Les Inquiétudes du jour

Les Inquiétudes du jour
Revue des Deux Mondes3e période, tome 79 (p. 935-949).
LES
INQUIÉTUDES DU JOUR


I.

« L’Allemagne veut la paix. La France veut la revanche. Jamais elle ne s’est résignée aux pertes de territoire et d’influence qui ont suivi sa défaite. Ses difficultés intérieures qui grandissent, au lieu de rendre la guerre moins à craindre, la peuvent précipiter. Déjà un soldat a surgi, seul populaire dans la nation : cette subite fortune n’a pas de cause si elle n’atteste le retour des ardeurs militaires ; elle n’aurait pas de durée si le chef qui a réveillé l’orgueil national par des paroles ne le satisfaisait par des actes. La lutte peut éclater dans dix ans ou dans dix jours. »

Ainsi a parlé l’Allemagne. Elle peut être fière de sa puissance. A la voix de son chancelier, la Bourse a varié plus qu’après une grande bataille, les imaginations souffrent comme les intérêts, et la crainte seule de la guerre cause au monde une partie du mal que la guerre déchaînerait.

La responsabilité de ces maux doit-elle peser sur la France?

Il est vrai que dès 1871 et au jour même où elle signait la paix, la France garda encore une ambition. Elle voulut recouvrer assez de forces pour se défendre contre de nouvelles attaques : elle ne voulut rien au-delà. Certes elle se sentit déchirée en perdant ses provinces, elle mêla peut-être à son deuil la consolation lointaine qu’elles n’étaient pas à jamais perdues : quel peuple renonce à l’espérance ? Le traité de Francfort lui-même ne nous y obligeait pas. Mais quand la France avoua ses desseins en constituant son armée, rien, dans les mesures proposées, résolues, exécutées, ne révéla la pensée d’une agression contre l’Allemagne. En adoptant le service universel, à l’exemple de son vainqueur, elle fixait à ce service une durée moindre; et comme sa population, déjà plus restreinte, croissait moins vite, elle renonçait à l’égalité du nombre. Elle renouvelait son armement livré par les capitulations des armées et des villes, et demeuré dans les arsenaux du vainqueur. Enfin, l’œuvre qui absorba la plus grande partie des dépenses et se poursuivit avec la sollicitude la plus passionnée fut la fortification de la nouvelle frontière. Inutile si la France eût préparé une guerre offensive, cet immense ouvrage avait tracé sur le sol la pensée de la nation entière : elle prévoyait qu’elle pouvait être envahie de nouveau et entendait suppléer à l’infériorité du nombre par la force des positions.

Ne pas attaquer, se défendre, tel se formula pour tous le devoir de l’avenir, même aux jours où le patriotisme pariait le plus haut, lorsque le pays inaccoutumé à l’amertume de la déchéance et de l’occupation, le parlement peuplé de nos généraux, le pouvoir confié à des hommes soucieux de la grandeur nationale, avec une anxiété, puis avec une joie communes, préparaient la réforme de l’armée et saluaient sa puissance renaissante.

Mais, dans une république, les plus permanens des intérêts sont confiés à des pouvoirs temporaires, soumis à l’opinion, et l’opinion se lasse vite d’un unique amour. Dès que notre état défensif lui parut assuré, elle considéra sa tâche comme accomplie, et, ses frontières closes, s’occupa des affaires intérieures. Ce fut une seconde période où les ardeurs du pays se dépensèrent à établir une forme de gouvernement. Les intérêts militaires ne tombèrent pas en dédain, mais en silence, et, dans le silence, il y a un commencement d’oubli. D’ailleurs, il était sans péril. Nul ne songeait à porter la main sur l’œuvre accomplie, et, au milieu des violences politiques, le maréchal de Mac-Mahon qui, au pouvoir, fut un soldat, et Gambetta qui aimait l’armée, couvrirent notre réorganisation de leur compétence et de leur popularité.

Quand ce dernier disparut, le gouvernement était fondé, la réforme militaire conduite à terme.

Le jour où les intérêts publics semblent assurés, le grand péril commence pour les démocraties. Les anxiétés qui font la clairvoyance du peuple s’apaisent et ne lui désignent plus les hommes les plus capables de le servir : les politiciens apparaissent, qui, n’étant pas contenus par la force de la volonté nationale, excitent dans le peuple des passions factices pour les exploiter. Cette espèce s’était vite abattue sur la France : inconnus, innombrables, tous résolus à suivre la carrière de la popularité, ils n’avaient pour s’emparer de la confiance qu’un moyen, la flatterie; comme ils s’y voulaient dépasser les uns les autres, ils firent respirer au bon sens du peuple souverain une atmosphère de cour; et l’influence s’adjugea par des enchères de servilité. Quand elles eurent commencé, et que chacun fut contraint de promettre un remède plus efficace aux charges publiques, il n’était pas possible qu’il ne se trouvât pas un homme pour proposer la réduction de la charge la plus lourde qui pèse sur la nation : le service militaire. Si cette réduction avait clairement paru destructive de notre force, les politiciens n’auraient peut-être pas osé la demander; il est certain que la nation n’y aurait pas souscrit. Mais l’ignorance de tous les livrait aux sophismes. Pour en arrêter les ravages, il suffirait encore que les chefs de l’armée opposassent aux changemens une résistance unanime.

