Les Impérialistes en Chine

Grigori Voïtinsky
Librairie de l’Humanité (Cahier N° 7p. 3-11).

LES IMPÉRIALISTES EN CHINE


Situation générale

Les événements récents en Chine signifient : premièrement, une offensive des capitalistes internationaux, principalement du groupement anglo-saxon contre le peuple chinois et son mouvement d’émancipation nationale ; deuxièmement, un effort de l’Angleterre et de l’Amérique pour accroître leur influence en Chine et y liquider l’hégémonie du Japon ; troisièmement, une tentative des impérialistes pour organiser le front unique contre l’influence des Soviets en Chine, influence qui s’est intensifiée après la reconnaissance de jure de la Russie des Soviets par la Chine. Tel est le sens des événements actuels en Chine.

Il faut les considérer aussi bien du point de vue territorial (sphères d’influence des impérialistes) que du point de vue des luttes nationales de la Chine même, c’est-à-dire des rivalités entre gouverneurs militaires, dont les pays capitalistes se servent dans leurs intérêts impérialistes.

Les événements qui se déroulent dans le sud de la Chine, dans la province du Kouang-Toung où se trouve Sun-Yat-Sen, ne peuvent être directement rattachés à la lutte entre les généraux des provinces de Tché-Kiang et de Chian-Si pour la possession du port le plus considérable de Chine, Changhaï. Cet antagonisme a été le précurseur de la lutte entre Tchang-So-Lin et Ou-Peï-Fou.

Le territoire de Tchang-So-Lin est constitué par les provinces du nord-est de la Chine et de la Mandchourie ; celui de Ou-Peï-Fou comprend le centre et les provinces voisines, le long du plus grand fleuve de Chine, le Yang-tsé-Kiang. Il y a ici un groupe de généraux, gouvernant des provinces, qui, par leur sympathie pour tel ou tel des super-dudzuns[1] en lutte, influent directement sur l’issue de la lutte que se livrent ces derniers. Nous allons voir comment la lutte entre Tchang-So-Lin et Ou-Peï-Fou peut être rattachée à ce qui se passe actuellement dans le centre de la Chine. Mais faisons auparavant une petite digression historique.

L’antagonisme japono-américain en Chine.

Au printemps 1919-20, la Chine a été le théâtre d’événements ressemblant fort à ceux qui se déroulent actuellement. Mais il n’existait pas encore, alors, dans la Chine du Sud de gouvernement Sun-Yat-Sen ; le parti populaire révolutionnaire Gomindan n’était pas encore au pouvoir. Mais des événements presque semblables aux événements actuels avaient lieu dans le nord de la Chine. A cette époque, l’influence japonaise régnait à Pékin et dans les provinces attenant au centre ; les Japonais dictaient leur politique par l’intermédiaire du gouvernement central de Pékin, c’est-à-dire du club An-Fou, dirigé par le « petit » général Su, alors satrape de Mongolie.

Tchang-So-Lin et Ou-Peï-Fou appartenaient alors à la même clique militaire, celle du Tchili et luttaient contre l’influence japonaise. Maintenant, au contraire, Tchang-So-Lin combat le gouvernement centrai et Ou-Peï-Fou, c’est-à-dire les agents du capital anglo-américain.

La lutte intestine entre les militaristes chinois en 1920 était une répercussion de la lutte entre l’Angleterre et l’Amérique, d’une part, et le Japon, de l’autre. La guerre de ces cliques militaristes de Chine était celle de deux groupements impérialistes.

Pourquoi en était-il ainsi ? Principalement parce que, pendant la guerre mondiale, le Japon avait acquis une influence prédominante en Chine, au détriment des autres impérialistes.

On peut affirmer que, pendant la guerre mondiale, le Japon devint la force impérialiste principale en Chine. Il réussit à s’emparer des territoires appartenant autrefois à l’Allemagne, la province du Chan-Toung et le riche port de Tsin-Dao. Il réussit, à l’aide de 21 revendications présentées à Yuan-Chi-Kaï, président de la Chine, à étendre son pouvoir sur les mines de houille et les chemins de fer. La banque d’Etat japonaise reçut le privilège de financer l’industrie chinoise, le Japon obtint le droit d’envoyer des agents instructeurs dans l’armée chinoise ; il eut des représentants et des conseillers dans le ministère chinois des affaires étrangères. Bref, il acquit, pendant la guerre, une influence prépondérante sur la vie économique, politique et administrative de la Chine.

