des capitaux vers la valeur qu’on veut faire monter en détermine la hausse. L’extrême modicité ou la gratuité du prix des reports est un signe de la rareté des titres ; elle semble en effet annoncer que les détenteurs des valeurs ne veulent pas s’en dessaisir, et que ceux qui les ont vendues ne sont point en état de les livrer, puis qu’ils consentent à faire les reports sans profit. Cette situation du marché est une cause de hausse, car elle indique que l’argent est plus abondant que les titres, que la demande est plus forte que l’offre. Les spéculateurs à la hausse se portent donc sur la valeur qui présente des conditions de report si avantageuses, et déterminent un mouvement de hausse dont ceux qui ont fourni les fonds pour les reports peuvent profiter en écoulant à un prix élevé la va leur qu’ils ont à vendre. Lorsqu’ils ont achevé leurs ventes, ils peuvent faire disparaître l’abondance apparente des capitaux qui avait alléché la spéculation, et élever le prix des reports. Alors les spéculateurs, ne trouvant plus à la liquidation suivante le marché dans les conditions sur lesquelles ils avaient compté, lâchent pied, vendent, font la baisse à leurs dépens, et ceux qui, au moyen de la supériorité de leurs capitaux, ont dirigé ce double mouvement, peu vent profiter encore de la baisse pour acheter, comme ils avaient profité de la hausse pour vendre.

Les opérations à prime sont surtout celles qui peuvent fournir aux puissans capitalistes le moyen de vendre leurs valeurs au-dessus du cours naturel. Nous avons expliqué la combinaison de l’opération à prime. L’acheteur d’un côté limite sa perte et se réserve de renoncer à son marché moyennant le paiement d’une prime ; mais d’un autre côté il s’engage, dans le cas où il n’abandonnera pas le marché, à payer la valeur à un prix plus élevé que celui qu’elle a actuellement sur le marché des opérations fermes. Quand on a des quantités considérables de valeurs à vendre, et quand on peut s’aider au besoin et au moment voulu de la force des capitaux, la tactique à suivre est naturelle. On vend ses valeurs à prime, c’est-à-dire à un prix plus élevé que le cours actuel. Pour se défaire de ses valeurs, il faut qu’au moment de la réponse des primes ces ventes à prime deviennent des ventes fermes, c’est-à-dire que les acheteurs n’abandonnent pas leur marché et lèvent les valeurs ; mais pour cela il faut que ces valeurs soient montées et aient regagné l’écart qui élève le cours des primes au-dessus des cours du marché ferme, il faut amener la hausse sur ces cours. Cette hausse, on peut quelquefois la produire en faisant, le jour de l’échéance du marché, des achats importans. Le cours atteignant alors le prix des primes, les affaires à prime deviennent des affaires fermes. Les acheteurs sont obligés de lever les titres ; mais les acheteurs à prime, spéculateurs qui s’étudient à limiter leurs chances de perte, n’ont pas toujours les moyens de payer les titres : ils se hâtent de les revendre et les revendent avec perte, tandis que le vendeur puissant a pu obtenir pour ses valeurs un prix supérieur au cours normal.

Nous n’irons pas plus loin dans cet aperçu des effets que peut avoir l’action des grandes concentrations de capitaux sur le commerce des valeurs et les opérations de bourse. Placés entre l’embarras de dire trop ou l’inconvénient de ne point dire assez, nous préférons rester sur cette dernière alternative. D’ailleurs, pour mieux nous faire comprendre des lecteurs étrangers à ces matières, nous avons peut-être exagéré les cas que nous venons de supposer. Dans la pratique, pour que des effets semblables se produisent au profit des personnes ou des établissemens qui abordent la Bourse avec de grandes masses de capitaux, il n’est point nécessaire qu’il y ait de la part de ces établissemens ou de ces personnes une préméditation déterminée, un calcul arrêté de modifier dans tel ou tel sens le prix des valeurs. Les puissans détenteurs de capitaux jouent à la Bourse un double rôle : ils sont d’un côté, par les reports, les banquiers des spéculateurs, ils sont les maîtres du crédit nécessaire à la spéculation ; d’un autre côté, ils sont les plus sérieux et les plus puissans commerçans en valeurs, ceux qui par état ont à en vendre ou à en acheter régulièrement les plus grandes quantités : ces deux situations les éclairent mutuellement sur les chances de variations qui sont à prévoir dans les prix. Les capitaux employés en reports sont des capitaux flottans, ils proviennent du surplus des fonds de roulement que le crédit commercial peut laisser momentanément à la disposition du crédit public et du crédit commanditaire : l’état variable de ces fonds disponibles, les conditions d’abondance ou de rareté qu’ils présentent suffisent pour permettre à ceux qui tiennent dans leurs mains le crédit nécessaire à la spéculation de prévoir les variations probables des prix et de ménager ou de saisir les momens opportuns, afin d’effectuer avantageusement leurs achats ou leurs ventes. Sans avoir l’intention d’influer arbitrairement sur les prix, il suffit aux grands détenteurs de capitaux, pour produire des mouvemens, de prendre les positions que leur conseillent leurs intérêts, d’après les données supérieures d’information et d’appréciation qu’ils possèdent, et à l’aide des combinaisons que leur offre le jeu de la spéculation.

Résumons l’action des divers élémens qui influent sur la fixation et les variations des prix des valeurs à la Bourse. Le prix d’une valeur représente, outre la somme fixe qui a constitué à l’origine le capital de l’entreprise ou le prix d’émission du titre, l’augmentation future qu’acquerra cette somme soit par les progrès de la richesse générale, si la valeur est un titre de rente, soit par la richesse qui sera créée par l’entreprise, si la valeur est une action. C’est cette seconde part du prix des valeurs qui s’établit à la Bourse. Là cette richesse générale ou particulière que l’avenir devra ajouter aux va leurs est chaque jour calculée, estimée, prévue par la spéculation, — et, tout en profitant à la portion du public qui a pris les titres à l’émission, elle se partage principalement entre les spéculateurs et les grands détenteurs de capitaux, ceux-ci étant assurés d’ailleurs d’obtenir avec le moins de risques le lot le plus avantageux. Puis, au-dessous de ce grand et premier partage de la richesse future, les oscillations des prix amenées par les incidens politiques ou financiers et par les combinaisons particulières au commerce des valeurs donnent sans cesse lieu à des différences en hausse ou en baisse, comblées alternativement par les détenteurs sérieux de valeurs qui ont besoin de réaliser ou par les détenteurs de capitaux qui ont des fonds à placer, mais dont les frais sont faits plus particulièrement par les spéculateurs, et dont les profits vont presque toujours aux grandes accumulations de capitaux. Ainsi, une fois le premier partage dont nous venons de parler accompli, ceux qui ont le besoin sérieux de vendre ou d’acheter des valeurs subissent, quant aux prix, la loi de la spéculation, qui devance et exagère toujours un peu la tendance prédominante, et la spéculation à son tour, même lorsqu’elle a la chance de deviner juste, est toujours obligée de partager ses profits avec les grands détenteurs des capitaux. En un mot, les opérations de bourse ne sont point productives de richesse : elles ont pour résultat général, appliquées aux titres des entreprises, la répartition anticipée de la richesse nouvelle que doivent créer ces entreprises, — appliquées aux titres qui représentent des rentes fixes, la répartition également anticipée et graduelle de l’accroissement de valeur que ces titres devront obtenir par le mouvement ascensionnel de la richesse générale, — et dans cette répartition anticipée, qui allume les convoitises de la spéculation, celle-ci cède ordinairement aux grandes concentrations de capitaux le plus clair de son butin. Réciproquement, dans les temps où les progrès de la richesse générale s’arrêtent et où les prix sont entraînés vers la baisse, la spéculation, qui prévoit et devance le mouvement, le précipite, l’exagère et partage avec les puissans capitalistes la différence qu’elle gagne en baisse sur les détenteurs de titres qui ont besoin de les réaliser.


