Les Historiettes/Tome 3/62

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 410-415).


MADAME DE MONTBAZON
(MARIE DE BRETAGNE).


Elle étoit fille aînée du comte de Vertus et de la comtesse dont nous venons de parler. Elle étoit encore fort jeune et étoit en religion quand le bon homme de Montbazon l’épousa ; c’est pourquoi il l’a toujours appelée ma religieuse. Il en écrivit une lettre à la Reine-mère, ou plutôt il la copia, car elle étoit assez raisonnable pour avoir été écrite par un plus habile homme que lui[1]. La substance étoit qu’il savoit bien de quoi cela menaçoit une personne de son âge ; mais qu’il espéroit que le bon exemple que lui donneroit Sa Majesté la retiendroit toujours dans les bornes du devoir, etc. Vous verrez si elle a fait mentir le proverbe que bon chien chasse de race. C’étoit une des plus belles personnes qu’on pût voir, et ce fut un grand ornement à la cour ; elle défaisoit toutes les autres au bal, et, au jugement des Polonois, au mariage de la princesse Marie, quoiqu’elle eût plus de trente-cinq ans, elle remporta encore le prix. Mais, pour moi, je n’eusse pas été de leur avis ; elle avoit le nez grand et la bouche un peu enfoncée ; c’étoit un colosse, et en ce temps-là elle avoit déjà un peu trop de ventre, et la moitié plus de tétons qu’il ne faut ; il est vrai qu’ils étoient bien blancs et bien durs ; mais ils ne s’en cachoient que moins. Elle avoit le teint fort blanc et les cheveux fort noirs, et une grande majesté.

Dans la grande jeunesse où elle étoit quand elle parut à la cour, elle disoit qu’on n’étoit bon à rien à trente ans, et qu’elle vouloit qu’on la jetât dans la rivière quand elle les auroit. Je vous laisse à penser si elle manqua de galants. M. de Chevreuse, gendre de M. de Montbazon, fut des premiers[2]. On en fit un vaudeville dont la fin étoit :

Mais il fait cocu son beau-père
Et lui dépense tout son bien.
Tout en disant ses patenotres,
Il fait ce que lui font les autres.

M. de Montmorency chanta ce couplet à M. de Chevreuse dans la cour du logis du Roi ; je pense que c’étoit à Saint-Germain. M. de Chevreuse dit : « Ah ! c’est trop, » et mit l’épée à la main ; l’autre en fit autant. Les gardes ne voulurent pas les traiter comme ils pouvoient à cause de leur qualité, et on les accommoda. M. d’Orléans l’a aimée, et M. le comte (de Soissons) aussi. Il en contoit auparavant à madame la princesse de Guémené, belle-fille de M. de Montbazon, et la rivale de la duchesse. Elle l’obligea, à ce qu’on m’a dit toutefois, de faire une malice à madame de Guémené ; ce fut de faire semblant de remettre ses chausses, comme il entroit du monde. Il le fit, et après en demanda pardon à la belle. J’ai dit ailleurs pourquoi M. le comte quitta madame de Montbazon. Bassompierre l’entreprit ; mais il n’en put rien avoir, je ne sais pourquoi. Hocquincourt, fils du grand prévôt, aujourd’hui maréchal de France, est un de ceux dont on a le plus parlé. Lorsque les ennemis prirent Corbie, sur le bruit qui courut que Picolomini avoit dit que s’il venoit à Paris, il vouloit madame de Montbazon pour son butin, pour se moquer de ce franc Picoüard qui étoit toujours sur les éclaircissements, et qui n’a pas le sens commun, on fit un cartel de lui à Picolomini et la réponse. Il y avoit au cartel :

« Moi, M. d’Hocquincourt, gouverneur de Péronne, Montdidier et Roye,

« À toi, Picolomini, lieutenant-général des armées de l’empereur en Flandre, fais savoir que ne pouvant souffrir davantage les cruautés exercées dans mes gouvernements, je désire en tirer raison par l’effusion de ton sang. J’ai choisi le lieu où je veux vous voir l’épée à la main. Mon trompette vous y conduira ; ne manquez de vous y trouver, si vous êtes un homme de bien, avec une brette de quatre pieds de long pour terminer nos différends. »

