Les Historiettes/Tome 3/32

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 207-219).


LE MARÉCHAL DE GASSION[1].


Le maréchal de Gassion étoit d’une bonne famille de la robe. Son aïeul étoit second président du parlement de Navarre. Comme il étoit huguenot, on lui disputa cette place qui lui appartenoit par ancienneté ; mais il s’avisa d’un bon expédient. Un dimanche, étant parti de chez lui pour aller au prêche, au lieu d’y aller il alla à la messe, en disant : « N’y a-t-il que cela à faire ? » Mais il ne continua pas, et n’alloit ni à prêche ni à messe. Il exerça par commission la charge de premier président, car Henri IV, par quelque considération, ne la lui voulut pas donner en titre. Son fils aîné le suivit, et possède aujourd’hui cette charge[2].

La mère du maréchal étoit une bossue, qui ne manquoit pas d’esprit et faisoit la goguenarde. On dit qu’un jour elle vit une femme qui boitoit des deux côtés : « Hola ! lui dit-elle, ma commère, vous qui allez de côté et d’autre (et en disant cela elle la contrefaisoit), dites-nous un peu des nouvelles. — Dites-nous-en vous-même, vous qui portez le paquet, » lui répondit cette femme. On fait ce conte de plusieurs personnes, et on en a même fait une épigramme.

Gassion étoit le quatrième garçon, et avoit un cadet. Après qu’il eut fait ses études, on l’envoya à la guerre ; mais on ne le mit pas autrement en bon équipage. Son père lui donna pour tous chevaux un vieux courtaut, qui pouvoit bien avoir trente ans : il n’y avoit plus que celui-là en tout le Béarn, et on l’appeloit par rareté le courtaut de Gassion. Il y a apparence que le jeune homme n’étoit guère mieux pourvu d’argent que de monture. Le gentil coursier le laissa à quatre ou cinq lieues de Pau : cela n’empêcha pas qu’il n’allât jusqu’en Savoie, où il se mit dans les troupes du duc de Savoie, le bossu, car alors il n’y avoit point de guerre en France. Mais le feu Roi ayant rompu avec ce prince, tous les François eurent ordre de quitter son service : cela obligea notre aventurier à revenir au service du Roi. À la prise du Pas de Suze, il fit si bien, n’étant que simple cavalier, qu’on le fit cornette ; mais l’accommodement fut bientôt fait entre le Roi et le duc, et la compagnie dont il étoit cornette cassée, il vient à Paris, demande une casaque de mousquetaire ; on la lui refuse à cause de sa religion. De dépit il passe avec quelques François en Allemagne ; et quoique dans la troupe il y eût des gens plus qualifiés que lui, sachant parler latin, on le prit partout pour le principal de sa bande. Un de ceux-là fit les avances d’une compagnie de chevau-légers qu’ils vinrent lever en France pour le roi de Suède. Il en fut le lieutenant : son capitaine fut tué, le voilà capitaine lui-même. Il se fit bientôt connoître pour homme de cœur, et de telle sorte qu’il obtint du roi de Suède qu’il ne recevroit l’ordre que de Sa Majesté seule. Ce fut à la charge de marcher toujours à la tête de l’armée, et de faire, en quelque sorte, le métier d’enfants perdus. Dans cet emploi il reçut ce furieux coup de pistolet dans le côté droit, dont la plaie s’est rouverte par plusieurs fois, tantôt avec danger de sa vie, tantôt cette ouverture lui servant de crise aux autres maladies, car il en eut plusieurs, et une même un peu avant sa mort[3].

Le roi de Suède, au bout de six mois, le fit colonel d’un régiment composé de huit compagnies de cavalerie.

Après la mort du roi de Suède, il accompagna le duc de Weimar en France. La première fois qu’il y vint à la tête de son propre régiment, le cardinal de Richelieu le voulut attirer dans le service du Roi ; et quoique françois, il fut toujours payé et traité en étranger, et la justice militaire lui en fut accordée à l’exclusion de tous autres juges, comme aussi de donner les charges qui vaqueroient dans ce régiment, ce qui lui a été toujours conservé, quoique ce régiment se trouvât à la fin monté jusqu’à dix-huit cents chevaux en vingt compagnies. La plupart des étrangers qui venoient servir le Roi vouloient être sous sa charge, tant il leur rendoit bien la justice ; aussi étoit-il seul en France qui, étant françois, eût le nom de colonel, excepté le colonel des Suisses. Quand quelqu’un avoit offensé le moindre de ses cavaliers, il menoit avec lui ce cavalier, et lui faisoit faire raison d’une façon ou d’autre.

