Les Historiettes/Tome 1/57

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 320-322).


BIZARRERIES ET VISIONS
DE QUELQUES FEMMES.


Une fille de Paris fut long-temps recherchée par un homme qui la vouloit épouser ; mais quoique ce fût son avantage, elle ne s’y put jamais résoudre, et le lui déclara à lui-même plusieurs fois. Cet homme ne se rebutoit point pour cela, et continuoit de la voir. Un jour il la trouve seule, il la presse, et ayant rencontré l’heure du berger, il en obtint plus d’une fois ce qu’elle avoit résolu de ne lui jamais accorder. Elle devient grosse ; il la va voir, et lui dit qu’il est tout prêt à l’épouser. Cette fille lui répond qu’il est vrai qu’elle est en danger de se perdre, mais qu’elle le hait plus que jamais ; qu’elle ne comprend point comme quoi elle l’avait laissé faire, et qu’elle n’en sauroit dire de raison ; enfin il n’en put venir à bout, et cessa de l’importuner. Je n’ai jamais pu savoir le nom de la fille ni de l’homme, car on ne me les a pas voulu dire, mais la chose est véritable.

Au commencement de la régence de la feue reine Marie de Médicis, une mademoiselle Violan devint si folle d’un cavalier, que, sans se soucier de toute la parenté qui s’en remua, elle prit ce qu’elle put à son mari, et alla chez cet homme, qui fut si sot que de la garder trois jours dans son logis. On informe contre lui, on obtient prise de corps. M. d’Humières, avec quatre cents chevaux, le sauve et le tire hors de Paris. On décrète contre M. d’Humières. Enfin cette femme revint, et depuis elle fut aussi folle de son mari qu’elle l’avoit été du cavalier, et cela a duré tant qu’elle a vécu.

Un garçon de fort médiocre condition de Paris, qui traînoit toujours une épée, badinoit fort avec les filles de son quartier, et en mettoit quelques-unes à mal. Un jour, amoureux de la fille d’un mercier, il trouve moyen, sous de faux donner-à-entendre, de la mener promener au bois de Vincennes, et lui fait faire bonne collation. On ne fait pas tant de façons parmi ce petit monde ; après il lui dit son besoin et la presse fort ; elle résiste et lui arrache quelques cheveux. Lui, enragé, met l’épée à la main et la menace de la tuer : « Ah ! lâche, lui dit-elle, mettre l’épée à la main contre une fille ! » Ce garçon, surpris et confus, laisse tomber son épée. Elle fut si touchée de son étonnement et le prit si fort pour une marque d’amour, qu’après elle lui laissa tout faire.

Une Italienne, qui est mariée à un gentilhomme en Champagne, eut une fantaisie de se faire jeter du plâtre sur le visage, comme on fait à une personne morte pour avoir sa figure en plâtre. Elle crut qu’en se mettant une canule à la bouche pour respirer, cela ne lui pourroit faire du mal ; elle en pensa pourtant étouffer. Cela fut fait secrètement. On tire sa figure en cire ; elle se fait faire des bras et des mains, et habille cette figure d’une de ses robes. Après, il lui vient une autre vision. Elle prend son temps que tout le monde étoit hors du logis, pour feindre qu’elle se trouvoit fort mal. On met la figure sur le lit, les rideaux tirés. On va quérir ses beaux-frères, car elle étoit veuve. Il y en avoit un qui l’aimoit tendrement. Le médecin qu’ils avoient amené la trouve froide : ce beau-frère est au désespoir, il croit qu’elle se meurt, quand tout d’un coup il la voit sortir de sa garde-robe. Cet homme en fut si fort en colère qu’il mit la figure en mille pièces.