Mais, dans l’armée elle-même, les politiciens avaient pénétré. Il se trouva des généraux pour rassurer le parlement sur les suites de l’entreprise. Alors, avec la complicité du ministre de la guerre et aux applaudissemens de l’opinion confiante, se précipita cette avalanche de projets où le service militaire devient de plus en plus court. De là date une troisième période où nous sommes encore : le pays a reporté son intérêt sur la question militaire, mais c’est pour détruire l’œuvre accomplie après 1871. Il ne croit pas par ces changemens amoindrir la force alors créée, mais nul ne soutiendra que les théories aujourd’hui en faveur soient de nature à accroître la valeur de l’armée.

Sans doute la réduction dans la durée du service n’est encore qu’un projet, l’armée n’est pas néanmoins sans souffrir de vices inhérens à notre régime. La préparation de la guerre exige la permanence dans les hommes et dans les idées. Il faut que rien ne trouble dans leur œuvre ceux qui suivent l’état du monde, le jeu des alliances, et surtout ceux qui, chargés d’une tâche plus lourde encore, ont à pourvoir, dans les derniers détails, à tous les besoins des troupes, à leur commandement et à leur mobilisation. Or, en France, la diversité des partis et les luttes d’influence font du pouvoir la fonction de toutes la plus éphémère. Quel plan politique et militaire pourrait être conçu par des hommes nouveaux et tout occupés à se défendre au dedans ? Toutes les mesures d’exécution ne deviennent-elles pas plus difficiles dans une armée où les hautes autorités changent incessamment de mains, et qui, depuis la guerre, a connu dix-sept ministres?

Il est vrai que le dix-septième semble fait pour durer davantage. qu’il possède en France une notoriété sans égale. Mais la plus grave des erreurs serait d’attribuer à la renaissance de l’esprit belliqueux la popularité du général Boulanger. Il est un officier vaillant, on le dit bon général, mais sa popularité n’est pas celle d’un soldat, elle est celle d’un politicien. Il a eu deux idées simples. Dans un pays de suffrage universel, la foule n’a pas le loisir de juger les hommes : parmi la masse confuse de ceux qui se disputent son suffrage, elle s’attache à celui dont elle a contemplé le visage et retenu le nom. Le général a voulu être cet homme. Les occasions qu’il recherche et fait naître sans cesse de se produire, ses discours, ses voyages, ses revues, ses banquets, ses biographies, les portraits, les salves régulières que chaque jour, depuis son avènement, la presse tire pour ou contre lui, ont fait passer un visage devant des millions de spectateurs, ont contraint des millions de mémoires à retenir un nom. Il a pénétré par ce procédé grossier, mais seul efficace, dans des couches où nulle gloire politique ne pénètre; il est le seul homme connu de la France; seul connu, il est seul populaire.

De plus, dans un pays de service militaire universel, l’homme qui est chef de l’armée a une autorité directe sur tous les citoyens valides. Les lois qu’il soutient, les décrets qu’il rend, la sévérité ou l’indulgence qu’il emploie ne laissent indifférent aucun foyer. M. le général Boulanger a compris qu’il avait entre les mains la feuille des bénéfices, et qu’il suffisait de donner pour se créer par la gratitude tout un peuple de partisans. Depuis son entrée au ministère, il fait largesse de l’armée. Aux hommes d’influence, sénateurs, députés, journalistes, les nominations, les dispenses, les congés, les innombrables faveurs que rend possible l’autorité sur d’innombrables services. Surtout, il a compris qu’il avait un moyen de s’attacher d’un coup ceux qui n’osent ou ne peuvent prendre leur part des faveurs individuelles, c’était de réduire le service militaire au-delà de ce qui avait été demandé par les plus audacieux. Il a présenté un projet de loi qui donne à tous les Français la certitude de servir moins de trois années et espoir de servir moins d’un an. La nation, qui applaudit à ces changemens, n’a pas cessé d’être patriote ; elle est reconnaissante au soldat qui a trouvé le secret de diminuer les charges et accroître la puissance du pays.

Et c’est ce ministre qui serait le préparateur menaçant de la revanche ! c’est ce peuple, si avide d’échapper aux charges militaires, qui sentirait renaître dans son cœur la nostalgie de la guerre ! Où donc s’est trahi cet Achille à la vue des armes? Est-ce en Tunisie? Le ministère n’a pas osé demander au pays l’appel des réserves, même pour lui donner sans coup férir cette province.