Il faut avouer que ce lui fut un grand avantage de venir de l’armée du roi de Suède, et d’avoir un corps étranger ; cela contribua beaucoup à en faire faire l’estime qu’on en fit d’abord. Jamais homme n’a mieux entendu à tourmenter les ennemis que lui. Pendant un hiver, étant maréchal de France, il leur enleva dix-sept quartiers.

Pour preuve de cela, il étoit au siége de Dole, simple colonel ; cependant tout le monde disoit qu’il n’y avoit que lui qui fît si bien que ses travaux et ses batteries réussissoient toujours ; cela venoit de ce qu’il n’y avoit que lui qui fît du bruit. Il enlevoit des quartiers, il couroit partout. À l’arrivée de feu M. le Prince à Dijon, après avoir levé le siége, on ne regardoit que Gassion. Le Prince et le grand-maître de La Meilleraye en pensèrent enrager. Il y eut un avocat qui se jeta à genoux devant lui, et lui dit, en lui montrant des dames du nombre desquelles étoit sa femme, qu’il n’y en avoit pas une qui ne voulût avoir un petit Gassion dans le corps pour servir le Roi et la patrie. À son hôtellerie il trouva tant de gens qu’il fut long-temps sans pouvoir gagner sa chambre, et le soir des dames bien faites et bien accompagnées le vinrent voir chez un gentilhomme du pays nommé Guerchy. Il les salua vergogneusement, car il n’y eut jamais homme moins né à l’amour. La première, qui étoit femme d’un conseiller, et l’une des plus jolies de la ville, lui dit : « J’ai plus de joie que vous m’ayez baisée que si on m’avoit donné cent mille livres. — Que diable feriez-vous donc, lui dit Guerchy, s’il vous avoit...... ? »

Il mena admirablement les gens à la guerre. J’en ai ouï conter une action bien hardie et bien sensée tout ensemble. Avant que d’être maréchal-de-camp, il demanda à quinze ou vingt volontaires s’ils vouloient venir en partie avec lui : ils y allèrent. Après avoir couru toute une matinée, sans rien trouver, il leur dit : « Nous sommes trop forts, les partis fuient devant nous ; laissons ici nos cavaliers et allons-nous-en tous seuls. » Les volontaires le suivent. Ils s’avancent jusqu’auprès de Saint-Omer. Quand ils furent là, voilà deux escadrons de cavalerie qui paroissent et leur coupent le chemin, car Saint-Omer étoit à dos de nos gens. « Messieurs, leur dit-il, il faut périr ou passer. Mettez-vous tous de front ; allez au grand trot à eux, et ne tirez point. Le premier escadron craindra, voyant que vous ne voulez tirer qu’à brûle pourpoint ; il reculera et renversera l’autre. » Cela arriva comme il l’avoit dit. Nos gentilshommes bien montés forcent les deux escadrons et se sauvent tous à un près. En voici un autre qui est bien aussi hardi, mais il me semble un peu téméraire. « Ayant eu avis que les Cravates emmenoient les chevaux du prince d’Enrichemont, depuis duc de Sully, il voulut aller les charger accompagné seulement de quelques-uns de ses cavaliers ; et s’étant trouvé un grand fossé entre lui et les ennemis, il le fit passer à la nage à son cheval sans regarder si on le suivoit, tellement qu’il alla seul aux ennemis, en tua cinq, mit les autres en fuite, et revint avec trois des nôtres qu’ils avoient pris, et qui lui aidèrent peut-être dans le combat : il ramena tous les chevaux. » Il fut envoyé avec quatre mille hommes et la fleur de la noblesse de Normandie pour châtier les Pieds-nus à Avranches. Peu de gens l’arrêtèrent quatre heures et demie à l’entrée d’un faubourg, où ils n’avoient pour toute défense qu’une méchante barricade, et ils étoient battus de la ville. Il y courut grand danger, car un des rebelles, vaillant autant qu’on le peut être, et tellement dispos qu’il sautoit partout où il pouvoit mettre la main, tua le marquis de Courtaumer, croyant que c’étoit le colonel Gassion. Ce galant homme sauta quatre fois la barricade, et après se sauva. Gassion fit tout ce qu’il put pour le trouver, lui faire donner grâce et le mettre dans ses troupes ; il n’osa s’y fier. Au bout de quelques mois, il fut pris dans un cabaret en Bretagne, où, étant ivre, il se vanta d’avoir tué Courtaumer. Le chancelier, qui avoit été envoyé en Normandie avec Gassion, le fit rouer vif à Caen. Tous les autres s’étoient fait tuer, à dix près qui furent pris. On donna la vie à un à condition qu’il pendroit les autres ; il eut de la peine à s’y résoudre : enfin, il le fit. Il y en avoit un qui étoit son cousin-germain ; quand ce vint à lui : « Hé cousin ! lui dit-il, ne me pends pas. » Cela passa en proverbe. Cet homme quitta le pays et se fit ermite.

