Les Historiettes/Tome 1/8

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 45-52).


LA PRINCESSE DE CONTI[1].


La princesse de Conti étoit fille du duc de Guise, que Henri III fit tuer aux États de Blois ; mais avant que de parler de ses galanteries, je dirai quelque chose de celles de sa bisaïeule et de sa mère. Madame de Guise[2], mère de François, duc de Guise, tué au siége d’Orléans, étant amoureuse d’un seigneur de la cour, pour jouir de ses amours et éviter les mauvais bruits, le faisoit conduire la nuit, dans sa chambre, les yeux bandés, et on le ramenoit de même. Un de ses amis lui conseilla de couper de la frange du lit, et d’aller après chez toutes les dames, pour voir s’il trouveroit de la frange semblable. Il découvrit ainsi qui étoit la dame, et au premier rendez-vous, il le lui fit connoître ; mais cette impertinente curiosité rompit leur commerce. M. d’Urfé a mis cette histoire dans l’Astrée sous le nom d’Alcippe[3], père de Céladon, c’est-à-dire père de M. d’Urfé lui-même ; et ce pourroit bien être en effet quelqu’un de sa maison, car ce qu’il dit ensuite de la délivrance de son ami est véritable, et le roi François Ier l’ayant su, s’écria : « Ah ! le paillard ! » Ensuite ce M. d’Urfé, qui avoit délivré son ami, en écrivant à quelqu’un de la cour, signa par galanterie : Le Paillard. Depuis quelques-uns de cette maison ont eu ce nom-là pour nom de baptême ; au moins l’ai-je ainsi ouï dire. Cela me fait souvenir d’une bonne maison d’Auvergne qu’on appelle d’Aché, au moins signent-ils ainsi, mais leur véritable nom est fort vilain ; ils se nomment Merdezac, et on dit que c’est un sobriquet qui fut donné à un de leurs auteurs dans je ne sais quelle bataille, où, quoiqu’il lui eût pris un dévoiement, il ne se retira point du combat et y fit merveilles.

Le Balafré, père de la princesse de Conti, fut beaucoup plus malheureux en femme que son grand-père. La sienne[4] se gouvernoit fort mal. Un de ses amis, croyant qu’il ne s’en apercevoit point, voulut tenter s’il pourroit le lui dire ; il lui raconta donc qu’il avoit un ami dont la femme ne vivoit pas bien, et qu’il le prioit de lui dire s’il lui conseilloit de le découvrir à cet ami ; « car j’en suis si assuré, ajouta-t-il, que je puis le prouver facilement. » Le Balafré, qui avoit bon nez, lui répondit : « Pour moi, je poignarderois qui me viendroit dire une chose comme cela. — Ma foi ! reprit l’autre, je ne le dirai donc point à mon ami, car il pourroit bien être de votre humeur. »

Il lui fit pourtant la peur tout entière, à ce qu’on dit ; car un jour qu’elle se trouvoit un peu mal, après avoir témoigné qu’il avoit quelque chose dans l’esprit qui le chagrinoit fort, il lui dit d’un ton assez étrange qu’il falloit qu’elle prît un bouillon ; elle lui dit qu’elle n’en avoit point de besoin. « Vous m’excuserez, madame, il en faut prendre un. » Et de ce pas en envoya quérir un à la cuisine. Elle qui n’avoit pas la conscience trop nette, crut fermement qu’il la vouloit dépêcher, et lui demanda en grâce qu’elle ne prît ce bouillon que dans une demi-heure. On dit qu’elle employa ce temps-là à se préparer à la mort, sans en rien dire toutefois, et qu’après elle prit le bouillon qu’il lui envoya, et qui n’étoit qu’un bouillon à l’ordinaire.

Saint-Mégrin (La Vauguyon), qu’on a cru père de feu M. de Guise, parce qu’il étoit camus comme lui, étoit son galant. M. de Mayenne, qui n’entendoit pas raillerie, le fit assassiner. Il en fit autant à Sacremore, qu’on accusoit de coucher avec la fille de madame de Mayenne. Ce Sacremore étoit un gentilhomme dont je n’ai pu savoir autre chose.

M. de Mayenne, pour attraper sa femme[5], qui s’inquiétoit fort de ce qu’il sortoit la nuit, faisoit mettre son valet avec sa robe de chambre auprès d’une table, avec bien des papiers, comme s’il eût travaillé à quelque grande affaire ; ce valet, de loin, faisoit signe de la main à madame de Mayenne qu’elle se retirât, et elle se retiroit par respect.