La guerre mondiale terminée, les impérialistes, l’Amérique en premier lieu, ayant besoin de marchés et de pays pour absorber leurs capitaux, augmentés pendant la guerre, se tournèrent vers la Chine. Lorsque les Américains vinrent en Chine et s’aperçurent de la situation qui s’y était créée, ils tentèrent, à l’aide de forces chinoises, d’en évincer le Japon, mais de façon à ce que la main de l’Amérique restât invisible. Cet antagonisme entre l’Amérique et le Japon en Chine, après la guerre mondiale, explique la lutte entre le club An-Fou et Tchang-So-Lin en 1920.

Le club An-Fou fut vaincu par Tchang-So-Lin. L’influence japonaise en Chine fut diminuée, mais insuffisamment au gré de l’Amérique. Il est vrai que le Japon dut promettre déjà alors d’évacuer la province du Chan-Toung ; il perdit son influence dans le centre politique de la Chine, à Pékin, mais la liaison économique entre le Japon et la Chine, l’appareil économique japonais en Chine, ne fut pas brisée.

En 1920, l’Amérique avait tenté de triompher de l’influence japonaise d’abord par des procédés militaires, ensuite par une pression financière. C’est alors précisément, après la victoire de Tchang-So-Lin, qu’elle proposa à la Chine ce qu’on a appelé le consortium. Ce devait être une banque internationale, fondée dans une Chine semi-coloniale, afin que les impérialistes pussent réaliser de concert leur domination économique en Chine, donnant des subsides et des moyens de transport à l’industrie chinoise et obtenant en revanche le contrôle de la vie politique et économique du pays.

Cela semblait aux impérialistes, à l’Amérique surtout, un moyen fort commode de subjuguer la Chine. Et, au début, cette proposition eut du succès, du moins dans la presse bourgeoise et l’opinion publique de l’Amérique, de l’Angleterre et du Japon ; des représentants du capital financier international, américain et anglais surtout, apparurent en Chine, vinrent à Pékin et à Changhaï afin de réaliser les plans du consortium.

Cependant, l’idée de ce consortium provoqua bientôt un nouveau conflit entre l’Amérique et le Japon à Canton, et l’opinion publique japonaise déclara par sa presse que le consortium ne pouvait s’étendre sur la Mandchourie et la Mongolie, le Japon y ayant des intérêts particuliers. Les Japonais prétendaient être de la même race que les Mongols et les Mandchous ; par suite, le capital américain ne devait pas pénétrer dans ces pays.

D’autre part, grâce à la lutte entre l’Amérique et le Japon, il y eut un incident qui mit en branle les masses chinoises. On apprit en Chine que, pour garantir les emprunts que devrait donner le consortium, le gouvernement chinois accorderait des concessions avantageuses : le droit de perception des impôts fonciers, le monopole du sel et du tabac, etc…, ce qui impliquait le joug de la banque internationale sur le peuple chinois. C’était une victoire trop peu dissimulée des impérialistes. Le ministre chinois des affaires étrangères, Yen, dut alors demander par écrit au financier Lamont, représentant des impérialistes internationaux, organisateur du consortium, de démentir officiellement ce bruit. Lamont fit une réponse inintelligible et, peu après, l’idée du consortium s’éteignit.

La Conférence de Washington et les impérialistes

Après l’expérience infructueuse du consortium, l’Amérique conçoit un autre plan d’oppression « pacifique » de la Chine. Elle propose l’idée de la conférence de Washington. Il s’agissait de réunir les impérialistes à Washington et de décider la façon dont on pourrait satisfaire en les accordant les intérêts de tous les impérialistes en Chine et utiliser, le plus avantageusement possible, le peuple chinois et les matières premières du pays.

Mais le but principal de cette conférence devait être de liquider l’hégémonie du Japon en Chine, qui s’était établie pendant la guerre mondiale. Il fallait pour cela, premièrement, donner à la conférence l’apparence de défendre les intérêts de la Chine ; la question de la souveraineté de la Chine devait y figurer. Le Japon devait restituer tout ce qu’il avait conquis en Chine. Personne ne devait démembrer la Chine, mais, au contraire, tout le monde devait soi-disant contribuer à créer une Chine indivisible.