En Égypte, où nous avions des intérêts de premier ordre, un ministère, pour avoir proposé l’envoi de quelques troupes, a perdu le pouvoir.

Au Tonkin, où l’honneur commandait de venger l’effusion du sang français, une expédition s’est faite, mais toujours importune au pays : la seule nouvelle d’un échec après des succès signalés a suffi pour jeter bas le cabinet, et l’impopularité de cette guerre pour doubler, aux élections de 1885, les forces de l’opposition.

A l’heure présente, les menaces à peine voilées du gouvernement allemand, les provocations directes de la presse allemande, qui sur une nation inflammable seraient tombées comme l’étincelle, n’ont pas même ébranlé l’attachement invincible de la France à la paix. Le jour où le général Boulanger serait soupçonné de méditer une agression, la colère qu’il inspirerait aurait pour mesure la notoriété qu’il a conquise, et du jour où il serait odieux au peuple, il serait abandonné des pouvoirs publics.

A qui en appellerait-il alors pour poursuivre le terrible dessein qu’on lui prête ? On a vu parfois un homme s’appuyer sur les pouvoirs publics pour gouverner contre l’opinion, ou sur l’opinion pour gouverner contre les pouvoirs publics. Mais quel homme a jamais accompli un coup d’état à la fois contre la légalité et contre l’opinion?

Le reproche à faire à la France est un reproche que des Français seuls ont le droit de lui adresser. Sa faute n’est pas de songer trop à reprendre rang dans le monde, c’est de n’y pas songer assez : les querelles intestines, la nature de son gouvernement, l’absence d’hommes dignes de l’inspirer, tout la détourne d’une action même légitime au dehors.


II.

L’Allemagne, pas plus que la France, ne souhaite la guerre. Mais il y a à la fois en elle un culte naturel pour la force et une sorte particulière de mémoire qui ne lui permet jamais d’oublier les maux une fois soufferts. L’armée rappelle à chacun sa part dans la gloire de Sedan et de Metz, et, en même temps, il semble que l’Allemagne ait éternellement à venger Iéna. Une telle disposition d’esprit est conservatrice des vertus militaires, rend acceptables les sacrifices qu’elles exigent et permet de soulever quand il convient la haine qui, sous la placidité germanique, veille toujours contre l’étranger.

Cette opinion, toujours favorable à l’armée et facilement favorable à la guerre, ne conduit pas seule les événemens. L’empereur règne et gouverne, et, s’il consent parfois que les parlemens tiennent avec lui le sceptre, lui seul a la main sur l’épée : il s’est réservé, comme le devoir spécial de sa fonction, la conduite de la politique extérieure et de l’armée. Un pouvoir durable, héréditaire, qui garde le secret de ses desseins et y fait servir tout le monde, assure la perfection des services qui exigent le plus de suite, de prudence, de dissimulation, et, aux heures décisives, de promptitude.

C’est ainsi que se sont préparés tous les succès de la nation. Après le plus éclatant de tous, le travail a continué comme si rien n’était changé dans l’état des puissances. Au lendemain du traité de Francfort, l’empereur a repris, avec M. de Bismarck et M. de Moltke, la collaboration silencieuse à laquelle l’Europe devait tant de surprises et l’armée tant de force.

Au lieu d’alléger les charges militaires de l’Allemagne agrandie, et à ce moment sans rivale, le gouvernement a porté sur son armée la sollicitude toujours en éveil d’un vaincu avide de revanche. Les effectifs ont été deux fois accrus, l’armement deux fois modifié ; l’infanterie vient de recevoir le fusil à magasin, l’artillerie est munie de projectiles assez puissans pour réduire les plus solides fortifications, et l’armée allemande est la seule qui soit approvisionnée de ces projectiles et de ce fusil. Néanmoins, le gouvernement a jugé nécessaire d’accroître encore les effectifs, et, il y a un mois, il demandait aux chambres les supplémens de crédits nécessaires, émettait la prétention d’obtenir le vote du budget militaire pour sept années, déclarait au parlement qu’il n’admettait pas de refus, que toute résistance entraînerait la dissolution, que tout parlement aussi indocile aurait le même sort, que, s’il le fallait, l’argent et les hommes seraient levés sans aucun vote, et que le rejet du septennat rendrait la guerre probable.

La chambre a accordé les crédits et les hommes pour trois années; le jour même, le gouvernement, refusant le don, brisait la chambre, des mesures étaient prises pour incorporer sans vote les nouveaux contingens; l’exportation des chevaux était interdite; soixante-treize mille réservistes convoqués pour un délai indéterminé rejoignaient l’armée; à l’heure présente, ils sont répartis dans les régimens de la frontière. Des corps d’armée se trouvent portés au complet de guerre, et une mobilisation qui ferait gagner plusieurs jours à ces troupes dès l’ouverture des hostilités est déjà accomplie.