Après la bataille de Sédan, on lui permit de traiter de la charge de mestre-de-camp de la cavalerie légère, qu’avoit le marquis de Praslin qui y fut tué. Le cardinal de Richelieu, en parlant à lui, ne l’appeloit presque jamais que la Guerre, et M. de Noyers (car ils étoient amis, et le maréchal l’alla voir à Dangu après sa disgrâce) lui disoit que sans la religion on pourroit faire quelque chose pour lui ; mais il étoit ferme, et on a trouvé après sa mort qu’il avoit fait beaucoup de notes sur la Bible. Quand il eut traité de cette charge, il vint voir mon père : « Monsieur, lui dit-il, j’ai ce matin été au palais pour ce traité. Jésus ! que de bonnets carrés ! cela m’a fait peur. » Regardez si cela étoit raisonnable pour un homme qui étoit frère, fils et petit-fils de présidents.

Gassion, étant maréchal-de-camp, maltraita un commissaire de l’artillerie ; cet homme s’en voulut ressentir. Le cardinal défendit à Gassion de se battre contre celui-là. Paluau, aujourd’hui le maréchal de Clairambault, plutôt pour essayer si Gassion étoit aussi vert-galant à l’épée qu’au pistolet, l’appela pourtant pour cet homme. Gassion dit la défense du cardinal : « Mais pour vous, monsieur, je vous en donnerai le divertissement quand vous voudrez. » Ruvigny servit Paluau ; Paluau fut blessé au bras, et ils en étoient aux prises et ne se pouvoient faire de mal l’un à l’autre, quand ils prirent Ruvigny pour témoin de l’état où ils se trouvoient. Ruvigny étoit à les regarder, car Saurin, officier du régiment de Gassion, lâcha le pied. Gassion le cassa.

Quand il eut persuadé à M. le duc d’Enghien de donner la bataille de Rocroy, en lui représentant que, quel qu’en fût le succès, on ne punissoit point des gens de sa qualité, pour lui, il butoit à se faire maréchal de France, en mettant M. d’Enghien de son côté.

Un gentilhomme, pris par les Espagnols, fut mené au comte de Fontaine, qui lui demanda plusieurs choses, et principalement si Gassion y étoit. « Oui, monsieur, il y est. — Si vous le dites, je vous ferai donner du pistolet par la tête. » Nous parlerons de cette bataille, dont il eut le plus grand honneur, dans les Mémoires de la régence.

À Thionville, comme il vit un siége[4] : « Ah ! dit-il, n’est-ce que cela ? » Et il comprit en peu de temps le métier d’assiégeur de villes : il y reçut une grande blessure à la tête, dont il pensa mourir.

On surprit une lettre de Francesco de Melo qui disoit : « Nous avons perdu Thionville, mais les ennemis y ont perdu Gassion, le lion de la France et la terreur de nos armées. » Cette lettre lui fut envoyée par la Reine à Bagnolet, où il achevoit de se guérir. L’hiver suivant il fut fait maréchal de France par le crédit de M. d’Enghien.

On dit que comme Gassion pressoit fort le cardinal Mazarin pour le bâton, le cardinal lui dit : « M. de Turenne, qui doit aller devant, n’est pas si hâté. — M. de Turenne, répondit Gassion, honorera la charge, et moi j’en serai honoré. »

Notre nouveau maréchal fit deux choses quasi en même temps qui ne se rapportoient guère, car il alla à la cène devant le prince Palatin, qui a épousé la princesse Anne, et le dimanche suivant ayant trouvé sa place prise, il ne voulut jamais souffrir qu’un gentilhomme en sortît, et alla chercher place ailleurs ; mais cela vient de ce qu’il n’étoit né que pour la guerre.