Mademoiselle de Guise, depuis princesse de Conti, fut cajolée de plusieurs personnes, et entre autres du brave Givry. On dit qu’en ayant obtenu un rendez-vous, elle s’avisa par galanterie de se déguiser en religieuse. Givry monta par une échelle de corde ; mais il fut tellement surpris de trouver une religieuse au lieu de mademoiselle de Guise, qu’il lui fut impossible de se remettre, et il fallut s’en retourner comme il étoit venu. Depuis il ne put obtenir d’elle un second rendez-vous ; elle le méprisa, et Bellegarde[6] acheva l’aventure[7]. Il est vrai que, de peur de semblable surprise, elle ne se déguisa point en religieuse. J’ai ouï dire que ce fut sur le plancher, dans la chambre de madame de Guise même, qui étoit sur son lit, et qui s’étant trouvée assoupie avoit fait tirer les rideaux pour dormir. Mademoiselle de Vitry, confidente de mademoiselle de Guise, étoit la Dariolette[8]. À un soupir expressif de la belle, la mère se réveilla, et demanda ce que c’étoit. « C’est, répondit la confidente, que mademoiselle s’est piquée en travaillant. » Avant cela, durant une trève de peu d’heures, Bellegarde et Givry vinrent causer à la porte de la Conférence avec madame et mademoiselle de Guise. M. de Nemours[9], amoureux aussi bien qu’eux de cette jeune princesse, nonobstant la trève fit tirer sur eux. Bellegarde se retire, et Givry, qui étoit plus brave que lui, lui crioit : « Quoi, Bellegarde, tu fais retraite devant cette beauté ! » Enfin Givry[10], voyant qu’elle le quittoit, lui écrivit un billet que je mettrai ici, parce que c’est un des plus beaux billets qu’on puisse trouver :

« Vous verrez, en apprenant la fin de ma vie, que je suis homme de parole, et qu’il étoit vrai que je ne voulois vivre qu’autant que j’aurois l’honneur de vos bonnes grâces. Car ayant appris votre changement, je cours au seul remède que j’y puisse apporter, et vais périr sans doute, puisque le ciel vous aime trop pour sauver ce que vous voulez perdre, et qu’il faudroit un miracle pour me tirer du péril où je me jetterai. La mort que je cherche et qui m’attend m’oblige à finir ce discours. Voyez donc, belle princesse, par mon respectueux désespoir, ce que peuvent vos mépris, et si j’en étois digne. »

En effet, il s’engagea si fort parmi les ennemis, au siége de Laon, qu’il y fut tué. On lui avoit prédit depuis peu, à ce que j’ai entendu dire, qu’il mourroit devant l’an, et cela se pouvoit entendre devant l’année, ou devant la ville de Laon.

Je dirai encore un mot de ce M. de Givry. Il avoit aimé autrefois une dame, dont je n’ai pu savoir le nom. Comme il la pressoit, car il voyoit bien qu’elle l’aimoit, elle lui dit un jour en soupirant : « Si vous saviez en quelle peine je suis, vous auriez pitié de moi. Je ne puis me résoudre à vous perdre, et si je vous accorde ce que vous me demandez, je mourrai, sans doute, de déplaisir. » Le cavalier, qui connut aux larmes et à la manière dont la belle parloit, que ce n’étoit point une feinte, en fut si touché, qu’encore qu’il fût persuadé qu’il n’avoit qu’à persévérer pour tout avoir, il lui dit, en prenant le ciel à témoin, que jamais il ne lui en parleroit, et qu’il l’aimeroit désormais comme sa sœur.

Mademoiselle de Guise se gouverna ensuite de sorte qu’il n’y avoit que le prince de Conti capable de l’épouser[11]. C’étoit un stupide.

En une petite ville où la cour passoit, le juge qui venoit haranguer le Roi s’adressa après à la princesse de Conti, qu’il prit pour la Reine. Le Roi dit tout haut : « Il ne se trompe pas trop, elle l’auroit été, si elle eût été sage[12]. » On dit que comme elle prioit M. de Guise, son frère, de ne jouer plus, puisqu’il perdoit tant : « Ma sœur, lui dit-il, je ne jouerai plus quand vous ne ferez plus l’amour. — Ah ! le méchant, reprit-elle, il ne s’en tiendra jamais. »

Elle avoit beaucoup d’esprit ; elle a même écrit une espèce de petit roman qu’on appelle les Adventures de la cour de Perse[13], où il y a bien des choses arrivées de son temps. Elle étoit humaine et charitable ; elle assistoit les gens de lettres, et servoit qui elle pouvoit. Il est vrai qu’elle étoit implacable pour celles qu’elle soupçonnoit d’avoir débauché ses galans. Vers la fin de sa vie, elle devint insupportable sur la grandeur de sa maison, et se mit si fort ses intérêts dans la tête qu’elle faisoit des choses étranges pour cela. Dans cette vision, passant un jour avec feu madame la comtesse de Soissons devant la porte du Petit-Bourbon[14] qui regarde sur l’eau, elle lui fit remarquer qu’on y voyoit encore un reste de la peinture jaune dont elle fut barbouillée autrefois, quand le connétable de Bourbon se retira[15]. « Il faut avouer, dit madame la comtesse, que nos rois ont été bien négligens de ne pas jaunir la muraille de l’hôtel de Guise[16]. » Madame la princesse de Conti dit aussi à madame la comtesse : « Vous m’êtes bien obligée de n’avoir point fait d’enfants. — En vérité, lui répondit l’autre, pas tant que vous penseriez ; nous sommes fort persuadés qu’il n’a pas tenu à vous. »