Lequel des deux peuples peut armer le plus d’hommes? Lequel en a davantage sous les drapeaux? Lequel a pris les mesures qui d’ordinaire annoncent la guerre? Si la haine de l’ennemi héréditaire et les instincts belliqueux sont favorisés par le caractère du pays et la nature du régime, est-ce en France ou en Allemagne? Si des difficultés intérieures peuvent obliger un gouvernement à chercher une diversion au dehors, est-ce en Allemagne ou en France qu’un grave conflit a surgi entre la couronne et la représentation nationale ? Est-ce en Allemagne ou en France que le pouvoir exécutif, si les électeurs persistent à soutenir leurs élus, est acculé à une capitulation ou à la nécessité de demander à la victoire un sacre nouveau ? Et si enfin la prépondérance d’une volonté maîtresse de l’armée et suspecte d’ambition est une menace pour la paix, est-ce de France ou d’Allemagne que cette impérieuse volonté se fait entendre ? Est-ce en Allemagne qu’une guerre déclarée sans le concours du pays par un ministre serait le crime d’un factieux ; est-ce en France que le même acte est l’exercice légitime d’un droit reconnu à un empereur par la constitution ?

Aussi, bien que le chancelier de l’empire ait promis de ne pas attaquer la France et que la France n’ait pas parlé, personne en Europe ne se demande si la France veut la guerre, tout le monde se demande si l’Allemagne veut la paix. Et le jour où la paix serait troublée, le verdict du monde entier serait unanime. Il dirait sur qui pèse toute la responsabilité des malheurs déchaînés. L’Allemagne de 1887 lui rappellerait la Prusse de 1866. Il se souviendrait qu’alors la Prusse, ayant réorganisé l’armée, accru les effectifs, transformé l’armement, et seule en possession du fusil à aiguille, se sentit tout à coup émue des menées de l’Autriche contre la paix ; qu’elle dénonça les préparatifs de cette puissance, tout le temps nécessaire à achever les siens ; qu’enfin, pour échapper à un péril devenu intolérable, elle se précipita sur un ennemi encore occupé à rassembler ses troupes, et, contrainte de remporter la victoire due aux causes justes, se réjouit par-dessus tout de n’avoir pas eu la responsabilité de l’agression.


III.

Une chose pourtant dans le conflit serait nouvelle : la cruauté de la lutte. M. de Bismarck l’a prévu quand il déclarait, comparées à celles-là, les précédentes guerres jeux d’enfans. Il n’a pas moins nettement dit à la France l’avenir qui la menace : la chrétienne Allemagne de 1870 et sa douceur ne se retrouveront plus.

Nous pouvons mesurer, en effet, au sort que nous fit alors sa générosité le sort que nous réserverait sa colère. Mais aussi l’Allemagne devrait s’attendre à une résistance comme elle n’en a pas rencontré encore. La France non plus n’est pas celle de 1870, qui, sans haine et sans troupes, se laissa entraîner à la guerre. Nous nous sommes instruits à la meilleure école, celle de nos vainqueurs. Les armes ne nous manquent plus ni les hommes : tous ont été formés par de bonnes lois que l’effort des politiciens n’a pas brisées encore ; nos officiers n’ont pas perdu leurs mérites pour y avoir ajouté l’étude et la modestie. En toute occurrence et contre tout adversaire, cette force n’est pas méprisable. Contre une agression sans prétexte et sans pitié, cette force peut devenir irrésistible.

La France est le pays des transfigurations soudaines. Ce peuple, aujourd’hui encore absorbé par ses intérêts, bornant ses regards à son propre sol, si dénué de haines qu’il ne croit pas qu’on le puisse haïr, n’offre aucune ressemblance avec le peuple qui, voyant ces intérêts perdus, ce sol envahi, obligé de comprendre enfin qu’on en veut à sa vie, sentirait à la fois en son cœur l’horreur de l’injustice et de la mort.

Ces causes morales produisent peu d’effet peut-être sur les armées du métier, mais elles influent sur les armées que forment les nations; elles ont de plus souvent le poids mystérieux jeté par le droit dans les balances du destin. Et si un premier succès, rompant les liens où notre confiance est depuis seize années prisonnière, nous rétablissait dans la liberté de notre antique allure, alors nous poursuivrions peut-être d’un élan si impétueux la fortune que nous ne la laisserions plus s’échapper. C’est l’honneur, c’est aussi la faiblesse de l’organisation allemande de n’avoir été consacrée que par des victoires: il lui manque l’épreuve des revers. Le génie allemand, incomparable pour tout prévoir, tout préparer, et mettre l’ordre dans les ensembles par l’ordre infini des détails, serait-il égal à lui-même si la guerre troublait les plans longuement établis, dispersait ce qui devait être uni, confondait ce qui devait rester distinct? Est-il assez souple et rapide pour résoudre sans cesse les problèmes aux inconnues sans cesse changeantes que posent les échecs, et surtout les échecs successifs? Y a-t-il dans le soldat lui-même l’ensemble d’initiative, de stoïcisme et de gaîté qui, dans les circonstances critiques, font de chaque homme un réconfort pour les autres, empêchent les paniques, et, aux heures où l’organisation succombe, prévient par les vertus individuelles l’irréparable désordre des masses démoralisées? L’avenir le dirait. S’il prononçait contre l’Allemagne, les conséquences ont été indiquées par le chancelier lui-même. En annonçant d’avance la dureté de sa victoire, il a légitimé la rigueur de sa défaite, et ne saurait se plaindre qu’on lui appliquât la loi portée par lui-même. Et qui, après une « attaque scélérate, » pour emprunter son langage, soutiendra que l’empire d’Allemagne n’aurait pas mérité son destin?