C’est l’Amérique qui avait suggéré cette idée.

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. L’Amérique n’avait pas de sphère territoriale d’influence en Chine, alors que les autres puissances en possédaient. Elle était donc naturellement intéressée a ce que les autres impérialistes perdissent leurs sphères d’influence, afin que les territoires en question fussent remis au gouvernement chinois, mais à un gouvernement chinois entièrement soumis à l’Amérique. Ainsi, sans avoir de droits juridiques sur des sphères d’influence, l’Amérique en posséderait en fait.

L’autre but de la conférence de Washington était de rompre l’alliance anglo-japonaise en Extrême-Orient, afin d’affaiblir le Japon. L’Angleterre et le Japon s’étaient alliés en 1902. En 1911, ils avaient renouvelé leur alliance, qui, en 1922, après vingt ans d’existence, fut dénoncée à la conférence de Washington, à la demande de l’Amérique, celle-ci ne pouvant admettre que l’influence du groupement anglo-japonais en Extrême-Orient dépassât la sienne.

La troisième question de la conférence de Washington était celle de la limitation des armements navals, au détriment du Japon également.

C’est à contre-cœur que le Japon se rendit à la conférence de Washington qui, il le savait, mettrait fin à son alliance avec l’ Angleterre et diminuerait son influence en Chine. Mais il dut s’y rendre, tout en maugréant contre l’Amérique : il déclarait qu’il soulèverait l’Asie contre l’Amérique, qu’il retournerait contre cette dernière la doctrine de Monroë et lancerait le mot d’ordre : L’Asie aux Asiatiques. L’Amérique ne fut pas intimidée. Elle exerçait également son influence sur le Japon par l’entremise de l’Angleterre qui, après la guerre, était sa débitrice et devait exécuter ses volontés.

Ainsi, la conférence de Washington devait diminuer le rôle du Japon en Chine, et l’Amérique y parvint.

La conférence décida que les Japonais devaient évacuer les provinces qu’ils avaient occupées en Chine. Mais ce n’était pas tout : il fallait résoudre intégralement la question de la Chine au point de vue de la souveraineté de ce pays. C’est là que surgit la question de savoir pourquoi les douanes chinoises se trouvaient entre les mains des étrangers, pourquoi ces derniers avaient des concessions importantes et occupaient les meilleurs quartiers dans les grandes villes et les grands ports chinois. Autrement dit, la conférence dut s’occuper de la question de l’exterritorialité, c’est-à-dire des droits spéciaux des étrangers dans les ports et les grandes villes de Chine. Or, cela fit apparaître d’autres questions, comme par exemple celle des tribunaux étrangers (il faut dire qu’il existe en Chine des tribunaux étrangers). Toutes ces questions furent « résolues » par la promesse des impérialistes de modérer un peu leurs appétits en Chine.

Mais la conférence de Washington ne supprima pas immédiatement l’influence japonaise en Chine. Il fallait aux Japonais du temps pour liquider la situation et procéder à l’évacuation.

Dans les provinces d’où les Japonais devaient retirer leur gendarmerie et abandonner les chemins de fer, les crimes devenaient de plus en plus fréquents et les Japonais démontraient qu’il leur était impossible de s’en aller, leur départ pouvant susciter des désordres et menacer les intérêts des étrangers.

Afin de forcer le Japon à exécuter les décisions de Washington, l’Amérique dut recourir encore une fois à son moyen favori : fomenter des guerres entre les militaristes chinois, afin d’opérer un nouveau regroupement des forces impérialistes en Chine.

Les militaristes chinois,
instrument des capitalistes étrangers

En effet, en mai 1922, trois mois après la conférence de Washington, eurent lieu les premiers combats entre Tchang-So-Lin et Ou-Peï-Fou, près de Changhaï et autres localités. Ainsi, la décision de la conférence de Washington était mise en vigueur par la force des armes dans la lutte entre les deux principaux militaristes chinois. Ce fait est loin d’être fortuit. Tout le monde disait en Chine que l’antagonisme entre Tchang-So-Lin et Ou-Peï-Fou s’aggravait, mais on ne pouvait prévoir que le conflit éclaterait précisément après la conférence de Washington.