On doit maintenant comprendre combien c’est une question délicate que d’apprécier et de mesurer l’influence que pourra exercer sur le théâtre de telles opérations, sur le marché où se distribuent d’avance les augmentations ou les pertes qu’éprouve une portion si considérable de la richesse générale, l’intervention d’un établissement semblable à la société de Crédit mobilier.

La puissance d’un établissement pareil sur le commerce des valeurs est manifeste. On peut la considérer naturellement sous deux aspects. Une portion de ses ressources, celle qui est temporaire et qui provient des dépôts qu’il reçoit en comptes courans, lui permettra, employée en reports, de faire crédit à la spéculation. L’autre portion, celle que lui fournissent les sommes disponibles de son capital social, lui permettra de faire des opérations considérables et réelles d’achat et de vente de valeurs. Ses statuts l’autorisent d’ailleurs à lier ces opérations avec la spéculation elle-même, car ils ne lui interdisent que les ventes à découvert et les achats à prime, opérations à l’usage de ceux qui jouent sans titres et sans argent ; ils laissent à la disposition du Crédit mobilier les moyens d’influence artificielle sur les prix que nous avons décrits. Protégé par la loi de ses statuts contre les témérités et les risques du jeu, il lui est permis cependant d’user et de profiter des combinaisons qui excitent les joueurs. Il ne peut pas faire de ventes à découvert, mais il peut acheter à terme les valeurs qu’il est en mesure de payer, et vendre à terme les valeurs qu’il a dans son portefeuille ; il lui est défendu d’acheter des primes, mais il peut en vendre. En un mot, en se livrant au commerce des valeurs, il prête, il vend, il achète à la spéculation, en ayant sur elle, outre les avantages d’informations que sa position lui assure, la supériorité des capitaux et de son caractère de société anonyme.

C’est ici surtout qu’il paraîtrait difficile de concilier le rôle de la société de Crédit mobilier avec l’action que l’on attend habituellement d’un établissement public. Le propre d’une institution de crédit, créée en vue des intérêts généraux, est de rendre des services généraux, de ne chercher ses profits légitimes que dans l’accomplissement de ces services, et non de poursuivre des bénéfices dans des transactions aléatoires. Si l’on mesurait à cette règle l’intervention du Crédit mobilier dans le commerce des valeurs, nous croyons qu’il faudrait de deux choses l’une, ou que le Crédit mobilier renonçât au caractère d’institution publique auquel il aspire, ou que son action à la Bourse fût resserrée dans des limites plus étroites que celle à qui lui sont assignées par ses statuts.

Le Crédit mobilier, en prenant part librement au commerce des valeurs, n’y remplira pas des services généraux. Qu’on l’envisage comme banque de report ou comme acheteur et vendeur de va leurs, la conclusion sera la même. Comme banque de report, le Crédit mobilier ne saurait avoir des ressources assez abondantes ou assez régulières pour suffire en tout temps aux demandes de crédit de la spéculation. Sous ce rapport, le reproche qu’on lui a fait d’avoir laissé quelquefois en souffrance cette branche de crédit est injuste. Les fonds prêtés en reports aux spéculateurs de la Bourse ne peu vent provenir que de l’excédant des fonds de roulement du commerce et de l’industrie qui sont momentanément disponibles. Les spéculateurs, par l’intérêt élevé qu’ils consentent quelquefois à payer pour les reports, exercent trop souvent sur ces fonds une attraction nuisible à la saine activité du commerce et de l’industrie, et contribuent, comme on l’a vu dans ces derniers temps, à restreindre douloureusement les ressources du crédit commercial. Le Crédit mobilier ne peut en outre consacrer aux reports qu’une partie des fonds de roulement qui lui arrivent en comptes courans. Or le chiffre même de ses comptes courans est limité par ses statuts ; les ressources des comptes courans sont temporaires et variables, et d’autres emplois plus urgens que les reports peuvent en réclamer, en certaines circonstances, une portion considérable. Le Crédit mobilier est donc dans l’impuissance d’assurer, sous la forme de reports, la dispensation complète, régulière et peu coûteuse de crédit que l’on voudrait exiger de lui au nom de la spéculation. Comme banque de report, le Crédit mobilier ne rend donc que des services partiels et accidentels. Comme commerçant en valeurs, si l’on ne veut point restreindre le Crédit mobilier à vendre uniquement les valeurs acquises par lui dans la commandite des entreprises, s’il peut, avec les fonds disponibles de son capital, opérer sur toute sorte de valeurs, il est plus évident encore qu’il ne saurait, en agissant ainsi, remplir un service général. Au nom de quel principe et de quel intérêt d’utilité publique achèterait-il telle valeur plutôt que telle autre, vendrait-il celle-ci et non celle-là ? Il ne serait guidé, dans des opérations semblables, que par les mobiles qui entraînent dans un sens ou dans l’autre les intérêts particuliers adonnés à ce commerce, par l’espérance d’un bénéfice, espérance fondée sur les élémens d’appréciation qu’il possède, et servie par les ressources dont il dispose et l’habileté nécessaire pour se mouvoir à travers les combinaisons usitées à la Bourse. Mais faudrait-il reconnaître le caractère d’un établissement public dans une maison de banque que l’on verrait, remorquant la spéculation ou remorquée par elle, appliquée à recueillir des différences suivant les variations prévues des cours des valeurs ? Ce n’est point nous qui oserions l’affirmer.


V

Il serait difficile de rendre un compte précis et détaillé des opérations de la société générale de Crédit mobilier pendant les trois années qui se sont écoulées depuis sa fondation. Les documens publiés par la société ne contiennent point à cet égard des données suffisantes. Ces documens sont les trois rapports présentés en assemblée générale par M. Isaac Pereire le 29 avril 1854, le 30 avril 1855 et le 23 avril 1856. Ils ne font guère connaître que les résultats généraux des opérations. Ils ne fournissent point sur la nature spéciale de ces opérations des renseignemens complets, tels que ceux que l’on est habitué à rencontrer dans les comptes rendus annuels de la Banque et du Comptoir d’escompte. Pour donner une idée de la lacune dont nous nous plaignons, ne serait-il pas intéressant, si l’on voulait bien saisir l’étendue et la portée des opérations commanditaires de la société, de voir récapitulées en un tableau les sommes que la société aurait engagées dans ces opérations et celles qu’elles en aurait dégagées dans le cours de l’année. De même, pour les opérations qui concernent la vente et l’achat des valeurs, on désirerait pouvoir suivre dans un tableau spécial les entrées et les sorties du portefeuille du Crédit mobilier ; d’autres tableaux qui indiqueraient les sommes affectées aux reports dans l’ordre des liquidations, les mouvemens des comptes courans, etc., permettraient d’apprécier complètement la marche et de juger exactement la situation de la société. Les informations de ce genre, dont la Banque et le Comptoir d’escompte sont si peu avares, manquent ici. Elles sont pourtant de celles qu’une société anonyme, en vertu et en échange du privilège dont elle jouit, doit strictement au public. Les opérations d’un établissement comme le Crédit mobilier, à cause de l’élément de spéculation qui peut s’y mêler, ont-elles besoin de mystère ? La bonne conduite en serait-elle quelquefois compromise même par des révélations rétrospectives ? C’est possible ; mais, d’un autre côté, la garantie que les sociétés anonymes doivent en retour de l’exemption des responsabilités commerciales dont elles jouissent, c’est une publicité complète : les partisans les plus décidés de cette forme d’association commerciale sont unanimes à reconnaître qu’il faut que la société anonyme soit une maison de verre. Toute entreprise qui pré tendrait que ses opérations sont incompatibles avec une, complète publicité se déclarerait par ce seul fait incompatible elle-même avec la forme anonyme.

