Les Historiettes/Tome 1/51

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 304-305).


M. D’ALINCOURT.


Pour M. d’Alincourt, ce n’étoit pas un grand personnage. Il s’amusoit, à la mode de certains gouverneurs de frontières, à vouloir que tous les courriers fussent lui parler. Une fois, le comte de Clermont-Lodève, grand seigneur du Rouergue, autrefois assez connu à la cour sous le nom de marquis de Cessac, couroit la poste sur la route de Languedoc. Il fallut aller chez M. d’Alincourt à Lyon, car les maîtres de la poste ne donnent point de chevaux autrement, et on les châtiroit s’ils y avoient manqué. Le comte n’étoit point connu du gouverneur, qui, faisant le grand seigneur, demanda ce qu’on disoit à Paris : « On y disoit vêpres, monsieur, quand je suis parti. » Voyant qu’on ne parloit pas autrement de s’asseoir, il prend un fauteuil qu’il gâta un peu avec ses bottes crottées ; il en donne un autre à un gentilhomme qui étoit avec lui, se couvre, et se met à se chauffer : c’étoit l’hiver. Il cause avec son compagnon, comme s’il n’y eût qu’eux dans la chambre, et quand il eut bien chaud, il fait la révérence à M. le gouverneur, qui étoit si surpris qu’il n’eut pas le mot à dire. Il le fut encore bien plus quand, en Languedoc, il vit que M. de Montmorency faisoit mettre à table ce gentilhomme-là, même beaucoup au-dessus de lui : alors il apprit qui il étoit.

Une fois ce M. d’Alincourt s’avisa de vouloir tâter mademoiselle de La Moussaye, une grande, vieille et vilaine fille. Elle lui donna un beau soufflet. C’étoit une originale que cette mademoiselle de La Moussaye, tante de La Moussaye, petit-maître. Jamais il n’y eut une créature plus mal bâtie, si malpropre : vous eussiez dit une Bohémienne ; de grands vilains cheveux noirs gras. Elle avoit pour toute femme-de-chambre un grand laquais. Avec tout cela elle ne manquoit pas d’esprit et disoit les choses assez plaisamment. Une jolie femme, feu madame d’Harambure, disoit que de toutes les vilaines bêtes, elle ne pouvoit souffrir que La Moussaye. Elle demeuroit avec mademoiselle Anne de Rohan.