Il faut s’arrêter ici sur le second facteur auquel j’ai fait allusion plus haut, sur les rapports entre les forces nationales de la Chine et les impérialistes, autrement dit sur la façon dont les antagonismes entre militaristes chinois étaient mis à profit par les impérialistes étrangers.

Pourquoi Tchang-So-Lin est-il en guerre avec Ou-Peï-Fou ? Cette question demanderait une étude détaillée. Il y a là, outre des causes historiques, des causes économiques profondes. La Chine, dont la superficie égale celle de l’Europe, ne saurait être considérée comme un tout indivisible. Chacune de ses provinces forme un pays distinct. Ainsi, le Kouang-Toung a 20 millions d’habitants, le Chan-Toung, 36 millions ; en somme, chaque province a au moins 20 à 30 millions d’habitants.

Dans un pays si vaste et si peuplé, où il n’existe pas de réseau de chemins de fer, où l’industrie est encore arriérée, où le commerce n’est pas concentré, la lutte entre des potentats militaires régnant dans telle ou telle province peut être considérée comme une lutte de seigneurs féodaux pour le pouvoir. C’est ce qui apparaît encore plus clairement si l’on considère que la Chine est peuplée de diverses nationalités, parlant des langues différentes.

De la sorte, ce grand pays à langues diverses est l’arène d’une lutte semblable à celle qui a lieu dans tout autre pays sans liaison économique, sans intérêts économiques généraux, privé de centres, sans bourgeoisie unique.

La bourgeoisie chinoise s’appuie principalement sur le capital de la puissance étrangère dans la sphère d’influence de laquelle elle se trouve. La bourgeoisie du Chan-Toung, par exemple, s’appuyait autrefois sur le capital allemand, les provinces centrales sur le capital anglais, les grands ports sur l’Angleterre et l’Amérique, la Mandchourie sur le Japon. Ainsi, le pays ne pouvait être centralisé et c’est pourquoi la lutte est comme le résultat de forces centrifuges. Dominant dans les trois provinces orientales, ayant son armée, ses revenus, lié à la bourgeoisie marchande chinoise, principalement avec celle qui fait le commerce des blés (la Mandchourie est le grenier de la Chine du Nord ; en outre, elle exporte son blé dans d’autres pays), lié en outre avec le Japon par l’intermédiaire du capital marchand chinois, Tchang-So-Lin s’efforce d’étendre ses possessions, car il a besoin de grandes forces militaires, de transports et veut s’affermir dans le territoire déjà conquis.

Il en est de même pour le général Ou-Peï-Fou qui cherche à s’étendre du centre vers le nord et le sud. Ainsi, les intérêts des militaristes chinois s’entre-choquent. Mais ils n’auraient jamais amené un conflit si rapide et la lutte n’aurait jamais pris des proportions si formidables, si les impérialistes étrangers n’avaient attisé les rivalités et jeté les adversaires les uns sur les autres.

Le sens de la lutte actuelle
dans le Nord et le Centre de la Chine

Quelle est l’attitude des impérialistes en Chine ? Ils déclarent qu’il n’y a pas d’ordre dans le pays, que les intérêts des citoyens étrangers y sont menacés ; par suite, ils demandent une extension de la zone « neutre », c’est-à-dire un élargissement des concessions étrangères et l’institution d’une surveillance spéciale des chemins de fer, ce qui équivaudrait au contrôle étranger sur les chemins de fer et sur la vie politique du pays, et cela soi-disant pour protéger la vie et la fortune des sujets étrangers. C’est dans ce but que les impérialistes fomentent des troubles dans le pays, enveniment la lutte entre Tchang-So-Lin et Ou-Peï-Fou. Maintenant, les Etats-Unis n’ont plus la patience d’attendre la disparition progressive de l’influence du Japon du fait de la concurrence économique et sa retraite devant le capital américain. Ils estiment qu’après le tremblement de terre, le Japon est affaibli, qu’on peut l’évincer facilement de Chine et réduire son importance politique en général. L’Amérique et l’Angleterre s’efforcent de supprimer les vestiges de l’influence du club japonophile An-Fou dans le Tché-Kiang, dont le gouverneur général a sous son pouvoir le port de Changhaï, qui est le sixième du monde et par lequel passe 60 % de l’exportation chinoise.