Une situation générale, résumé du bilan, et un extrait du compte de profits et pertes sont les seuls documens que publient annuellement les administrateurs du Crédit mobilier. Nous essaierons, en nous aidant des explications données par le président dans ses rapports, d’y puiser les élémens nécessaires pour présenter un aperçu des opérations de la société.


Nous n’avons jusqu’ici exposé et discuté que le programme de la société de Crédit mobilier. L’ensemble de la situation commerciale, financière et politique que le Crédit mobilier a eu à traverser depuis sa création l’a empêché de réaliser entièrement ce programme. Les mauvaises récoltes, les complications extérieures, la guerre, les emprunts qui ont absorbé une si grande masse des capitaux qui doivent en temps régulier alimenter le crédit commanditaire, ont opposé d’invincibles obstacles à l’entier développement du système. « En de telles conjonctures, disait M. Isaac Pereire dans son second rapport, la prudence était notre premier devoir, et, sans renoncer aux plans que nous avions formés, nous devions cependant, au début, ne procéder à leur réalisation qu’avec une grande réserve. Il ne faut donc pas attendre de nous l’exécution complète du programme que nous avons tracé l’année dernière ; chacune des parties de ce programme demandera peut-être pour son accomplissement plusieurs années d’efforts ; heureusement le cercle en est assez étendu pour qu’à tout moment et dans toutes les circonstances notre action puisse trouver utilement à s’exercer. »

Rappelons d’abord les ressources avec lesquelles la société a pu opérer pendant les trois exercices qu’elle a parcourus depuis sa fondation. Ces ressources résultent du capital et des comptes courans.

Créée à la fin de novembre 1852, la société de Crédit mobilier n’avait appelé d’abord que la moitié de son capital, 30 millions ; mais dès le mois de juin 1853 les sommes reçues par elle en compte courant avaient atteint la limite fixée par les statuts, le double du capital réalisé, 60 millions. Le développement de ses comptes courans l’avait obligée de retirer de la circulation une première série d’obligations à courte échéance qu’elle y avait lancée en essai : le même motif l’obligea à hâter le deuxième appel de fonds, et son capital fut à peu près complété le 31 décembre 1853. Les sommes reçues sur le capital s’élevaient à cette époque à 56 millions et demi ; les 60 millions furent entièrement réalisés dans le courant de 1854.

Nous venons de dire le rapide développement qu’avaient pris les comptes courans. La masse des fonds versés au Crédit mobilier sous cette forme s’éleva, pendant le premier exercice, à 147,374,423 fr. 37 centimes. Le solde de ces fonds au 31 décembre, 1853 était de 65,839,059 fr. 74 cent. Ces fonds étaient versés au Crédit mobilier par les grandes compagnies avec lesquelles il était en relation. Des traités passés entre le Crédit mobilier et ces compagnies stipulaient que celles-ci ne pourraient retirer les sommes déposées par elles que pour les besoins de leur service. Le compte-rendu du second exercice (1854) ne fait pas connaître le mouvement total des comptes courans pendant l’année ; il ne donne que le solde au 31 décembre 1854, s’élevant à 64,924,379 fr. 9 cent. Ce chiffre était, à peu de chose près, le même que celui de l’année précédente. « Cette permanence, dit M. Isaac Pereire, est d’autant plus remarquable, que les élémens de ce chapitre de nos recettes ont subi de nombreuses modifications. » M. Isaac Pereire ne fournit pas de renseignemens sur la nature spéciale de ces modifications ; il se contente d’ajouter : « L’importance de quelques-uns des comptes de ce chapitre s’est trouvée réduite, mais le nombre de nos correspondans s’est accru, ce qui est préférable. Nous possédons une clientèle qui forme, par le mouvement de ses dépôts et de ses retraits, un double courant dont les différences se compensent. Notre intention est de favoriser ce mouvement en donnant une nouvelle extension à ces comptes ; dans ce but, nous admettons les particuliers comme les compagnies à verser chez nous en comptes courans à un intérêt que nous comptons fixer à 2 ou 2 1/2 pour 100, et nous nous chargerons d’effectuer pour leur compte toutes,opérations de placemens, de ventes et d’achats de valeurs industrielles ou de fonds publics. » En 1855, le développement annoncé par M. Isaac Pereire s’est réalisé : le solde des comptes courans était au 31 décembre dernier de 103,179,308 fr. 64 cent.

C’est donc avec un capital qui a été de 36 millions en moyenne pendant 1853, et de 60 millions en 1854 et 1855, et avec une somme de 65 millions en moyenne pendant les deux premières années, et de 100 millions dans la troisième, provenant des comptes courans, que la société de Crédit mobilier a opéré ; mais les sommes provenant du capital et des comptes courans n’expriment pas toute la puissance du Crédit mobilier. Dans ses opérations commanditaires, le Crédit mobilier a le concours d’une clientèle dont les rapports de M. Isaac Pereire font valoir l’importance croissante. En tête de cette clientèle sont ceux que M. Pereire appelle « les grands capitalistes qui marchent habituellement avec nous, les grands capitalistes qui se sont associés à nous, et parmi lesquels figurent les administrateurs de la compagnie. » Puis viennent les actionnaires de la société, entre lesquels le Crédit mobilier distribue, par une combinaison que nous avons expliquée, une portion considérable des valeurs qu’il émet pour créer de nouvelles affaires. Enfin, grâce à la mesure par laquelle la société a ouvert ses comptes courans aux particuliers, M. Isaac Pereire espère ajouter une troisième classe à cette clientèle, la classe de ceux qui déposeraient leurs fonds en comptes courans au Crédit mobilier, et « pourraient attendre les occasions de placement que la société serait dans le cas de leur offrir. »

Telles sont les ressources directes ou indirectes avec lesquelles a marché le Crédit mobilier. Les opérations auxquelles il les a appliquées se divisent en trois catégories : commerce des valeurs (achat et vente de rentes et d’actions et obligations des compagnies, reports, placemens à court terme), — services d’intermédiaire rendus aux grandes compagnies pour leurs opérations financières ou leur reconstitution, — création et commandite d’affaires nouvelles. Nous allons les passer successivement en revue.


Nous avons vu que les ressources directes du Crédit mobilier proviennent de deux sources, son capital et les comptes courans. Les administrateurs du Crédit mobilier ont affecté chacune de ces deux branches de leurs ressources à une catégorie d’affaires correspondante à sa nature. Ils ont consacré aux placemens fixes les sommes qui représentent leur capital, aux placemens à échéance déterminée les sommes dérivant des comptes courans.

