Les Historiettes/Tome 1/62

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 336-337).


MARIS COCUS PAR LEUR FAUTE.


Un marchand de Bordeaux, dont je n’ai pu savoir le nom, étoit amoureux de la servante de sa femme, et afin de pouvoir coucher avec cette fille, sans que sa femme s’en aperçût, il obligea l’un des garçons de la boutique à tenir sa place pour une nuit, après lui avoir bien fait promettre qu’il ne toucheroit point à madame. Ce garçon, qui étoit jeune, ne se put contenir et fit quelque chose de plus que le mari n’avoit accoutumé de faire. Le lendemain, la femme croyant que ç’avoit été son mari, car il s’étoit revenu coucher auprès d’elle un peu devant le jour, lui alla porter un bouillon et un couple d’œufs frais. Le marchand s’étonne de cet extraordinaire : « Eh ! lui dit-elle en rougissant, vous l’avez bien gagné. » Par là il découvrit le pot aux roses. Depuis, il accusa ce garçon de l’avoir volé, et le mit en procès. Ce garçon dit le sujet de la haine de son maître, et, par arrêt du parlement de Bordeaux, la femme fut déclarée femme de bien, et le mari cocu à très-juste titre.

Voici une autre histoire un peu plus tragique. Un gentilhomme de Beauce, entre Dourdan et Étampes, nommé Baye-Saint-Léger, avoit une fort belle femme, et cette femme avoit une femme-de-chambre aussi belle qu’elle. Le mari, comme on se lasse de tout, devint amoureux de cette fille, la presse ; elle résiste, et enfin le dit à sa maîtresse. La femme dit : « Il faut l’attraper. Dans quelque temps faites semblant de consentir et lui donnez un rendez-vous. » Or, il arriva que le propre soir que Saint-Léger avoit rendez-vous de cette fille, un de ses meilleurs amis vient chez lui. Pour s’en défaire, il le mène coucher bien plus tôt que de coutume. L’ami en a du soupçon, veut savoir ce que c’est ; il le lui avoue. Ce gentilhomme lui en fait honte, et lui persuade de lui donner sa place ; il va au rendez-vous au lieu de Saint-Léger. Il y trouve la femme de son ami, qui, pour se moquer de son mari, avoit joué tout ce jeu-là. Il fait ce pourquoi il étoit venu. Elle a conté depuis que, de peur de rire, elle se mordoit les lèvres. C’étoit dans un jardin, et il ne faisoit point clair de lune. L’ami revient bien satisfait, et le mari se couche auprès de sa femme. Le récit que lui avoit fait son ami lui avoit fait venir l’eau à la bouche ; il veut en passer son envie. Sa femme lui dit en riant : « Seigneur Dieu ! vous êtes de belle humeur ce soir. — Que voulez-vous dire ? lui dit-il. — Eh ! répondit-elle, ne vous souvenez-vous plus du jardin ? » Le pauvre homme devina incontinent ce que c’étoit. Il ne fit semblant de rien ; mais il en fut si saisi, qu’il en mourut. Elle, depuis, a été fort abandonnée et est morte de la v......