Il n’est pas nécessaire d’élever si haut notre espérance. Même heureuse pour les armes de l’empire, la guerre lui pourrait être funeste.

Cet empire, si grand soit-il, est une œuvre incomplète Le génie l’a construit, mais le génie politique achève son œuvre où il crée des institutions. Son dernier acte et non le moins nécessaire est de donner aux hommes les moyens de se passer de lui. M. le prince de Bismarck ne se hâte pas vers cette fin : plus il a étendu la patrie allemande, plus il a pris de pouvoirs. Il a écarté d’une main chaque année plus impérieuse l’influence des états confédérés, de la famille impériale, des ministres, des parlemens, et tout annulé devant la couronne au nom de laquelle il gouverne. Politique extérieure, affaires religieuses, commerce, impôts, colonies, lois, sa volonté règle, ordonne ou empêche tout. Il ne peut y avoir pour l’Allemagne plus grande révolution que la mort, la disgrâce, la maladie d’un tel homme : en lui disparaîtrait un gouvernement.

Pour que tomes les autorités, réduites à l’inaction par le chancelier, acceptent leur déchéance, il faut que la supériorité de l’homme et l’éclat de ses services le fassent de l’avis universel le plus digne de commander. Plus il est impérieux, plus il doit être infaillible. Il l’a été jusqu’à ce jour aux yeux de la patrie allemande; chaque fois que sa volonté lutte contre les pouvoirs les plus élevés ou les aspirations les plus populaires, le souvenir de ce qu’il a fait l’accompagne, combat pour lui, et l’Allemagne estime que son sort n’est pas sans consolation, de dominer le monde en obéissant à un homme.

Mais cette situation extraordinaire est due à la grandeur continue, ascendante de ses œuvres. Il en a accompli d’assez mémorables pour n’avoir pas besoin d’en accomplir d’autres. Mais s’il en tente de nouvelles, il les faut dignes de son passé. Telle est, pour cet homme, la difficulté terrible d’agir. Cette difficulté épouvante si l’on suppose qu’il entreprenne une guerre. Quelle lutte semblera courte si l’on songe à la campagne d’Autriche? Quelles victoires ne sembleront médiocres si ou les compare aux prodigieux triomphes de Sedan, de Metz, de Paris? Toutes les servilités de la fortune envers ce grand politique se changent ici en rigueurs : elle l’a comblé à ce point qu’il ne saurait désormais étonner les imaginations. Or, une guerre avec la France, fût-elle favorable à l’Allemagne, serait, selon toute apparence, un long effort où les succès seraient chèrement achetés et les résultats médiocres. De quelle hauteur tomberait alors le chancelier même victorieux ! Pour le prestige, il n’est pas de petits insuccès : tout ce qui ne le consacre pas le détruit. Qu’après la lutte, l’Allemagne, affaiblie d’hommes, accablée d’impôts, n’ait pour étendre sur ses blessures que le baume d’une gloire contestée, elle se prendra à douter de son chef, la vieille obéissance sera morte. Les états, aujourd’hui si dociles, trouveront contre l’hégémonie prussienne une fermeté inconnue; en Prusse même, l’opinion s’élèvera contre la dictature du chancelier. On prouvera qu’il est inutile de créer des pouvoirs exceptionnels pour aboutir à des succès ordinaires, et d’imposer à toute une nation la servitude pour ne pas mieux commander aux événemens. Le relâchement du lien fédéral entre les états et dans chaque état l’organisation d’un régime libre s’imposeront. Le résultat de la guerre sera de remettre l’autorité sur l’armée et sur la politique aux mains des assemblées, c’est-à-dire d’accomplir les deux changemens que M. de Bismarck a toujours signalés comme la ruine de l’empire.

Cette ruine sera conjurée, il est vrai, si la guerre ne réserve aux armes françaises que de nouvelles capitulations. Alors, ce qui semblait impossible sera réalisé, le chancelier semblera plus grand encore. Quel sera pour l’Allemagne le résultat immédiat de la lutte ?