Le terme de placemens fixes, M. Isaac Pereire le reconnaît, ne caractérise point avec exactitude les opérations qu’il sert à désigner dans la comptabilité du Crédit mobilier. Le Crédit mobilier n’en tend point faire des placemens réellement fixes des sommes qu’il emploie dans ces opérations ; ce sont des achats temporaires de fonds publics, actions et obligations, c’est-à-dire des placemens temporaires sur des valeurs qui de leur nature sont des valeurs de place mens fixes. Pour le Crédit mobilier, malgré l’application impropre du mot, « ces placemens sont, dit M. Pereire, l’objet de transformations incessantes, suivant les chances de variations prévues dans les cours. » en termes plus nets, ils représentent les sommes que le Crédit mobilier emploie dans les opérations d’achat et de vente des va leurs, en profitant des alternatives de la hausse et de la baisse, en achetant à bon marché et en vendant cher. M. Isaac Pereire semblait chercher à justifier ce genre d’opérations, dans son rapport de 1854, par les explications suivantes : « Nous avons dû apporter une extrême circonspection dans nos placemens, et notre préoccupation constante a été soit d’améliorer les conditions de ces placements par des opérations d’arbitrage, soit d’éviter que leur valeur se trouvât diminuée sous la double influence des événemens politiques qui se préparaient à l’extérieur et des craintes que faisait concevoir la récolte. Le résultat définitif des opérations du Crédit mobilier, lorsqu’il aura pris tous les développemens prévus par nos statuts, se résumera, en dehors du revenu de notre capital, dans une différence d’intérêt entre la somme de ses emprunts et la somme de ses placemens. Parvenus à ce point, les variations des cours nous seraient jusqu’à un certain point indifférentes, puisque nos bénéfices se trouveraient basés sur des revenus et non sur des oscillations de capital ; mais, avant que cet état de choses ait pu se réaliser, nous ne pouvions négliger de recueillir les différences qui se présentaient sur des placemens qui n’avaient point encore de caractère définitif. » Traduites en langage vulgaire, ces explications signifient que, tant que la société n’aura pas donné à ses opérations tous les développemens prévus par les statuts, c’est-à-dire tant qu’elle n’aura pas émis assez d’obligations pour pouvoir racheter et consolider les titres particuliers des entreprises diverses, sa préoccupation constante sera — soit d’améliorer la condition de ses placemens par des opérations d’arbitrage, c’est-à-dire en vendant les valeurs qui lui paraîtront devoir être affectées par la baisse, et en achetant en égale proportion les valeurs qui lui paraîtront susceptibles de hausse, — soit d’éviter que la valeur de ses placemens se trouve diminuée sous la double influence des circonstances politiques et financières, en réalisant à propos son portefeuille. Tant que l’application des statuts ne sera pas complétée (et, en discutant les obligations du Crédit mobilier, nous avons vu qu’elle ne le sera jamais), la société générale ne négligera pas de recueillir les différences qui se présenteront sur des placemens qui ne seront jamais définitifs, c’est-à-dire poursuivra les bénéfices que le commerce des valeurs offre à la spéculation au moyen des alternatives, habilement saisies de la hausse et de la baisse. L’aveu ne saurait être plus complet ; mais l’étrange destination donnée à une société anonyme que de la vouer au trafic des valeurs et de lier son action intéressée aux variations de la Bourse !

Quoique les renseignemens sur les opérations du Crédit mobilier soient insuffisans, on peut, d’après les deux seuls tableaux publiés à la suite des rapports, se faire une idée approximative de celles de ces opérations qui concernent les achats et ventes de valeurs, et qui, suivant l’expression de M. Isaac Pereire, impriment aux placemens soi-disant fixes du Crédit mobilier « des transformations incessantes suivant les chances de variations prévues dans les cours. »

Nous avons dit que le Crédit mobilier affectait à ces placemens des sommes à peu près équivalentes à son capital. Il semble, d’après les tableaux, qu’il partage ces sommes entre deux natures de place mens : une portion est consacrée aux achats de rentes et d’actions, l’autre aux achats d’obligations. Au 31 décembre 1853, 37,259,649 francs 13 cent, étaient employés de la sorte : 15,562,483 fr. 59 cent. en rentes et en actions, et 21,697,165 fr. 54 cent, en obligations. Le chiffre total des acquisitions en rentes, actions ou obligations avait été, pendant l’exercice 1853, de 146,295,621 fr. 58 cent. La masse des valeurs réalisées avait été dans le même temps de 111,385,909 francs 41 cent. Ces deux chiffres, celui des achats et celui des ventes, représentent les mouvemens des sommes que le Crédit mobilier a employées en 1853 pour le trafic des valeurs. Le chiffre de ces sommes étant à peu près indiqué par celui des valeurs existant en portefeuille au 31 décembre, environ 37 millions, il est facile, en divisant par ce chiffre la somme totale des achats et des ventes de l’exercice, de connaître le nombre d’évolutions que le Crédit mobilier a fait faire à ses placemens ; mais pour arriver à une appréciation plus exacte, il faut tenir compte de la nature diverse des deux catégories de placemens : les rentes et actions d’une part, les obligations de l’autre. Les obligations ne se négocient point à terme, elles ne sont pas susceptibles de variations fréquentes et sensibles ; elles ne doivent pas donner lieu à de nombreux mouvemens dans le portefeuille du Crédit mobilier, car elles n’offrent guère de différences à recueillir ; elles doivent plutôt y séjourner à l’état de placement à peu près fixe. Il n’est donc pas probable qu’elles figurent pour grand’chose de plus que le chiffre qui exprime leur existence dans le portefeuille au 31 décembre, dans le mouvement annuel des acquisitions et des réalisations de valeurs. Supposons cependant qu’elles y comptent pour deux fois à l’entrée et une fois à la sortie ; en retranchant des 148 millions de valeurs acquises deux fois 21 millions, somme des obligations existant au 31 décembre 1853, et des 111 millions de valeurs réalisées une fois 21 millions, il reste pour les acquisitions 106 millions et pour les réalisations 90 millions. Ces deux chiffres doivent exprimer très approximativement les évolutions que le Crédit mobilier a fait faire dans l’année à la somme (environ 15 millions) qu’il a employée en rentes et actions, c’est-à-dire en valeurs qui présentent fréquemment, par les variations de leurs cours, des différences à recueillir. Le Crédit mobilier a dû engager sept fois cette somme par des achats, et la dégager six fois par des ventes dans le courant de 1853, c’est-à-dire profiter sept fois « des chances de variations prévues » pour acheter à bon marché, et six fois des chances inverses pour vendre cher et « ne pas négliger de recueillir des différences. » Si maintenant on consulte l’extrait du compte de profits et pertes de la société, on y peut lire le chiffre de bénéfices qu’ont produit ces différences. Les intérêts et bénéfices des placemens y figurent pour 3,618,555 francs 18 centimes. Si l’on es time à 5 pour 100 en moyenne l’intérêt des placemens, comme ils ont porté, pendant l’année 1853, sur une somme d’environ 30 millions, il y a à déduire de ces 3,600,000 fr. environ 1,600,000 fr., ce qui laisse une somme de 2 millions, montant des différences recueillies par le Crédit mobilier, comme bénéfice de ses opérations de bourse, pendant la première année de son existence.

En 1854, le Crédit mobilier avait réalisé tout son capital, et au 31 décembre 1854 les sommes employées en placemens fixes s’élevaient à 57,460,092 francs 94 centimes, ainsi divisées : rentes et actions, 25,246,467 fr. 4 c. ; obligations, 32,213,625 fr. 90 c. Nous avons vu qu’au 31 décembre il existait dans le portefeuille une somme en valeurs d’un peu plus de 37 millions ; en y ajoutant 126,869,322 francs 83 centimes, montant des acquisitions de valeurs dans le courant de l’année, le chiffre des entrées du portefeuille s’éleva en 1854 à 164,128,961 francs 96 centimes. Le chiffre des sorties, par réalisation de valeurs, dans la même période, fut de 109,898 236 francs 22 centimes. En appliquant à ces mouvemens du portefeuille en 1854 les procédés d’analyse à l’aide desquels nous avons décomposé ceux de 1853, où arrive aux estimations suivantes. Le Crédit mobilier a dû opérer avec une somme d’environ 25 millions sur les valeurs dont les variations offrent des différences à recueillir, et il a dû engager quatre fois cette somme en acquisitions, et la dégager trois fois par des réalisations. Si l’on se reporte ensuite au compte de profits et pertes, on y voit les bénéfices et intérêts de placemens figurer pour 6,207,124 francs 84 centimes. En retranchant les intérêts, qui, à 5 pour 100, sur une somme de 57 millions ont dû produire environ 2,800,000 francs, il reste, comme bénéfice net des opérations engagées sur l’achat et la vente des valeurs, « en prévision des variations des cours, » 3,400,000 francs. Le dividende distribué aux actionnaires sur l’exercice 1854, en sus de l’intérêt à 5 pour 100, fut de 4,080,000 francs. Plus des quatre cinquièmes de ce dividende provenaient donc des bénéfices obtenus sur l’achat et la vente des valeurs.