La lutte dans le centre et le nord de la Chine a lieu précisément là où se croisent les intérêts des impérialistes, près de Changhaï et de Changhaï-Huan, c’est-à-dire à la frontière des zones d’influence japonaise, anglaise et américaine.

Ainsi, la lutte dans la Chine centrale et septentrionale doit être considérée comme une lutte pour l’influence de l’Amérique et de l’Angleterre contre le Japon, l’offensive appartenant au capital anglo-américain.

Le Gouvernement populaire-révolutionnaire
de Sun-Yat-Sen et les Impérialistes

Quel est le rapport entre ce qui se passe au sud de la Chine et les événements du centre et du nord ? Pourquoi le gouvernement Mac Donald attaque-t-il le gouvernement Sun-Yat-Sen ? Les provinces méridionales sont séparées, elles ne reconnaissent pas le gouvernement du nord, elles estiment que le gouvernement de Pékin, n’est pas national, qu’il s’est emparé du pouvoir à l’aide des étrangers dont il sert les intérêts. D’autre part, le gouvernement du Nord considère Sun-Yat-Sen comme un rebelle et ne le reconnaît pas.

Quelle est donc l’attitude des impérialistes envers le gouvernement Sun-Yat-Sen ?

Le Gouvernement du Nord est dirigé par Tsao-Kun, un des chefs de la clique militariste du Tchili, que l’Amérique a élevé à la présidence à coups de dollars. Il est naturel que le gouvernement du Nord et celui du Centre s’efforcent d’être agréables à l’Angleterre et à l’Amérique.

Quant au gouvernement de Sun-Yat-Sen, les impérialistes anglais et américains le considèrent comme hostile à leurs intérêts, parce qu’il réveille le peuple chinois, organise les petites gens, les prépare à la lutte contre les militaristes chinois et les impérialistes étrangers. Ils ont en haine Sun-Yat-Sen et le parti Gomindan, qui est en ce moment, au midi, le parti gouvernemental et mène une politique antiimpérialiste.

C’est après le congrès du Gomindan que les impérialistes étrangers ont compris le caractère national de ce parti et les intentions de Sun-Yat-Sen. Ce congrès, tenu en février dernier, a adopté un programme et une plate-forme propres à mener le peuple chinois à la lutte contre les impérialistes.

Voici ce que dit son manifeste :

« Les traités qui ont établi en Chine le droit d’exterritorialité, la juridiction et les tribunaux étrangers, de même que les traités conférant aux puissances étrangères le droit de diriger les douanes dans les ports chinois ou violant la souveraineté de la Chine doivent être annulés et remplacés par de nouveaux traités basés sur l’égalité complète et le respect de la souveraineté de la Chine et des autres puissances. »

En mai dernier, à Canton, capitale du gouvernement du Sud, eut lieu un congrès ouvrier (il y a à Canton plus d’un million d’ouvriers et artisans) auquel les travailleurs de Canton posèrent nettement la question de la lutte contre les gros marchands et les impérialistes étrangers.

Peu après ce congrès eut lieu celui de la milice des marchands, c’est-à-dire des détachements organisés par les marchands pour défendre leurs intérêts. Ce second congrès, lui aussi refléta assez nettement des intérêts de classe. Il réclama une politique plus nette envers la population pauvre. Ces deux congrès furent le signal du conflit de Canton qui se produisit vers la fin d’août et amena l’intervention des impérialistes étrangers dans les affaires de la Chine méridionale.

Vers la fin d’août de cette année, on apprit que les gros marchands du Kouang-Toung, s’étaient soulevés contre Sun-Yat-Sen parce qu’il défendait les masses laborieuses et organisait une milice opposée à la milice marchande. On apprit en même temps que les Anglais avaient envoyé des croiseurs dans les eaux de Canton ainsi qu’une note à Sun-Yat-Sen pour le prévenir que, s’il réprimait le soulèvement des marchands, leurs croiseurs bombarderaient Canton. Les impérialistes anglais se posaient nettement en protecteurs des marchands rebelles. C’est là un fait qui n’a rien de fortuit. Déjà, pendant le congrès de la milice marchande, la presse anglaise déclarait ouvertement que l’état-major de cette milice était en liaison avec Hong-Kong, port anglais à cinq heures de Canton. Aussi, lorsque les détachements des marchands chinois organisés avec l’aide des impérialistes anglais se révoltèrent, les croiseurs anglais vinrent à leur secours.