Lorsque le cardinal de Richelieu l’envoya en exil dans la comté d’Eu, elle logea vers Compiègne chez un gentilhomme, nommé M. de Jonquières, parce que son carrosse rompit. Il y avoit là dedans trois ou quatre grands garçons ; elle ne laissa pas le lendemain de se plâtrer devant eux, avec un pinceau, le visage, la gorge et les bras. Le soir qu’elle y arriva, pour passer son chagrin, elle demanda un livre, et lut avec plaisir un vieux Jean de Paris[17], tout gras, qui se trouva dans la cuisine.

  1. Louise de Lorraine, fille du duc de Guise, dit le Balafré, femme de François de Bourbon-Conti, troisième fils de Louis de Bourbon, premier du nom, prince de Condé. Née en 1577, elle épousa le prince de Conti en 1605, et mourut à Eu en 1631.
  2. Antoinette de Bourbon. C’étoit une honnête femme ; ce conte ne lui convient pas trop bien. (T.)
  3. Voyez l’histoire d’Alcippe, dans le deuxième livre de la première partie de l’Astrée.
  4. Elle étoit de Clèves, cadette de madame de Nevers, mère de M. de Mantoue. (T.)
  5. Madame de Mayenne étoit héritière de Tende (le comte de Tende, bâtard de Savoie). Elle étoit veuve de M. de Montpézat. Devenue héritière, M. de Mayenne l’épousa. (T.)
  6. Bellegarde prit un homme qui se sauvoit de Paris. Cet homme lui donna le portrait au crayon de mademoiselle de Guise. Elle n’avoit que quinze ans quand on fit ce portrait. Ce fut par là qu’il commença à en devenir amoureux. Six ans devant que de mourir, elle recouvra ce portrait et le vit à madame de Rambouillet qui la fut voir ce jour-là même ; elle en avoit une grande joie. (T.)
  7. Dans les Amours d’Alcandre on voit la naissance de cette galanterie. (T.)
  8. Dariolette étoit la confidente de l’infante Élisenne, mère d’Amadis de Gaule. Le rôle que joue Dariolette dans l’ancien roman a fait donner son nom aux suivantes qui se font entremetteuses d’amour. Scarron, dans le livre 4 du Virgile travesti, dit de la sœur de Didon que :

    En un cas de nécessité
    Elle eût été Dariolette.

  9. Celui qui après fut le tyran de Lyon. Il étoit frère de mère de M. de Guise, tué à Blois. Leur mère, fille de la duchesse de Ferrare (Renée), qui étoit fille de France, avoit épousé M. de Guise, puis M. de Nemours. (T.)
  10. Il étoit de la maison d’Anglure. (T.)
  11. François de Bourbon-Conti, mort en 1614.
  12. Henri IV s’étoit en effet senti un doux penchant pour mademoiselle de Guise. Mais il vit Gabrielle, et n’eut plus d’yeux que pour elle ; c’est alors que la beauté délaissée, pour se consoler, peut-être aussi pour diminuer les reproches qu’Henri pouvoit se faire, lia intrigue avec Bellegarde. Ce quadrille amoureux figure dans l’Histoire des amours du grand Alcandre.
  13. Les Adventures de la cour de Perse, où sont racontées plusieurs histoires d’amour et de guerre arrivées de notre temps ; Paris, Pomeray, 1629, in-8o. Jusqu’à présent on avoit attribué cet ouvrage à Jean Baudouin. (Voy. le Dictionnaire des Anonymes de Barbier.) On s’accorde à regarder la princesse de Conti comme l’auteur de l’Histoire des amours du grand Alcandre, insérée dans le Recueil de diverses pièces servant à l’histoire de Henri III ; Cologne, P. du Marteau, 1663, in-12. Cet ouvrage contient le tableau des galanteries de Henri IV, sous le nom du grand Alcandre ; la princesse de Conti y est désignée sous le nom de Milagarde. (Voyez le Recueil A B C, vol. S, pag. I.)
  14. Le Petit-Bourbon s’élevoit sur l’emplacement où l’on a construit depuis la colonnade du Louvre.
  15. « Après la mort de Charles de Bourbon, on fit peindre de jaune la porte et le seuil de son hôtel à Paris, devant le Louvre. C’étoit la coutume du temps passé, pour déclarer un homme traître à son roi, de peindre sa porte de jaune, et de semer du sel dans sa maison, comme on fit dans celle de M. l’amiral de Châtillon. » (Dictionnaire de Trévoux.)
  16. Elle l’a été depuis. (T.)
  17. Ancien roman de chevalerie, cent fois réimprimé dans la Bibliothèque bleue.