Les Indiens de la baie d'Hudson/Partie 1/Préface

Traduction par Édouard Delessert.
Amyot (p. v-vii).

PRÉFACE.


L’ouvrage que je soumets ici au public a été écrit en anglais par M. Paul Kane. M. P. Kane est originaire de Toronto, ville du Canada. À son retour d’Europe, où il venait d’étudier la peinture, il prit ses pinceaux et son fusil, et partit.

Tout le pays qui longe les grands lacs de l’Amérique, les établissements de la rivière Rouge, la vallée de Saskatachawan, avec ses prairies immenses que sillonnera un jour le chemin de fer de l’océan Atlantique au Pacifique ; les montagnes Rocheuses, le cours de la Colombie jusqu’à l’Orégon, le détroit de Puget, l’île de Vancouver, tel fut le vaste théâtre de ce qu’il nomme modestement « les promenades d’un artiste. »

M. Kane passa quatre années à se promener ainsi, dessinant des Indiens peu complaisants et vivant des produits de sa chasse. Il se reposait de temps à autre dans les établissements de la compagnie de la baie d’Hudson, refuges souvent bien pauvres placés là pour recueillir les voyageurs et pour trafiquer avec les sauvages. On a beaucoup lu, dans ces derniers temps, les intéressants romans de M. Gustave Aymard ; c’est un grand voyageur qui a mis aussi les coutumes indiennes à contribution.

Le livre de M. Paul Kane vient confirmer la ressemblance de ces ingénieuses fictions. En effet, pendant quatre ans, que ne voit-on pas au désert ? Depuis ces armées innombrables de bisons, qui arrêtent par leur masse les pas des chasseurs ; depuis ces pêches de saumons miraculeuses, qui font pâlir celles du lac de Genezareth, jusqu’aux danses du scalp et aux combats corps à corps contre des hommes ou des animaux également sauvages et dangereux, dans le désert, que ne voit-on pas ? M. P. Kane raconte avec une rare simplicité des épisodes qui suffiraient individuellement à composer des volumes.

S’il est vrai que la forme des notes quotidiennes apporte au lecteur une certaine fatigue, on peut invoquer pour passer sur ce détail l’accent de véracité de l’auteur, sa bonhomie et surtout son souci de choisir dans ses souvenirs de chaque jour le fait saillant qui le caractérise. Il m’a semblé, d’ailleurs, qu’il était de mon devoir d’aider M. Kane dans cette dernière tâche.

Je n’ai donc pas traduit mot à mot, mais j’ai cherché à rendre, autant que possible, l’allure et le caractère des récits de l’auteur.

Je crois ce volume assez curieux pour captiver l’attention de ceux qui, ne pouvant pas voyager toujours eux-mêmes, suivent d’un œil attentif, dans leurs lointains efforts, les hommes hardis et aventureux.

J’exprimerai, en terminant, le regret que de pareilles publications restent le domaine presque exclusif de nos voisins. Car il y a aussi des Français courageux qui traversent les prairies, marchent de longs jours, avec les raquettes à neige, chassent le bison et touchent du doigt des scalps. Mais ils considèrent comme indigne d’eux d’écrire leurs souvenirs de voyageurs : c’est grand dommage, on lit quelquefois les impressions de voyage, mais on ne les devine jamais. Or, si les Français écrivaient autant qu’ils parlent, ils feraient damner les Anglais.

Édouard Delessert.