On sait que les marchands de Canton ne sont pas parvenus à renverser le gouvernement Sun-Yat-Sen, que ce dernier se maintient et que Sun-Yat-Sen, loin de vouloir rester inactif dans la lutte contre les impérialistes, est décidé à utiliser le différend entre militaristes chinois pour élargir la base du mouvement d’émancipation nationale.

Les Impérialistes et Canton

Comment se fait-il que les croiseurs anglais n’aient pas bombardé la capitale du Sud ? Il faut en chercher la raison principale dans les proportions considérables qu’a revêtues le mouvement national dans la province de Canton. Sun-Yat-Sen et son gouvernement populaire ont été appuyés par de grandes masses de population laborieuse non seulement dans cette province, mais dans la Chine tout entière.

Ensuite, l’opinion publique du prolétariat mondial a été rapidement mobilisée par la société Ne touchez pas à la Chine. Lorsque l’attentat des impérialistes contre le mouvement d’émancipation nationale en Chine a été connu, l’opinion ouvrière a exercé une pression indéniable sur le gouvernement anglais, instigateur de l’attaque contre Canton.

Enfin, le représentant plénipotentiaire de l’U. R. S. S. en Chine joue également un grand rôle. Membre du corps diplomatique, il démasque chaque acte des impérialistes, toute tentative de porter un nouveau coup aux sentiments nationaux des masses chinoises.

Tels sont les trois facteurs qui ont retenu jusqu’à un certain point les impérialistes.

Néanmoins, il se peut que ces derniers veuillent continuer leur intervention en Chine et cherchent tout d’abord à détruire la base du mouvement révolutionnaire, Canton, et à abattre le gouvernement Sun-Yat-Sen.

Des questions très importantes pour les impérialistes se décident au centre et au nord de la Chine. Premièrement l’influence du Japon sera-t-elle définitivement liquidée ? Deuxièmement, à quel point peut-on* utiliser la guerre civile pour acquérir de nouvelles prérogatives économiques en Chine ? Troisièmement, comment refouler la vague du mouvement national, qui s’intensifie de plus en plus, surtout après la reconnaissance des Soviets par la Chine ?

La lutte des impérialistes chinois
et le mouvement d’émancipation

Il est difficile d’établir une liaison entre la lutte au sud de la Chine et celle qui se déroule au nord et au centre, mais toutes deux sont grosses de conséquences pour le mouvement national.

Si, au centre, le groupe soutenu par l’Angleterre et l’Amérique était battu par celui qui s’oriente sur le Japon, cela romprait l’équilibre actuel des forces au profit du mouvement national, car l’Angleterre, dont l’influence est prédominante, stabilise la politique réactionnaire de Tsao-Kun qui comprime de plus en plus les masses chinoises et exerce des répressions de plus en plus violentes contre le mouvement ouvrier.

Quels résultats aurait la défaite de cette clique dirigeante ? Tout d’abord, elle libérerait jusqu’à un certain point l’énergie nationale. Elle aiderait les forces nationales de la Chine à résister aux agents de la réaction et activerait le mouvement d’émancipation nationale dans tout le pays.

Sa victoire, au contraire, entraînerait un renforcement du joug impérialiste et une stabilisation de la réaction anglo-américaine dans la vie politique de la Chine.

La victoire du groupe militariste s’orientant sur le Japon n’aboutirait évidemment pas à l’émancipation des masses et ne donnerait même pas la liberté politique aux couches supérieures du peuple chinois. Bien plus, il est possible que les impérialistes qui pontent sur Tsao-Kun et sa bande essaient, après la défaite de ce dernier, de former un nouveau groupe militariste qui leur serait dévoué. Mais, en tout cas, le rapport des forces actuelles serait rompu ; or, toute rupture de l’équilibre actuel serait un échec pour l’Angleterre et l’Amérique et, par suite, serait avantageux au mouvement populaire révolutionnaire.