En 1855, il semble y avoir une modification dans l’emploi des sommes que le Crédit mobilier avait jusque-là consacrées au commerce des valeurs. Les fonds employés en placemens fixes s’élevaient, au 31 décembre 1855, à 101,178,739 fr. 64 cent. Si l’on déduit de ce chiffre environ 27 millions, lesquels, à titre d’intérêts, de dividendes et de parts de bénéfices, devaient revenir aux actionnaires et aux administrateurs de la société comme produit de l’exercice, on voit que le Crédit mobilier avait environ, au 31 décembre dernier, 74 millions en placemens fixes. Comme son capital n’est que de 60 millions, il avait donc dû employer aussi dans ces placemens environ 14 millions prélevés sur les dépôts qu’il reçoit en comptes courans. Il est plus difficile de déterminer dans quelle proportion exacte la somme totale de 101 millions se divisait entre les divers placemens fixes : rentes, actions et obligations. Le bilan attribue 40 millions aux rentes, 59 millions et demi aux actions, près de 33 millions aux obligations : ces sommes réunies forment un total de plus de 132 millions ; mais il faut en déduire 31 millions, exprimant les versemens non encore appelés sur ces diverses valeurs, ce qui ramène à 101 millions, comme nous l’avons dit, les fonds effectivement consacrés aux placemens. Seulement nous sommes réduits à ignorer comment la réduction de 31 millions se répartit entre les trois articles des placemens qui figurent en détail pour leur valeur nominale et non pour leur valeur réelle. Dans le rapport de M. Isaac Pereire, les chiffres du mouvement du portefeuille ne sont donnés non plus que pour la valeur nominale. Le chiffre total des rentes, obligations et actions, qui était de 57 millions et demi au 31 décembre 1854, s’est augmenté par les souscriptions et acquisitions faites pendant l’exercice de 1855 de 265,800,000 francs, ce qui a porté à un peu plus de 323 millions le chiffre des entrées du portefeuille. Le chiffre des réalisations ou des sorties s’est élevé à 217 millions, lesquels, ajoutés aux 132 millions, montant des existences en portefeuille au 31 décembre, donnent 349 millions, ce qui représente un excédant des sorties sur les entrées, c’est-à-dire un bénéfice, de 26 millions. Ces mouvemens étant exprimés en valeurs nominales et non en valeurs effectives il est plus difficile d’y démêler les évolutions que le Crédit mobilier a dû imprimer aux sommes qu’il a employées à l’achat et à la vente des valeurs. Cependant, si l’on considère que le Crédit mobilier avait au 31 décembre une somme réelle de 75 millions employée en valeurs, indépendamment des 26 millions qui, comme intérêts et profits, appartenaient à ses actionnaires et à ses administrateurs, si de cette somme on retranche les fonds employés en obligations qui donnent lieu à peu de mouvemens, si l’on ne perd pas de vue aussi, comme le rapport en témoigne, que le Crédit mobilier ne s’était pas défait des rentes qu’il avait acquises par ses souscriptions à l’emprunt, on sera conduit à supposer avec toute vraisemblance que le Crédit mobilier a dû, dans l’exercice de 1855, imprimer une activité plus vive encore que dans les années précédentes aux fonds qu’il a employés dans les placemens qui présentent des différences à recueillir. Les données exactes nous manquent pour estimer par des chiffres approximatifs la somme qui a été appliquée à ces opérations, et les évolutions qu’elle a pu accomplir de l’achat à la vente. Le compte de profits et pertes ne fournit pas non plus les lumières qu’il donnait les années précédentes sur les résultats de ces opérations. Dans ce compte, pour les exercices précédens, les bénéfices sur émissions d’actions et d’obligations, rémunération des services de crédit commanditaire rendus par la société générale, formaient un article distinct, et les intérêts et bénéfices de placemens, résultat des opérations de vente et d’achat des valeurs, formaient un autre article. Ces deux articles sont englobés en un seul dans le compte de profits et pertes de 1855, et parmi les 26 millions de profits qui y sont portés, il nous est impossible de distinguer, comme nous l’avons fait pour les exercices précédens, la part qui revient aux services commanditaires, et celle qui résulte du simple trafic des valeurs. Tout autorise à penser que cette dernière part, ainsi confondue dans un total commun, a dû être beaucoup plus considérable que dans les deux premières années.

Les opérations dont nous venons de nous occuper donnent matière à des observations qui nous paraissent confirmer la répugnance que nous exprimions tout à l’heure pour l’intervention active d’une société anonyme dans le commerce des valeurs.

Il est d’abord évident que ces opérations ne sont justifiées par aucun résultat d’utilité publique et générale. Lorsque le Comptoir d’es compte et la Banque de France transforment les sommes dont ils disposent en effets de commerce escomptés, et que ces sommes étant redevenues disponibles par l’échéance et l’encaissement des effets, ils les réengagent de la même façon, en multipliant ces évolutions de leurs fonds, le Comptoir d’escompte et la Banque de France secondent puissamment l’accroissement de valeur que le commerce et l’industrie donnent aux marchandises, et impriment une activité féconde aux rapports de la production avec la consommation ; mais, en remplissant son portefeuille de titres et en le vidant tour à tour, le Crédit mobilier n’ajoute rien à la valeur intrinsèque des capitaux que ces titres représentent : il fait une œuvre complètement stérile au point de vue de l’utilité générale. Ces opérations n’ont de résultat utile que pour ses actionnaires, au profit desquels il recueille des différences, différences prélevées sur les besoins ou les erreurs des détenteurs de titres ou de capitaux et des spéculateurs. — Mais ces opérations, disent ceux qui en soutiennent la légitimité, sont dans le droit commun, les titres mobiliers qui représentent les fonds publics et les valeurs créées par la commandite étant faits pour être achetés et vendus ; elles ne seraient blâmables que si le Crédit mobilier, par des moyens d’influence artificielle, pouvait modifier les prix à son avantage : or il est loin de posséder une influence dont il puisse faire un tel usage ; il n’agit pas à coup sûr dans ses ventes et dans ses achats, il suit à ses risques et périls les influences générales qui dominent le marché.

Il faut remarquer d’abord, pour apprécier la portée de ces objections, que le Crédit mobilier n’est point lui-même dans le droit commun, et que sa situation exceptionnelle ne devrait pas lui permettre toutes les opérations auxquelles peut se livrer l’industrie des particuliers. Pour un établissement investi, dans une vue d’intérêt public, du privilège de la société anonyme, il n’y a de bénéfices légitimes que ceux qui résultent d’opérations d’une utilité générale. Que ne dirait-on point de la Banque de France et du Comptoir d’escompte, s’ils pratiquaient un certain ordre d’opérations qui, ne procurant aucun avantage au public, ne tourneraient qu’à leur profit particulier ? Les opérations par lesquelles le Crédit mobilier cherche à gagner des différences sont justement dans ce cas.