Le chancelier se servira de la force conquise au dehors pour arrêter d’une façon définitive les ennemis du dedans. Et l’ennemi, ce sera le pays lui-même. Des mesures seront prises pour soustraire aux curiosités indiscrètes des parlemens la politique de l’empire. Plus que jamais, tous les droits de la nation seront reconnus à l’empereur et exercés par le chancelier, c’est-à-dire qu’un souverain de quatre-vingt-dix ans et un ministre de soixante-douze consacreront le dernier effort de leur volonté victorieuse à établir au nom de leur génie le pouvoir personnel, et le legs suprême de ce génie prépare un pays vide d’ennemis au dehors, vide d’institutions au dedans.

Telles sont pour l’Allemagne les périls de la guerre. Malheureuse, elle menace son unité ; incertaine, son gouvernement ; et glorieuse, ses libertés.


IV.

Mais l’Allemagne et la France ne sont pas seules : l’Europe existe encore. Toute querelle entre deux peuples est un procès dont l’Europe est juge.

Aux époques respectueuses du droit, l’Europe examine si le conflit est juste : à toutes les époques, elle se demande s’il est contraire à ses intérêts. Et qu’elle l’estime inique ou dangereux, elle a deux moyens de se défendre. Elle peut maintenir la paix en se déclarant d’avance contre quiconque tenterait une agression : aucun peuple n’est assez fort pour braver la force de tous les autres. Elle peut, si elle a permis que la guerre éclate, en surveiller la marche et en limiter les conséquences : un jour vient où les belligérans, épuisés par la lutte, doivent accepter sa médiation, et sa volonté plus que la leur s’inscrit dans les traités.

L’intérêt permanent de l’Europe est qu’il ne se forme pas de trop grande puissance. La France l’a éprouvé en 1870 : c’est la jalousie contre sa renommée importune qui a inspiré les résolutions des états et abandonné à la Prusse tous les fruits de la victoire. Ces fruits ont été tels que l’Allemagne, à son tour, a obtenu la prépondérance. Si les deux peuples en venaient aux mains, le danger de l’Europe serait manifeste. Permettre à la France de vaincre l’Allemagne serait rétablir l’ancienne suprématie dont l’Europe a voulu la fin en 1870 : permettre à l’Allemagne de vaincre la France serait grandir encore la suprématie nouvelle qui déjà inquiète l’Europe. Celle-ci ne saurait consentir que, par l’abaissement d’un des peuples, l’autre parvînt à un excès de domination dangereux pour tous.

Si donc l’empire voulait attaquer la France et obtenir par la guerre de grands résultats, il aurait à annuler d’abord cette force de l’Europe. Il ne faudrait pas qu’il fût arrêté avant la lutte comme il l’a été, en 1877, par les représentations des puissances. Il ne faudrait pas surtout qu’après, un accord de l’Europe lui enlevât les fruits de la victoire, comme lui-même les a ravis, en 1878, à la Russie par le traité de Berlin. Un peu; le résolu à grandir par la conquête et arrêté par la volonté d’états plus nombreux et plus forts, qui ne prennent ni ne laissent prendre, a une seule chance de vaincre cet obstacle, c’est d’inspirer à ces états des ambitions semblables à la sienne. S’il ne veut pas être troublé dans l’accomplissement d’une spoliation, qu’il montre à ceux dont il redoute la justice d’autres pillages à commettre. La violence excite chez ceux à qui elle révèle ses plans ou le désir de la combattre ou l’espoir de l’imiter. Si elle réussit à corrompre la probité publique, la force qu’elle avait à craindre se dissout; chacun, isolé dans son iniquité, cesse de faire obstacle à l’iniquité d’autrui. Ce peuple a transformé ses juges en complices.

Il y a des heures plus favorables pour ces tentations. Quand des fortunes subites et fondées sur la force se succèdent et durent, changent l’équilibre des peuples et l’apparence même de l’honneur, donnent à la modération un aspect de misère et au devoir de niaiserie, l’immoralité du spectacle finit par glisser sa corruption dans les âmes. L’Europe est à une de ces heures. Les bouleversemens des dernières années n’ont laissé personne satisfait de son sort. L’insolente promptitude de certaines grandeurs a donné aux uns l’habitude de prendre, aux autres une avidité croissante de recevoir. Les peuples songent, de moins en moins révoltés, aux légitimités de l’audace. Lequel n’a jeté sur le monde des regards d’envie, et dans le secret de ses convoitises ne tient déjà pour sien ce qui appartient à d’autres !