Il étoit tout l’hiver en Flandre, et ne venoit point comme les autres à la foire Saint-Germain. C’étoit peut-être un des hommes du monde le plus sobres. La Vieuville, depuis surintendant des finances, lui donna son fils aîné pour lui apprendre le métier de la guerre. Ce jeune homme le traita à l’armée magnifiquement. « Vous vous moquez, dit-il, monsieur le marquis : à quoi bon toutes ces friandises ? Mordioux ! il ne faut que bon pain, bon vin et bon fourrage. »

C’étoit un des plus méchants courtisans de son siècle. À la cour, beaucoup de filles, qui eussent bien voulu de lui, le cajoloient et lui disoient : « Vraiment, monsieur, vous avez fait les plus belles choses du monde. — Cela s’entend bien, » disoit-il. Une ayant dit : « Je voudrois bien avoir un mari comme M. de Gassion. — Je le crois bien, » répondit-il.

Ségur, fille de la Reine, de la maison d’Escars, avoit quelque espérance de l’épouser, assez mal fondée pourtant, car elle n’étoit ni jeune ni belle. Lui disoit : « Elle me plaît, cette fille, elle ressemble à un Cravate. » À la vérité, il n’a jamais été d’aucune cabale ; mais il n’avoit point de discrétion pour le cardinal ; et un jour, sans considérer qu’il y avoit des espions autour de lui, il dit en recevant un gros paquet du cardinal : « Que nous allons lire de bagatelles ! » Aussi croit-on que le cardinal le vouloit perdre ou lui ôter son emploi.

Il avoit eu le malheur de se brouiller avec M. le Prince. Nous en dirons tout le particulier ailleurs : il n’étoit pas trop compatible et avoit le commandement rude : nous rapporterons des exemples.

Comme j’ai remarqué, il étoit fort sobre ; il n’étoit point joueur non plus, ni adonné aux femmes. « Femmes et vaches, disoit-il, ce m’est tout un, mordioux ! » Et Marion Cornuel[5] disoit : « Bœufs et Gassions, ce m’est tout un. »

Madame de Bourdonné[6], femme du gouverneur de La Bassée, du temps du cardinal de Richelieu, le pensa faire enrager. M. le comte de Harcour et lui dînoient à La Bassée ; cette femme se mit à parler des faits de Gassion. Déjà cela ne lui plaisoit guère ; il n’étoit point fanfaron. Ensuite, après en avoir demandé pardon à son mari, elle dit qu’elle n’auroit pas de plus grande joie au monde que d’avoir un fils de la façon d’un si brave homme. Le voilà qui rougit, qui se déferre, et ne pouvant plus endurer cela, il monte sur son grand cheval, en disant : « Mordioux ! mordioux ! cette femme est folle. »

Quand Bougis, son lieutenant de gendarmes, demeuroit trop long-temps à Paris l’hiver, il lui écrivoit : « Vous vous amusez à ces femmes, vous périrez malheureusement ; ici, vous verriez quelque belle occasion. Quel diable de plaisir d’aller au Cours et de faire l’amour ! Cela est bien comparable au plaisir d’enlever un quartier ! »

Pour le bien, il n’a pas volé ; mais il ne pouvoit se résoudre à perdre. Il fit dire à un marchand de Paris, qui lui fit banqueroute de dix mille livres avant qu’il fût maréchal, qu’il lui seroit impossible de laisser au monde un homme qui lui emporteroit son bien. Il fut payé. Avec tout cela, il n’avoit guère de revenu : les salines de Béarn, un engagement de douze mille livres de rente, La Motte-au-Bois, en Flandre, dont il jouissoit, qui fut perdue pour ses héritiers. Tout ce qu’il a laissé ne vaut pas huit cent mille livres. Il y eut des gens à la cour qui vouloient qu’on mît la main dessus.

Il fit avoir à son frère l’abbé, qui étoit le plus jeune de tous, l’évêché d’Oleron et l’abbaye du Luc en Béarn. Pour celui qui portoit les armes, et qu’on appeloit Bergère, car le second étoit marié dans le pays et n’a point paru, il ne l’a point trop bien traité. Celui-ci avoit été avocat ; enfin, il suivit son frère. Au commencement il n’y alloit pas trop bien. Gassion, alors colonel, en une occasion lui ordonna d’aller à la charge avec cinquante maîtres, et lui déclara que s’il lâchoit le pied, il lui passeroit l’épée au travers du corps. Bergère fit de nécessité vertu, et depuis alla aux coups comme un autre : c’étoit son aîné. En quelques rencontres il n’a pas trop pris son parti. Bergère étoit un bon garçon, mais sans jugement, aussi beau que son frère étoit laid. Le maréchal étoit petit et noir, mais il avoit la mine guerrière. Ce frère ne parloit que de mon frère le maréchal. Je me souviens qu’il disoit une fois : « Je prétends bien être maréchal de France aussi, avant que la guerre finisse. — Hélas ! dit ma mère naïvement, que nous avons donc à souffrir ! » Il n’en fit que rire, et dit : « Certes, vous me l’avez donnée bonne. »