Quant à l’influence que le Crédit mobilier peut exercer sur les prix, il faut s’entendre. Sans doute dans son état actuel le Crédit mobilier n’a point encore la domination absolue du marché. Les conséquences les plus choquantes de l’intervention du Crédit mobilier dans le commerce des valeurs ne pourraient se réaliser pleinement que le jour où cette institution aurait pris quelques-uns des développemens prévus par ses statuts. Cependant, tout en reconnaissant qu’il y aura toujours une puissance supérieure au Crédit mobilier, celle de tout le monde, tout en reconnaissant qu’il ne serait point en son pouvoir de lutter contre le courant des événemens ou de la masse des intérêts, que certaines influences financières peuvent encore le contrebalancer, et qu’il est même exposé à se tromper quelquefois et à échouer dans ses opérations à la baisse ou à la hausse, il nous semble impossible de contester que, même dans l’état actuel des choses, il ne possède des moyens de prépondérance qui doivent, en certaines conjonctures, se produire d’une façon excessive dans le commerce des valeurs. Sans parler des avantages d’appréciation et d’in formation générale que le Crédit mobilier possède sur la masse des spéculateurs lorsqu’il s’agit de prévoir les variations des cours, sans insister sur les indications particulières que peut lui fournir sur les tendances des prix sa situation ordinaire de grand reporteur, il est impossible que les mouvemens d’un acheteur ou d’un vendeur aussi important que le Crédit mobilier n’exercent point sur les cours des influences que nous appelons artificielles, puisque ces mouvemens ne sont pas motivés par un intérêt général, puisqu’ils n’ont pour objet que des différences à recueillir. Que serait-ce encore si l’on considérait ici le Crédit mobilier tel qu’il est et tel qu’il aime à se représenter lui-même, non comme un établissement isolé, mais comme le centre d’une confédération de grands capitalistes qui harmonisent leur action avec la sienne ? Enfin, s’il n’est pas permis de croire que le Crédit mobilier puisse opérer à coup sûr dans chaque cas particulier, il faut convenir du moins que la moyenne de ses opérations de bourse a été jusqu’ici singulièrement heureuse, puisque les différences qu’il a gagnées, sa propre comptabilité en fait foi, lui ont fourni le plus clair de ses énormes bénéfices pendant les trois premières années de son existence.


Nous venons de voir l’usage que le Crédit mobilier fait des fonds dont il a la disposition permanente, de son capital. Il a en outre temporairement la disposition des fonds qui lui sont déposés en compte courant par les grandes compagnies ; voici comment il les emploie.

Le remboursement de ces fonds étant toujours exigible à des échéances prochaines, le Crédit mobilier les a d’abord consacrés à des placemens à échéance déterminée, qui ne dépassent point une année ; ou dont le recouvrement est toujours possible dans un délai prochain. Ces sommes s’élevaient, au 31 décembre 1853, à 65,839,059 fr. : 74 cent., au 31 décembre 1854 à 64,924,379 francs 9 cent., et au 31 décembre 1855 à 103,179,308 fr. 64 cent.

En 1853, elles étaient employées ainsi : 7,268,085 fr. en bons du trésor, 13,454,475 fr. 72 cent, en bons de monnaie et autres effets, 17,112,208 fr. 60 cent, en bons de chemins de fer, 8,163,725 fr. en reports sur rentes, et 37,281,814 fr. en reports sur actions de chemins de fer. Le total de ces divers emplois dépassait de beaucoup le total des comptes courans ; cette différence résultait des derniers versemens que le Crédit mobilier venait d’appeler sur ses actions, et qui encaissés du 15 au 31 décembre » n’avaient pu encore être appliqués aux placemens fixes.

En 1854, on retrouve à peu près la parité entre la somme des comptes courans et la somme des placemens temporaires qui s’élevait à 67,353,376 fr. 6 cent., et se décomposait de la manière sui vante : bons du trésor, 22,950,281 fr. 38 cent., bons de la boulangerie et des monts-de-piété 6,171,083 fr. 31 cent. ; bons de chemins de fer, 17,179,038 fr. 20 cent. ; reports et effets en portefeuille, 21,052,973 fr. 25 cent.

En 1855, le Crédit mobilier, comme nous l’avons déjà remarqué, s’est départi de la règle prudente qu’il avait suivie jusque-là de n’appliquer les dépôts des comptes courans qu’à des placemens à échéance déterminée. Ces dépôts s’élevaient, au 31 décembre 1855, à 103,179,308 fr. 64 cent. Il n’en était employé en placemens à échéance déterminée que 84,325,390 fr. 9 cent., ainsi décomposés : 14,029,283 fr. 67 cent, en bons du trésor et effets divers, 37,792,901 fr. 25 cent, en reports, et 32,503,205 fr. 17 cent, en avances sur actions et obligations[2].

Nous ne voyons point d’observation importante à faire sur les comptes courans et sur l’emploi que le Crédit mobilier donne à leurs ressources. Au moyen des comptes courans, il centralise les fonds disponibles des compagnies avec lesquelles il est en relation ou les dépôts des particuliers, et, par les placemens qu’il fait de ces fonda, il les utilise au service de l’état quand il prend des bons du trésor, au service de la ville de Paris quand il prend des bons de la boulangerie émis pour fixer le prix du pain au-dessous du cours des mer curiales, au service de la construction des chemins de fer quand il prend des bons de chemins de fer, au service de la spéculation sur les valeurs quand il fait des reports. Il est un autre service dont les moyens sont pris sans doute sur cette branche de ressources ; nous voulons parler de celui que le Crédit mobilier rend à certaines compagnies pour faciliter leurs appels de fonds, en offrant aux actionnaires de ces compagnies de faire, moyennant intérêt, l’avance de leurs versemens, et c’est probablement cet emploi qui figure dans le bilan sommaire de 1855 sous le titre d’avances sur actions et obligations. Nous ferons remarquer, quant aux reports qui constituent un placement réalisable de mois en mois sur la rente, de quinzaine en quinzaine sur les actions, que la quotité des sommes que le Crédit mobilier y consacre ne peut être fixe et régulière. En effet, comme c’est celui de ses placemens qui naturellement engage ses ressources pour la moins longue période, il en est le plus mobile ; c’est donc sur les fonds employés en reports, puisqu’ils sont les plus disponibles, que le Crédit mobilier doit prélever les sommes qui peuvent lui être momentanément nécessaires, soit pour parer aux remboursemens des comptes courans, soit pour faire face à des emplois plus pressans qui lui seraient commandés par un intérêt public, ou les exigences de ses autres opérations financières. Mais l’augmentation ou la réduction soudaine des sommes qu’un capitaliste de la force du Crédit mobilier consacre aux reports peut et doit avoir, on l’a vu plusieurs fois et les exemples en sont récens, une influence considérable sur les prix des valeurs au moment des liquidations, influence que peuvent calculer sûrement d’avance ceux qui la dirigent. Or, comme le Crédit mobilier fait le commerce des valeurs dans l’intention avouée de recueillir des différences, il n’est pas à supposer qu’il néglige dans ses opérations de vente et d’achat les élémens d’appréciation et les moyens d’influence que lui donne sur le marché sa position de reporteur.