Réponse

« Monsieur de Hocquincourt, demeurez dans votre gouvernement ; je souhaiterois pour ma satisfaction que vous vous fussiez trouvé à onze batailles et soixante-douze siéges de villes comme moi, pour vous voir en lieu où je ne fus jamais qu’avec joie, et d’où je ne revins jamais sans avantage. Mais, dans l’état où vous êtes, je ne puis hasarder ma réputation contre vous sans faire tort à celle de mon maître qui m’a confié ses armées. J’ai deux cents capitaines dans mes troupes, dont le moindre croiroit se faire tort de venir aux mains avec vous. Toutefois, si vous persévérez dans ce dessein, il s’en trouvera quelqu’un qui, en ma considération, ravalera son estime jusque là. Adieu, monsieur d’Hocquincourt ; faites bonne garde. Vous savez que je ne suis pas loin de vous, et que je sais aussi bien surprendre des places que commander des armées. »

Ce M. d’Hocquincourt ayant gagné une femme-de-chambre, se mit un soir sous le lit de la belle. Par malheur le bon homme se trouva en belle humeur, et vint coucher avec sa femme ; il avoit de petits épagneuls qui, incontinent, sentirent le galant, et firent tant qu’il fut contraint d’en sortir. Pour un sot il ne s’en sauva pas trop mal : « Ma foi, dit-il, monseigneur[3], je m’étois caché pour savoir si vous étiez aussi bon compagnon qu’on dit. » Quand il se mit à la cajoler, il lui déclara, en homme de son pays, qu’il ne savoit ce que c’étoit que de faire l’amant transi, qu’il falloit conclure, ou qu’il chercheroit fortune ailleurs. C’est comme il faut avec une femme qui a toujours pris de l’argent ou des nippes. Roville, après lui, y laissa bien des plumes, et on a dit que Bonnel Bullion, c’est-à-dire le dernier des hommes, y avoit été reçu pour son argent. En un vaudeville, il y avoit :

Cinq cents écus bourgeois font lever la chemise.

Quand le duc de Weimar vint ici la première fois, en causant avec la Reine de la manière dont il en usoit pour le butin, il dit qu’il le laissoit tout aux soldats et aux officiers. « Mais, lui dit la Reine, si vous preniez quelque belle dame, comme madame de Montbazon, par exemple ? — Ho ! ho ! madame, répondit-il malicieusement en prononçant le B à l’allemande, ce seroit un pon putin pour le général. »

Elle fit servir un jour, sur table, dans un bassin, M. de Soubise d’aujourd’hui, qui étoit un fort bel enfant ; il s’appeloit le comte de Rochefort.

On n’osoit conclure qu’elle se fardoit ; mais un jour, à l’Hôtel-de-Ville, qu’il faisoit un chaud du diable, la Reine aperçut que quelque chose lui découloit sur le visage. On dit pourtant qu’elle ne mettoit du blanc qu’aux jours de combat, aux grandes fêtes, et qu’elle l’ôtoit dès qu’elle étoit de retour. Ses amours et ses intrigues avec M. de Beaufort et sa mort se trouveront dans les Mémoires de la Régence. J’ajouterai que quand elle se sentoit grosse, après qu’elle eut eu assez d’enfants, elle couroit aux grand trot en carrosse partout Paris, et disoit : « Je viens de rompre le cou à un enfant. »

Un extravagant rimeur et chanteur, qu’on appelle M. d’Enhaut, devint amoureux d’elle, et un jour qu’on lui arrachoit une dent : « Misérable mortel que je suis, s’écria-t-il, j’ai toutes mes dents, et on va en arracher une à cette divinité ! » Il part de la main et s’en alla faire arracher seize.

  1. Une fois il dit en présence de la feue Reine-mère et de la Reine : « Je ne suis ni Italien, ni Espagnol ; je suis homme de bien. » Je pense même que c’étoit parlant à leur personne. (T.)
  2. Ce couplet de Neufgermain fait voir que le duc de Saint-Simon en a tâté aussi bien que les autres (il ne ressemble pas mal à un ramoneur) :

    Un ramoneur nommé Simon,
    Lequel ramone haut et bas,
    A bien ramoné la maison
    De monseigneur de Montbazon. (T.)

  3. On appeloit ainsi M. de Montbazon. (T.)