Librairie européenne (p. 26-28).


GABRIELLE



Si je n’étais captive.
Victor Hugo, Orientales.


S’il n’était pas malade
J’aimerais mon mari,
Je l’aurais, mièvre et fade,
Choyé, payé, nourri ;
Si, remède bien sombre
À tous ses maux sans nombre,
N’étincelait dans l’ombre
L’acier du bistouri.


Avant mon mariage,
Que j’étais belle à voir !
J’étais heureuse, sage,
Pure comme un miroir.
Chez moi, les gentilshommes
Sortis des hautes gommes,
Pour de très fortes sommes,
Venaient causer le soir.

Pourtant, j’aime la vie
Douce du pot-au-feu.
J’étais déjà ravie
De la tâter un peu :
J’avais mon anti-type,
Mais ce gueux, sans principe,
Souffre fort d’une… grippe.
— Il m’en a fait l’aveu. —

Je ne suis pas si bête,
Ô toi, l’élu, i, ni,
C’est fini ! plus de fête,
Ai-je dit, c’est fini !

J’en jure par ma bouche,
Ton cas est vraiment louche !
— Et de ma noble couche
Je l’ai vite banni !

Illusions éteintes,
Que ne vous ai-je encor !
Ah ! belles nos étreintes
Quand nous étions d’accord !
Je n’étais jamais lasse
De baisers… Dans l’espace,
Vénus ! Quelle ombre passe ?
Le spectre de Ricord !