Mais parmi les opérations auxquelles peut s’adapter l’emploi des ressources provenant des comptes courans du Crédit mobilier, s’il en est une qui soit par excellence du ressort de cet établissement, ce devrait être, ce semble, le prêt sur nantissement d’effets publics et de valeurs industrielles. C’est la vocation spéciale du Crédit mobilier de prêter sur les titres mobiliers, comme la mission du Crédit foncier est de prêter sur les valeurs immobilières, et il n’y a pas d’usage mieux indiqué des fonds disponibles des compagnies que de les employer à soutenir, par des crédits temporaires, les valeurs qui représentent leur capital. Les statuts du Crédit mobilier l’autorisent à opérer les prêts sur nantissement de titres. Cependant, par une étrange inconséquence, tandis que l’on a mis ces prêts à la charge de la Banque de France et du Comptoir d’escompte en les faisant dévier des fonctions naturelles du crédit commercial, le Crédit mobilier s’est jusqu’à présent dispensé de remplir ce service. L’excuse alléguée dans le rapport de 1854 est celle-ci : le Code civil a soumis la réalisation du gage à des formalités judiciaires lentes et coûteuses. Or, pour garantir le double intérêt du prêteur et de l’emprunteur, il faut que le créancier gagiste puisse réaliser immédiatement le gage en cas de non paiement à l’échéance, et il faut que l’emprunteur n’ait qu’un droit minime à payer pour l’enregistrement indispensable de l’acte qui constate le nantissement. Une exception spéciale affranchit la Banque de France et le Comptoir d’escompte des difficultés que l’administration de l’enregistrement en prélevant un droit proportionnel, et le Code civil en empêchant la réalisation immédiate du gage, suscitent au prêt sur nantissement de titres. Le Crédit mobilier prétend qu’il est depuis 1853 en instance pour obtenir en sa faveur une exception semblable, sans pouvoir y réussir. Cet insuccès est étrange : comment s’expliquer que le gouvernement, qui a joint aux services de la Banque et du Comptoir d’escompte le prêt sur dépôt de titres, qui est jusqu’à un certain point une déviation de l’objet spécial de ces établissemens, le refuserait au Crédit mobilier, dont il est une des attributions naturelles ? Ce mode de crédit est sans doute peu lucratif pour ceux qui sont chargés de le dispenser ; mais, quoique moins fructueux pour le Crédit mobilier, l’emploi de 15 millions provenant des comptes courans en prêts sur dépôts de titres serait plus conforme à l’esprit de cette institution et aux règles de la prudence que l’application qu’il a faite de cette somme en 1855 à des opérations sur les valeurs.


Il nous resterait maintenant à parler des opérations de la société qui se rattachent plus directement à ses fonctions de banque de commandite. On n’attend point sans doute que nous nous étendions en détail sur chacune de ces opérations : il faudrait pour cela entrer dans l’examen spécial des affaires à la création desquelles le Crédit mobilier a concouru, et empiéter sur des questions qui se présenteront à nous, à leur place naturelle, dans la suite de ces études. Qu’il nous suffise pour le moment d’énumérer les entreprises auxquelles le Crédit mobilier s’est associé et d’indiquer les formes diverses sous lesquelles il leur a prêté son concours.

On peut ranger en trois catégories les opérations de la société générale qui se rattachent au crédit commanditaire. Il y a d’abord celles qui constituent la commandite proprement dite, la souscription d’une partie des actions de l’affaire à créer ; il y a ensuite la souscription aux emprunts des compagnies ; il y a enfin les affaires où sans engager ses propres fonds le Crédit mobilier ne prête qu’un concours moral et un office d’intermédiaire.

En 1853, dans la première année de son existence, le Crédit mobilier ne fit point de véritable commandite ; il ne créa aucune affaire en y engageant ses fonds. Il n’entra dans cette voie qu’en 1854. Il créa alors ou prépara trois affaires importantes : la société des immeubles de la rue de Rivoli, formée au capital de 24 millions ; la société maritime au capital de 30 millions, et la société autrichienne des chemins de fer de l’état, au capital de 200 millions, dont les actions furent émises au commencement de 1855. En 1855, il a souscrit une portion considérable des actions nouvelles que la compagnie du chemin de Saint-Rambert a dû créer pour parer à l’extension de sa concession ; il a pris une participation dans les chemins de l’ouest et du Central suisse, et il s’est intéressé dans la canalisation de l’Èbre.

La participation du Crédit mobilier aux emprunts des compagnies fut plus active dès son origine, et c’est aussi le mode de crédit le plus utile qui puisse être donné aux compagnies, car les obligations, n’offrant pas d’attrait à la spéculation, sont plus difficiles et plus lentes à placer. En 1853, le Crédit mobilier souscrivit dans une forte proportion aux obligations du Crédit foncier ; il prit un emprunt de 30 millions du Grand-Central, et un emprunt de 6 millions de la société de la Vieille-Montagne. Dans le cours de la même année, il put liquider entièrement l’opération des obligations du Crédit foncier et presque entièrement l’emprunt de la Vieille-Montagne ; il lui fut plus difficile d’écouler l’emprunt du Grand-Central, qui, au commencement de 1855, n’était placé qu’en partie. En 1854, il prit part, pour une somme de 5,335,960 fr., à l’emprunt de 62,500,000 fr. émis par la compagnie de l’Est, et il acheta 16,000 obligations à la compagnie du chemin de fer de Dôle à Salins. En 1855, il a garanti le placement de 65,000 actions de l’Ouest, représentant 18 millions, et de 100,000 obligations de la compagnie des chemins du Midi, représentant 28 millions, et il s’est chargé de l’émission de l’emprunt de 82 millions de la société autrichienne, qui est passé rapidement et presque en entier aux mains des capitalistes allemands.

Les affaires que le Crédit mobilier a servies de son concours moral, ou pour le compte desquelles il a rempli le rôle d’intermédiaire sans y engager ses propres fonds, sont : en 1854, la transformation de la compagnie des mines de la Loire, subdivisée en quatre groupes dont il devint le centre financier, et la fusion des diverses entre prises d’omnibus de Paris en une société anonyme ; en 1855 la fusion des sociétés parisiennes d’éclairage par le gaz. Depuis deux ans en outre, le Crédit mobilier prépare la fusion des salines de l’Est et du Midi, retardée jusqu’à présent par la lenteur des enquêtes administratives.

Enfin, pour terminer cet aperçu des opérations de la société générale, il reste à mentionner la part qu’elle a prise au dernier emprunt de 780 millions. Le Crédit mobilier, tant pour son compte que pour celui de ses correspondans, avait déposé une demande de 625 millions dans la souscription de cet emprunt. La part de la société dans l’emprunt fut réduite par la répartition générale à 1,280,920 francs de rentes 3 pour 100[3].

VI

Nous venons de parcourir les trois ordres d’opérations qui défraient dans son état actuel, l’activité du Crédit mobilier. On voit que jusqu’à présent, quoique très importantes déjà, elles sont loin d’arriver encore au développement que comporterait la réalisation du système théorique sur lequel la société générale est fondée. L’état de guerre et la série des mauvaises récoltes, en diminuant les ressources disponibles du pays et en les absorbant dans 1,500 millions d’emprunts, ont entravé le développement du Crédit mobilier. Les circonstances ont renfermé l’action de cette société dans le cercle ordinaire des opérations d’une grande maison de banque. Elle a avec son capital commandité certaines entreprises, facilité les emprunts de certaines compagnies, pris part aux emprunts publics et spéculé sur les valeurs. Avec les fonds de ses comptes courans, elle a rendu des services momentanés à l’état en prenant des bons du trésor, à la ville de Paris en prenant des bons de la caisse de la boulangerie, aux entreprises de travaux publics en prenant des bons de chemins de fer, à la spéculation en prêtant sur reports. Elle a fait tout cela, il est vrai, sur l’échelle que comportent l’importance de son capital et de ses comptes courans ; elle l’a fait aussi avec la confiance et la hardiesse que peut inspirer à un établissement de ce genre la responsabilité limitée de la société anonyme. En somme donc et en comparant sa théorie à sa pratique, quel jugement faut-il porter sur cette active et puissante institution ? Quoique les élémens d’une telle appréciation soient très complexes, nous essaierons de résumer brièvement la conclusion à la quelle doit conduire, à notre avis, l’examen attentif de la société générale de Crédit mobilier.

