Les Historiettes/Tome 3/49

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 312-316).


LE PRÉSIDENT NICOLAÏ.


Le feu président Nicolaï, père de celui-ci, qui est le huitième du nom, premier président de la chambre des comptes, en sa jeunesse eut bien des amourettes : celle qui fit le plus de bruit fut celle qu’il eut avec la femme d’un bourgeois nommé Guillebaud ; on l’appeloit vulgairement la belle Bourgeoise, car c’étoit une fort belle personne. Le mari étoit jaloux. Notre président fut trois mois dans un cabaret, comme garçon (de cabaret), il n’en avoit pas trop mal la mine, afin de prendre son temps pour lui parler, et la voir sans qu’on se doutât de rien. Il n’en jouissoit ainsi au commencement qu’avec bien de la peine : depuis il eut un peu plus de facilité ; mais elle le quitta pour un autre. Elle s’en repentit après, et se mit à genoux devant lui pour lui demander pardon ; il se moqua d’elle, et n’en voulut plus ouïr parler.

La belle Bourgeoise rencontra Patru en son chemin : elle se faisoit conduire par lui au sermon ; elle lui faisoit mille caresses. Lui, qui étoit amoureux de sa Lévesque[1], ne s’y amusa point : il est vrai qu’il croyoit qu’elle étoit engagée avec un nommé Sanguin. Il se trouva qu’elle étoit brouillée alors avec lui ; mais ils se raccommodèrent.

Nicolaï aima ensuite la fille d’un sergent, de laquelle il eut une fille. On a cru qu’il l’avoit épousée. Cette autre maîtresse étant morte, il pensa à se marier. Prêt d’être accordé avec mademoiselle Amelot, aujourd’hui madame d’Aumont[2], il vit la cousine-germaine de cette fille à l’église ; elle se nommoit également Amelot. Il en devint amoureux ; aussi étoit-elle tout autrement jolie que l’autre, et il l’épousa ; mais ils ont fait un triste ménage. Le désordre vient de ce qu’elle ne traita pas trop bien la bâtarde de son mari, car il l’avoit avertie de tout ; et par contrat de mariage il se réserva la faculté de lui donner cinquante mille écus, comme il a fait. Il l’a mariée à un gentilhomme. Il avoit l’honneur d’être un peu fou, et sa femme a l’honneur de l’être encore. Il en vint jusqu’à séparer le logis en deux ; et il ne voyoit plus du tout sa femme : il ne lui donnoit rien. Ceux qui lui avoient fourni des vivres, des habits, etc., firent un procès au président. Or, la cause plut plaidée à la grand’chambre, et il fut condamné. Tout ce qu’il fit ce fut d’obtenir qu’on mît dans l’arrêt que ç’avoit été de son consentement. Le premier président Le Jay en usa bien avec lui, quoiqu’il n’eût pas sujet de s’en louer, car ayant été chez lui pour une affaire qu’il avoit à la chambre, M. Nicolaï ne le voulut point voir. L’affaire se fit pourtant. Il a passé pour homme de bien, et avec raison, et ne se faisoit point autrement de fête ; au contraire, il négligeoit de se faire payer ses appointements. Il a passé aussi pour éloquent, mais sans autre fondement que de parler avec quelque facilité ; il étoit toujours prolixe. Cet homme avoit encore à sa mort une chambre qui n’avoit que de la natte pour toute tapisserie. On disoit qu’il achetoit les vieilles soutanes de son fils, et qu’il les faisoit ajuster pour s’en servir. Pour sa femme, à qui il avoit laissé pour s’entretenir huit mille livres de rentes, qui lui étoient venues du côté des Amelot, elle avoit fait peindre et dorer son appartement ; elle étoit magnifique en toute chose.

Nicolaï avoit un frère qui vit encore, qui est un vieux garçon : il a été guidon des gendarmes, puis premier écuyer de la grande écurie. C’étoit lui qui disoit qu’un carrosse étoit un grand maquereau à Paris. Du temps qu’il le disoit c’étoit plus vrai qu’à cette heure, car il y en avoit bien moins. Il dit qu’il est un fou gaillard, mais que son frère le président étoit un fou mélancolique. C’est un assez plaisant robin.

Le président voulut marier son fils de bonne heure ; on chercha les meilleurs partis. Ils jetèrent les yeux sur mademoiselle Fieubet, et il y consentit, lui, qui avoit tant pesté contre les gens qui voloient le Roi[3]. Il fit une bizarrerie pour les articles. La mère, de son côté, après qu’un ban fut jeté, envoya défendre au curé de Saint-Paul de jeter les autres, et cela, pour je ne sais quelle bagatelle dont elle n’étoit pas satisfaite dans les articles. Cela se raccommoda pourtant. Le jour des noces de son fils, le président demandoit si un point de Venise, qui avoit coûté deux mille livres, coûtoit bien dix écus, et on lui fit accroire qu’il y avoit bien pour huit livres dix sols de ruban d’argent à un habit où il y en avoit pour cent écus.

Deux ans après, condamné par tous les médecins, et ayant reçu l’extrême-onction, il lui vint en fantaisie que s’il alloit à Bourbon, il guériroit comme il guérit il y avoit dix ans : c’étoit au mois de mars. Il fait acheter secrètement un bonnet et un justaucorps fourré, des bassins, une seringue, etc., et commanda que son carrosse fut prêt pour le lendemain matin. Son valet-de-chambre en avertit sa femme et son fils. « Dites-lui, dirent-ils, que le carrosse est rompu, et qu’il y a un cheval boiteux. » Cela ne servit qu’à faire donner sur les oreilles au valet-de-chambre. Il part : la femme et le fils le suivirent. Dès Essonne[4] le voilà plus mal que jamais : il envoie quérir un médecin à Corbeil, à qui le fils dit le mot. Cet homme lui promet de le guérir s’il ne bouge de là ; et quand il fut bien bas, le curé, à qui on avoit aussi parlé, lui demanda s’il ne vouloit pas voir sa femme, son fils et sa fille qui étoient venus pour recevoir sa bénédiction. Il dit que oui, les vit, et mourut comme un autre homme.

Voici la belle conduite de la mère pour sa fille. Dès quinze ans, elle avoit deux petits laquais avec qui elle s’amusoit à jouer et à badiner tout le jour. Cette petite demoiselle s’alla mettre une fois dans la tête que sa mère ne lui donnoit pas assez d’argent ; et, pour en avoir, elle s’avisa d’un bel expédient. Elle laisse traîner des billets faits à plaisir, comme si elle écrivoit à quelque marquis ; on les porte à la présidente qui s’imagine aussitôt qu’on veut enlever sa fille. Il ne falloit que la bien garder chez elle. Elle assemble le président Molé-Champlâtreux, cousin-germain de sa fille, et la marquise d’Hervault, femme du lieutenant de roi de Touraine, aussi parente bien proche. Ils concluent de la mettre dans un couvent, et font de l’éclat pour rien. Cette fille, quand elle y fut, conta naïvement la chose, et puis on la retira. Dans les Mémoires de la Régence, il sera parlé de la mère et de la fille.

  1. Voyez précédemment dans ce volume l’art. de la femme Lévesque.
  2. Femme du frère aîné du maréchal ; il est gouverneur de Touraine. (T.)
  3. Fieubet étoit d’une origine de finance.
  4. Bourg à six lieues de Paris.