Une Allemagne résolue à obtenir de l’Europe la liberté d’action ne trouverait donc pas, dans l’état présent des consciences, un obstacle insurmontable. L’obstacle sera dans l’exigence des appétits. Il n’est pas difficile d’offrir, dans la France elle-même, des dépouilles à certains peuples dont on achèterait ainsi le concours. Mais les seuls auxquels cette récompense pourrait être donnée sont les plus petits des grands peuples, et même alliés de l’Allemagne ne formeraient pas une masse égale au reste des nations européennes. Rien ne serait sûr pour l’Allemagne dans une entreprise où elle n’aurait pas l’aveu de l’Angleterre, de l’Autriche et de la Russie. Quelles compensations peuvent être offertes à ces trois puissances? Toutes trois sont placées par la nature ou attirées par leur commerce à l’orient de l’Europe, et c’est là seulement que l’ambition trouve des espaces où s’étendre. Là la race turque achève son déclin et occupe encore sur le sol une place qu’on sent déjà vide. L’Allemagne, le jour où elle voudrait accroître son empire à l’ouest, n’aurait rien à offrir aux plus grandes puissances de l’Europe que cette proie immense à l’est. La guerre contre la France entraînerait donc un remaniement général de l’Europe.

S’il suffisait pour tout régler que l’Allemagne abandonnât en bloc aux puissances orientales la dépouille de l’empire turc, l’Allemagne ne serait pas arrêtée peut-être par l’immensité du don : elle a proclamé qu’elle n’avait pas d’intérêts directs en Orient. Mais il ne suffit pas qu’une dépouille offerte à plusieurs soit immense, il faut qu’elle soit partageable. Si l’Autriche, l’Angleterre et la Russie avaient des prétentions sur des portions diverses de cet empire, le partage de la Turquie serait aussi simple que fut celui de la Pologne. Mais toutes les fois qu’il s’est agi de la Turquie, les sacrificateurs se sont toujours divisés avant de diviser la victime. C’est que là les puissances copartageantes ne se disputent pas seulement des territoires, mais une autorité morale et une suprématie militaire, et l’ambition de tous revendique le pouvoir.

Leurs vues ne sont pas un mystère. La Russie veut deux choses: étendre son protectorat sur les races slaves des Balkans ; être maîtresse à Constantinople pour s’ouvrir la Méditerranée et fermer la Mer-Noire. L’Angleterre veut fermer à la Russie Constantinople. L’Autriche veut devenir sur les Balkans une puissance slave. Leurs ambitions se contredisent. Le jour où ces peuples tenteraient de les réaliser, ils deviendraient, de complices, ennemis. Comment l’Allemagne réussirait-elle à les concilier? Dès aujourd’hui, elle éprouve combien est dangereux le rôle de ceux qui soufflent l’ambition sur certains points du monde. C’est elle qui, désireuse à la fois d’éloigner l’Autriche, son ancienne rivale, et de lui offrir une compensation, lui a persuadé de chercher fortune vers l’est. L’Autriche, avant de se mettre en marche, a obtenu un traité qui lui assure, si elle est attaquée, l’assistance de l’Allemagne. On en avait conclu dans le monde où l’on cherche les conséquences des actes que l’Allemagne avait pris parti contre la Russie. De là le zèle de l’Angleterre, et ses manœuvres en Bulgarie, pour préparer à l’influence russe un échec. Si la Russie le supportait, c’était l’indice d’une faiblesse qu’on saurait exploiter; si la Russie prétendait se défendre, elle hâtait une guerre où elle trouverait contre elle trois peuples. Ces perspectives n’ont pas paru troubler l’empire russe. Il a ressaisi le gouvernement en Bulgarie avec une vigueur telle, que l’Autriche à son tour, jugeant son prestige de puissance slave compromis si elle tolérait cette prise de possession, a demandé secours à l’Allemagne. Mais l’Allemagne n’était plus disposée à donner que des conseils. Elle a engagé l’Autriche à la patience, la Russie à la modération. Elle a semblé partout surprise que, dans les Balkans, il fût si malaisé de favoriser un ami sans se faire un ennemi. Elle s’est cette fois dégagée, mais en laissant au monde cette impression que la Russie restait maîtresse, l’Autriche abandonnée, et qu’elle avait éprouvé elle-même son premier échec.

Or si, pour avoir voulu se mêler, même avec discrétion, aux difficultés orientales, elle s’est trouvée tout à coup près de la guerre et obligée à un recul, quels seraient ses risques le jour où elle appellerait des puissances si jalouses à résoudre un tel problème? Ce jour-!à, elles déclareraient chacune leur volonté et demanderaient à l’Allemagne d’opter entre elles. Les plus ambitieuses peuvent prendre patience tant que l’heure du partage n’est pas venue, mais quand cette heure sonne, qui va pour jamais attribuer à eux ou à d’autres la dépouille, ils exigent des engagemens précis, et quiconque n’est pas pour eux est contre eux. A la veille d’une guerre, l’Allemagne devrait se prononcer.

Soutiendrait-elle les intérêts de l’Autriche, elle gagnerait par surcroît l’alliance anglaise ; mais, entre la France attaquée et la Russie, l’union serait inévitable, et l’Allemagne tomberait dans les hasards qu’elle n’a pas voulu courir il y a six mois.