Ceux qui nous ont suivi dans cette longue analyse auront remarqué que les deux tendances de la société générale que nous avons cru devoir signaler comme dangereuses, l’une qui ressort de son système, l’autre qui se révèle dans sa pratique, peuvent se réduire à une espèce de dilemme que le Crédit mobilier semble poser en ces termes : Ou laissez-moi atteindre à tous les développemens que comportent mes statuts, permettez-moi, par des augmentations de capital et des émissions d’obligations indéfinies, de consolider en un fonds commun les titres des diverses entreprises créées par la commandite, ou laissez-moi recueillir des différences par les transformations incessantes de mes placemens sur le marché des valeurs, car ces placemens n’auront un caractère définitif que lorsque j’aurai atteint le complet développement de mes statuts. — Nous repoussons, quant à nous, les deux alternatives de ce dilemme : la première, celle qui relève de la théorie du Crédit mobilier, parce qu’elle aboutit à l’absorption dans un établissement unique du crédit commanditaire, c’est-à-dire à une espèce d’oligarchie et de communisme industriels ; la seconde, parce qu’elle donne à la spéculation des ex citations et des exemples qui ne sont point compatibles avec une institution anonyme, c’est-à-dire, dans l’état actuel de notre législation, privilégiée et revêtue en quelque sorte d’un caractère public.

Nous craignons d’autant moins d’insister sur la nécessité de ramener dans de plus étroites limites le système et les opérations du Crédit mobilier, que plus nous y réfléchissons, et plus nous demeurons convaincu que cette modération assurerait davantage, au lieu de les restreindre et de les compromettre, les services réels et sérieux que le Crédit mobilier a rendus et peut rendre encore au mouvement de notre grande industrie. Ce que peut faire le Crédit mobilier sans émission d’obligations, on l’a vu ; en abandonnant l’idée de consolider par ses obligations les titres des entreprises, le Crédit mobilier ne renoncerait donc qu’à une ambition périlleuse et probablement à une chimère. De même, s’il restreignait ses opérations sur les valeurs à la vente graduelle des titres des entreprises qu’il aurait commanditées, vente si facile et si fructueuse, — il le reconnaissait lui-même dans le dernier rapport de M. Isaac Pereire, — avec les avides débouchés qu’offrent aux valeurs les grandes bourses européennes, aucune de ses fonctions utiles n’en serait ralentie ou entravée. Ce ne sont pas ses opérations de bourse qui le mettent en état de faire des reports, d’avancer les versemens appelés sur les actions ou les obligations de certaines compagnies, d’être, pour les compagnies qui forment sa clientèle, comme le disait aussi M. Isaac Pereire dans un de ses rapports, ce que la caisse des dépôts et consignations est pour les départemens et pour les communes. Le Crédit mobilier ne sacrifierait à cela qu’une chose, l’exagération de ses profits et la faveur de spéculation que ses dividendes attirent à ses actions. Quand on se compare soi-même à la caisse des dépôts et consignations, est-on bien venu à lier partie avec la spéculation, et à chercher des bénéfices à travers les variations prévues des cours ? Nous savons, il est vrai, qu’en faveur des aspirations de son système et de celle de ses opérations que nous critiquons, la société générale peut invoquer ses statuts, qui sont aussi bien la charte de ses droits que la loi de ses devoirs ; mais, sans parler de ce qu’il pouvait y avoir d’obscur sur la portée d’une institution si nouvelle, et sur laquelle on n’avait pu rien apprendre encore de l’expérience au moment où ses statuts ont été approuvés, il n’est point de lois de ce genre dont l’application se puisse dérober à la discussion et au contrôle de l’opinion publique. Les sociétés anonymes sont particulièrement soumises à cette surveillance de l’opinion. Quant à nous, nous n’en appelons point à une autre autorité. Pour engager la société générale de Crédit mobilier à ne point profiter de toutes les prérogatives que ses statuts lui confèrent et à user de quelques-unes avec plus de modération qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent, nous n’invoquerons pas d’autre influence que celle de l’opinion éclairée sur la haute et consciencieuse intelligence de ses directeurs.


EUGENE FORCADE.

  1. Voyez l’article sur le Comptoir d’escompte et les diverses formés de crédit, livraison du 1er avril 1856.
  2. M. Isaac Pereire disait dans son rapport sur l’exercice 1854 : « Quels que soient les avantages et la sécurité que présentent les placemens sur actions et obligations, désignés dans notre comptabilité comme placemens fixes, bien qu’ils soient l’objet de transformations incessantes suivant les chances de variations prévues dans les cours, nous sommes restés sous ce rapport dans les limites de notre capital. » Pourquoi la direction du Crédit mobilier, qui faisait valoir cette sagesse de conduite en avril 1855, s’en est-elle écartée dans le cours de la même année ? M. Isaac Pereire disait encore dans son premier rapport : « Nos obligations émises à courte échéance devront correspondre à nos divers placemens temporaires. » Les dépôts en comptes courans constituent pour le Crédit mobilier des engagemens de même nature que les obligations à courte échéance, et l’on a vu que les statuts assimilent ces deux sortes d’engagemens, en fixant la limite à laquelle le Crédit mobilier peut en porter le montant cumulé. L’emploi des dépôts, dans l’esprit des statuts et des déclarations du président de la société générale, ne devrait donc être affecté qu’à des placemens temporaires.
  3. Il est une opération que nous avons passée sous silence, c’est l’affaire de céréales que le Crédit mobilier a faite l’année dernière. Il serait très difficile d’en parler, car le dernier rapport ne donne aucune explication à ce sujet. Cette opération n’est mentionnée que dans l’extrait du compte de profits, et pertes où elle figure au débit dans l’article ainsi conçu : « perte présumée sur l’affaire des céréales, 500,000 fr. » La perte n’étant que présumée, l’opération n’est point terminée : les sommes qui y sont consacrées auraient dû, ce semble, être portées dans la situation générale. Le Crédit mobilier aura sans doute entrepris cette affaire en participation avec quelque maison de commerce ou quel que compagnie. En faisant cette opération, le Crédit mobilier est évidemment sorti de la loi de ses statuts, qui énumère les opérations qui lui sont permises relativement à la commandite, au commerce des valeurs et à l’émission des obligations, et lui interdit toutes autres opérations, par conséquent toute opération en marchandises.
    L’intention qui a motivé cette infraction aux statuts est irréprochable sans doute, puisqu’il s’agissait de servir un des intérêts les plus pressans du pays, l’approvisionnement. Il est cependant impossible de laisser passer sans observation une infraction de cette importance. Il faut espérer qu’un pareil précédent ne fera pas loi dans l’avenir pour le Crédit mobilier. L’intervention de cette société dans le commerce de marchandises aurait des conséquences dangereuses et toutes contraires aux intentions qui ont pu l’inspirer dans cette circonstance. Nous recevons à ce sujet, d’une de nos grandes villes de commerce, une lettre dont les conclusions nous paraissent irréfutables. « Quand un véritable négociant, nous écrit-on, va sur les marchés du dehors acheter des céréales, il y met toute la circonspection que son intérêt exige. Il s’applique à ne pas influencer les cours ou le moins possible. En même temps il a l’œil ouvert sur les variations de prix qui surviennent sur le point où il veut expédier les achats qu’il a réalisés ; enfin il s’attache à obtenir de son opération un prix, rémunérateur de ses soins et des risques qu’il a courus. Vieille méthode ! le Crédit mobilier n’y met pas tant de façons ; il opère à grand bruit, achète à tout prix, et fait sans sourciller une perte qui ira peut-être à un million de francs ! Mais qu’arriverait-il si l’on devait s’attendre à une intervention analogue du Crédit mobilier en pareille circonstance ? Le négociant, qui n’a pas les bénéfices, de la Bourse pour s’indemniser des perles qu’il essuierait en agissant de la sorte, fuirait les marchés sur lesquels se présenterait le Crédit mobilier, n’oserait pas affronter un concurrent qui peut encourir une perte si considérable, tout en donnant à ses actionnaires un dividende de plus de 40 pour 100, et le Crédit mobilier en fin de compte porterait un préjudice évident à l’approvisionnement de la France. »