Il en usa fort bien en une rencontre. Il avoit un parent nommé Cimetières, auquel il faisoit toucher des appointements assez considérables. Ce garçon enleva la fille d’un marchand basque appelé Tossé, qui demeure à Calais, chez qui le maréchal avoit logé. M. de Gassion ôta à Cimetières tous ses appointements, le poursuivit lui-même en justice, et ne lui voulut jamais pardonner que Tossé ne l’en eût prié. Les ennemis le regrettèrent et disoient que c’étoit un ennemi de bonne foi, et qui étoit doux aux prisonniers. On lui fit un tombeau dans le cimetière de Charenton, où l’on mit aussi Bergère, qui mourut un peu après lui à Paris.

Il avoit fait son testament à la hâte, en allant à Landrecy, dont il croyoit attaquer les lignes. Il laissoit la moitié de son bien à son frère le président, qui s’en plaint et dit que la coutume de Béarn lui donnoit davantage, car tout ce qui se trouvoit dans le pays lui appartenoit, et cela montoit à plus que la moitié : ce fut ce qui obligea le maréchal d’en user ainsi. Ce président assiégea Bergère malade, et se fit donner tout ce qu’il put, jusqu’à lui faire retrancher une partie de ce qu’il laissoit à ses gens et aux pauvres. Pour ne pas payer un chirurgien, il fit embaumer le corps de Bergère par un valet-de-chambre qui le chaircuta de la plus horrible façon du monde. À propos de Bergère, on disoit que quand le maréchal le verroit déjà arrivé en l’autre monde, lui qui en étoit si las en celui-ci, qu’il lui diroit : « Hé quoi ! mordioux ! vous voilà déjà ; me suivrez-vous éternellement ? »

On fit porter les deux corps dans une chambre tendue de deuil à Charenton ; ils y furent assez long-temps parce qu’on vouloit engager le président à faire un tombeau magnifique au maréchal. Lui, pour s’exempter de cette dépense, demandoit ce qu’on lui refusa, qu’on lui permît de l’enterrer dans le Temple, où l’on ne pouvoit mettre qu’une tombe tout unie. Durant cette dispute, il se lassa de payer le louage des draps funèbres ; il les rendit, et en fit mettre d’autres tout en lambeaux qui lui coûtoient dix sols moins par jour. Voyez le beau ménage : au lieu d’acheter du drap qui eût servi à habiller ses gens. Enfin, il fit faire un petit caveau entre deux portes dans le vieux cimetière, et il y a fait élever en pierre une espèce de tombeau qui ressemble à un regard de fontaine ; la pierre en est déjà bien mangée. Il les fit enterrer un jour de prêche sans aucune solennité, ni sans qu’on pût dire qu’on y étoit allé pour eux. Il avoit tenu le monde trois mois en attente pour ces funérailles. Pour quatre livres par an cet homme s’est mis mal avec sa mère, lui qui a huit cent mille livres de bien dont les deux-tiers viennent de ses frères, à qui il n’avoit pas donné seulement leur légitime.

  1. Jean de Gassion, né à Pau en 1609, tué devant Arras en 1647.
  2. Les neveux du maréchal, qui portent l’épée, fils du président son frère, ont fait faire sa Vie trop ample et misérablement écrite par l’abbé de Pure. Ils affectent de faire passer leur maison pour être d’ancienne noblesse, et font une généalogie telle qu’il leur plaît. (T.)
  3. Il s’étoit fait traiter de ce coup avec la poudre de sympathie ; cela lui laissa un sac. (T.) — La poudre de sympathie est une des fables les plus ridicules de la médecine du dix-septième siècle. C’étoit un mélange de couperose verte, dite aujourd’hui sulfate de fer, pulvérisée et mélangée de gomme arabique. On répandoit cette poudre sur un linge trempé dans l’humeur qui sortoit de la plaie, et on prétendoit que le malade éprouvoit un grand soulagement. (Voyez le Discours par le chevalier Digby touchant la guérison des plaies par la poudre de sympathie ; Paris, 1681, in-12.)
  4. Cependant il avoit été à Dole. Je crois que cela arriva à Dole au lieu de Thionville. (T.)
  5. Elle étoit fille du premier mariage de M. Cornuel. (Voyez plus bas l’article de madame Cornuel.)
  6. Elle avoit de la barbe. (T.)