Achevant l’évolution qu’elle semble décrire depuis cette époque, laisserait-elle la Russie libre en Orient, et les deux puissances se garantiraient-elles leurs conquêtes aux deux extrémités de l’Europe ? L’Angleterre et l’Autriche, menacées dans leurs intérêts vitaux par la Russie, auraient un intérêt vital à la défaite de l’Allemagne et deviendraient un appui pour la France.

L’Allemagne, enfin, refuserait-elle de prendre ces engagemens positifs? Pour ne pas exciter l’inimitié de certains peuples, elle exciterait les soupçons de tous. Il apparaîtrait qu’elle se propose pour but d’affaiblir tout le monde ; puis, après avoir assuré ses propres conquêtes, de réduire la part des vainqueurs, avec le concours des mécontens, et, devenue seul arbitre de l’Europe, d’exercer sur tous les peuples son protectorat. Ceux qui auront ces craintes se garderont de vagues espérances comme d’autant de pièges, ils ne se laisseront pas tenter par des guerres où les sacrifices leur apparaîtraient définitifs, les avantages révisables, et s’ils échappent à la passion de conquérir, ils se retrouvent en volonté et en force d’empêcher que personne grandisse en Europe. L’incertitude de l’avenir a donc pour limites la certitude d’une alternative. Ou l’encouragement donné par l’Allemagne aux ambitions aujourd’hui suspendues sur l’Europe sera trop vague pour assurer aux peuples avides la part qu’ils souhaitent, et alors la crainte d’une aventure les tiendra attachés à la paix. Ou le consentement de l’Allemagne sera précis, et comme elle promettra à un seul des parts auxquelles plusieurs prétendent, la guerre divisera l’Europe en deux camps. Cette guerre, où chacun des peuples engagés jouerait tout son avenir, serait une des plus générales, une des plus impitoyables, une des plus funestes de l’histoire.


IV.

Voilà pourquoi cette guerre n’éclatera pas.

La crainte qui s’est emparée du monde a été salutaire. Contraints de contempler en face le péril, les gouvernemens et les peuples l’ont vu plus grand encore qu’ils ne le supposaient.

Personne, en Europe, n’osera donner le signal de tels fléaux. Les peuples n’ont jamais manifesté un attachement aussi solennel à la paix. Le gouvernement, auquel sembleraient réservées les plus grandes chances dans la guerre, a déclaré qu’il ne la provoquerait pas. Son intérêt cautionne sa sincérité. Même pour lui, les triomphes seraient douteux et lointains, les malheurs certains, immédiats, et il n’a plus autant à gagner qu’il risque de perdre. Les fondateurs de l’empire ont demandé à la fortune et obtenu d’elle plus qu’elle n’accorda jamais, ils ont établi et fait accepter un excès de prépondérance qu’avant eux l’Europe n’avait supporté de personne; ils viennent d’accumuler, dans l’espace d’une vie d’homme, des œuvres et des gloires qui semblent séculaires. Aujourd’hui, chargés de jours, ils ne peuvent être sollicités que par une gloire nouvelle, celle de donner au monde le repos, de se le donner à eux-mêmes. Ils ne veulent pas achever leur vie au milieu d’une lutte dont ils ne verraient pas la fin, et se préparer les funérailles de ces rois barbares qui faisaient massacrer les hommes jusque sur leur tombeau.

Si la sagesse ou la folie d’une seule volonté commandait aux événemens, malgré le crime, malgré le fléau de la guerre, la guerre serait à craindre. Mais en ce moment elle ne pourrait éclater en Europe que par la folie de tous. Il faudrait le consentement universel des victimes à un malheur qui n’épargnerait personne. Il faudrait que les petites nations menacées de disparaître fussent lasses de vivre, que les grands peuples se fussent mis d’accord pour procéder équitablement à la spoliation des peuples faibles, que toutes les nations eussent foi dans la modération, dans la justice, dans l’amitié éternelle de l’Allemagne. Il suffit que ces puissances s’opposent à la guerre et menacent d’une action commune le perturbateur de la paix, il suffit qu’une seule de ces puissances fasse entendre sa voix pour que la guerre devienne impossible. Il y a à la tête de ces pays des politiques trop clairvoyans pour ignorer leur intérêt et leur force. Il ne leur échappe pas que tout pouvoir illimité devient dangereux pour lui-même et pour les autres, et que s’il reste en Europe encore assez de puissances pour défendre son indépendance, il n’y en a pas une de trop. Nous y garderons notre place, incapables d’exercer la domination, puissans encore pour défendre la liberté de tous. Nous avons besoin de l’Europe, elle n’a pas moins besoin de nous, car tout ce qui serait enlevé à la force de la France serait enlevé à l’équilibre du monde.