Les Historiettes/Tome 2/49

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 2p. 348-349).


MADAME DE SAINT-CHAUMONT[1].


Feu madame de Montpezat, ayant reçu de grands avantages de son mari, et étant demeurée veuve sans enfants, fit la fille aînée de feu M. de Gramont, sœur du maréchal, son héritière, mais à condition qu’elle épouseroit un des neveux de M. de Montpezat ; or, ces neveux de M. de Montpezat étoient douze ou treize en nombre : M. de Tavanes, le comte de Castres, MM. de Saint-Chaumont et autres. Cette fille venant en âge d’être mariée, on fit signifier à tous ces neveux, l’un après l’autre, la volonté de la testatrice, et on prit acte du refus. Tous la refusèrent, hors MM. de Saint-Chaumont. Ce n’est pas qu’elle ne fût bien faite, et d’humeur fort douce, comme elle l’est encore. Jamais rien n’a tant surpris les gens, car on croyoit qu’ils s’entretueroient à qui l’auroit, et tous ont épousé depuis des personnes qui ne la valent pas à beaucoup près. L’aîné Saint-Chaumont meurt en accordailles. Le cadet lui succède. C’est un homme fort bizarre, et ne la traite pas trop bien ; qui d’abord il lui donna de terribles présens de noces ; .... depuis il a eu vingt fois des jalousies épouvantables et sans fondement. C’est une espèce de fou qui s’incommode. Sans elle, qui y met le plus d’ordre qu’elle peut, il seroit déjà ruiné. Depuis peu (1658, en septembre), comme elle étoit ici, où il l’avoit laissée pour leurs affaires, il lui prit un accès de jalousie si furieux, qu’on écrivit à la dame que tout étoit à craindre pour elle, si elle retournoit au pays. Il lui avoit écrit les plus cruelles lettres du monde, et les moindres choses dont il la menaçoit, étoit de l’enfermer dans une tour. Après il vint ici, et l’on apaisa un peu sa fureur. On lui avoit prédit qu’il seroit cocu, cela faisoit une partie de ses fougues.

  1. Suzanne-Charlotte de Gramont, femme de Henri Mitte de Miolans, marquis de Saint-Chaumont ; elle mourut le 31 juillet 1688.