C’est en se plaçant à ce point de vue que l’on peut s’expliquer les raisons qui poussent Sun-Yat-Sen à s’immiscer dans la lutte entre les généraux des diverses provinces et à se lier avec le groupe de Tchang-So-Lin contre Ou-Peï-Fon.

Sun-Yat-Sen estime qu’au cas où Ou-Peï-Fou serait vaincu, la lutte entre Tchang-So-Lin et lui serait inévitable, mais qu’il faut auparavant vaincre la clique militariste la plus forte, celle qui sert les intérêts du capital anglo-américain, la clique de Ou-Peï-Fou.

Détestant également Tchang-So-Lin et Ou-Peï-Fou, qui mènent la même politique de réaction et de répression, les masses chinoises comprendront difficilement pourquoi Sun-Yat-Sen soutient l’un d’eux. Elles ne le comprendront que lorsque Sun-Yat-Sen se liera avec Tchang-So-Lin et utilisera son alliance avec lui de façon à faire profiter le Gomindan des rivalités entre impérialistes et à le fortifier suffisamment pour que l’issue de la lutte entre Tchang-So-Lin et Ou-Peï-Fou soit favorable aux intérêts de la masse chinoise.

Le prolétariat mondial et la lutte en Chine

A quel point le prolétariat mondial et l’U. R. S. S. sont-ils intéressés a la lutte qui se déroule actuellement en Chine ? Chacun comprend maintenant l’importance de l’U. R. S. S. en Orient, c’est pourquoi il est inutile de s’étendre sur l’avantage qu’a notre Union à ce que les masses chinoises secouent le joug du capital étranger.

En outre, l’U. R. S. S. est la voisine immédiate de la Chine ; par suite, si ce pays est indépendant, elle n’aura pas à redouter des conspirations impérialistes qui pourraient être dirigées contre elle de ce côté.

Voici maintenant ce qu’on peut dire au sujet des intérêts du prolétariat mondial dans les événements actuels en Chine.

Quels seront pour la classe ouvrière d’Amérique et d’Angleterre les résultats de la victoire du groupe des impérialistes américains en Chine ?

Si les Américains triomphent, ils importeront des quantités énormes de marchandises en Chine, en toute franchise, car les douanes se trouvent entre leurs mains ainsi que les organes de distribution et les transports. L’importation anglaise et surtout américaine de marchandises à bon marché entraînera une ruine rapide de l’artisanerie en Chine, partant un appauvrissement général de la population rurale. Dans un pays comme la Chine, où il y a des centaines de millions d’habitants, ce processus peut prendre des proportions formidables. On verra apparaître ainsi une quantité immense de main-d’œuvre à vil prix, des masses d’affamés qui devront se chercher du travail. Il est évident qu’en dépit de tous les règlements et de tous les obstacles que dresseront les pays impérialistes, cette main-d’œuvre se précipitera sur le marché européen et américain et y fera baisser les salaires.

Il est une autre éventualité. Le capital étranger trouve en Chine une main-d’œuvre et des matières premières à bon marché. Cela frappera également les ouvriers européens et américains. Cela créera une concurrence du travail blanc et jaune sous une forme encore pire que sur le territoire de l’Amérique et de l’Europe. Le renforcement du capital anglais et américain en Chine est une menace directe à la classe ouvrière de l’Europe et de l’Amérique, qui ne doit pas permettre aux impérialistes de vaincre le peuple chinois. Le prolétariat d’Europe et d’Amérique doit enrayer l’intervention et empêcher les impérialistes d’établir leur hégémonie politique et économique sur la Chine.

C’est pourquoi nous nous adressons au prolétariat mondial pour l’inviter a organiser des sociétés sous la devise : Ne touchez pas à la Chine ! Ces sociétés devront mobiliser l’opinion publique des masses ouvrières de tous les pays afin qu’au moment de l’intervention armée en Chine, la classe ouvrière mondiale puisse dire aux impérialistes :

Ne touchez pas à ta Chine !

G. Voïtinsky.



Imp. coop. LA TYPO-LITHO, 11, ruie Danicourt Malakoff (Seine)
  1. On nomme super-dudzuns les chefs militaires dirigeant plusieursprovinces comme, par exemple, Tchang-So-Lin et Ou-Peï-Fou.