Librairie européenne (p. 20-22).


LA FORTUNE PERDUE



Allah ! qui me rendra ma redoutable armée !
V. Hugo, Orientales.


Vénus ! qui me rendra ma grande renommée,
Ma chevelure d’or et ma taille d’almée ?
Mon hôtel et ma chambre éblouissante à voir,
Où, la nuit, s’allumaient des feux au fond de l’ombre,
Où, de ducs et de rois vint défiler un nombre
Que moi-même ne puis savoir ?


Qui me rendra mes grooms aux splendides livrées ?
Et mes laquais, couverts de pelisses fourrées,
Mes cochers, galonnés comme des généraux ?
Mes marmitons, sortis des fameuses cuisines,
Dont les bisques et les salmis de bécassines
Relevaient le courage abattu des héros ?

Tous ces vaillants, à l’œil de flamme, à l’âme forte,
Qui, chacun à son tour, avaient franchi ma porte,
Quoi ? je ne verrai plus en persillant au Bois
Leurs troupes, par le temps, hélas ! diminuées,
Derrière mon landau s’ébattre par nuées,
À l’épatement des bourgeois !

Les voilà tous partis, leurs cœurs brûlent pour d’autres.
Tous, pendant quarante ans, firent les bons apôtres,
Achetant par de l’or le droit de m’approcher !
Tous partis ! Les bijoux ont pris la même route,
Ma beauté, mes appas ! Hélas ! quelle déroute !
Vénus ! je n’ai plus même un lit où me coucher !

Vénus ! qui me rendra ma grande renommée ?
Ma chevelure d’or est blanche et clairsemée ;

Je n’ai plus de logis et suis sur le pavé !
Quoi ? soupirants, amants, des quatre coins du monde,
Leurs présents, leurs amours, ô misère profonde !
C’est comme si j’avais rêvé !

Ainsi parlait Cora le soir de sa défaite.
Elle n’était vraiment pas du tout à la fête,
Pearl, et des pleurs perlaient dans ses yeux meurtriers.
Rêveuse, elle songeait au retour de Cythère.
Près d’elle, son bidet du pied frappait la terre,
Un bidet maigre et nu, dépourvu d’étriers !