Les Historiettes/Tome 1/40

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 267-271).


M. D’AUMONT[1].


M. d’Aumont, fils du maréchal d’Aumont, du temps d’Henri IV, gouverneur de Bologne-sur-Mer, et chevalier de l’Ordre, en son jeune temps, fut une vraie peste de cour. Il a eu les plus plaisantes visions du monde. Il disoit de madame de Beaumarchais[2], belle-mère du maréchal de Vitry, et femme de ce trésorier de l’Épargne que la Reine-mère fit tant persécuter, à cause que son gendre avoit tué le maréchal d’Ancre ; il disoit donc de cette madame de Beaumarchais, qu’elle ressembloit à un tabouret de point de Hongrie. En effet, elle avoit le visage carré, et tout plein de marques rouges. Cela n’empêchoit pas que, pour son argent, elle n’eût des galants et de bonne maison, car M. de Mayenne le dernier de ce nom en fut un. La vision qu’il eut pour la maréchale d’Estrées[3] est encore plus plaisante. C’étoit et c’est encore une petite femme sèche et qui a le nez fort grand, mais extrêmement propre. Elle étoit en sa jeunesse toute faite comme une poupée. « Ne croyez-vous pas, disoit-il sérieusement, car il ne rioit jamais, qu’on la pend tous les soirs, tout habillée, par le nez à un clou à crochet dans une armoire ? » Il disoit d’une dame qui avoit le teint fort luisant, qu’on lui avoit mis un vernis comme aux portraits.

Un jour qu’il étoit à l’hôtel de Rambouillet, madame de Bonneuil, dont nous parlerons ailleurs, y vint. Elle étoit grosse, et en entrant elle se laissa tomber et se fit grand mal à un genou, et pensa accoucher de sa chute. Le voilà qui se met à rêver : « Nous sommes bien mal bâtis, dit-il, nous avons des os en tous les endroits sur lesquels nous tombons d’ordinaire ; il vaudroit bien mieux que nous eussions des ballons de chair aux genoux, aux coudes, au haut des joues et aux quatre côtés de la tête. Quel plaisir ne seroit-ce point ? ajouta-t-il ; un homme sauteroit par une fenêtre sans se blesser, il passeroit par-dessus les murs d’une ville. » Et puis, s’engageant plus avant dans sa rêverie, il mena cet homme avec ces ballons de chair de ville en ville, jusqu’à La Haie en Hollande.

Une autre fois Gombauld contoit en sa présence, à l’hôtel de Rambouillet, qu’ayant été pris pour un grand débauché, nommé Combaud, père du baron d’Auteuil, il fut maltraité par un commissaire et des agents qui le vouloient mener en prison, jusque là que, quoiqu’il soit assez patient, il fut pourtant contraint de lever la main pour frapper ce commissaire. M. D’Aumont, après avoir tout écouté, se lève de son siége, et commence à faire la posture d’un bourreau qui danse sur les épaules d’un pendu, et qui tire en même temps la corde pour l’étrangler, et disoit : « Monsieur le commissaire, je vous pendrai, je vous pendrai, monsieur le commissaire. »

À propos de cela, comme il faisoit pendre quelques soldats à Bologne, un d’eux cria qu’il étoit gentilhomme : « Je le crois, lui dit-il, mais je vous prie d’excuser, mon bourreau ne sait que pendre. »

En mangeant des andouilles mal lavées, il dit : « Ces andouilles sont bonnes, mais elle sentent un peu le terroir. »

Il disoit du marquis de Sourdis, qui faisoit fort l’empressé chez le cardinal de Richelieu, de la maison duquel il étoit depuis peu intendant, et qui regardoit aux meubles et à toutes choses, il disoit qu’il lui sembloit le voir tirer de dessous son manteau un petit sac de tapissier avec un petit marteau, et recogner quelque clou doré à une chaise.

Je crois que ce fut lui qui dit, voyant une personne fort maussade, qu’elle avoit la mine d’avoir été faite dans une garde-robe sur un paquet de linge sale.

Une de ses meilleures visions, ce fut celle qu’il eut pour M. l’archevêque de Rouen, qui, quoique jeune, portoit une grande barbe. Il dit qu’il ressembloit à Dieu le Père, quand il étoit jeune.

Il avoit été fort galant. Une fois sa belle-sœur, madame de Chappes, le trouva déguisé en Minime sur le chemin de Picardie ; elle le reconnut, parce qu’il étoit admirablement bien à cheval et que son cheval étoit trop beau. Il alloit en Flandre voir une dame. Sur ses vieux jours, il étoit plus ajusté qu’un galant de vingt ans. Il se peignoit la barbe, et il étoit si curieux d’être bien botté qu’il se tenoit les pieds dans l’eau pour se pouvoir botter plus étroit. C’étoit de ce temps que tout le monde étoit botté ; on dit qu’un Espagnol vint ici et s’en retourna aussitôt. Comme on lui demandoit des nouvelles de Paris, il dit : « J’y ai vu bien des gens, mais je crois qu’il n’y a plus personne à cette heure, car ils étoient tous bottés, et je pense qu’ils étoient prêts à partir. » Maintenant tout le monde n’a plus que des souliers, non pas même des bottines. Il n’y a plus que La Mothe-Le-Vayer[4], précepteur de M. d’Anjou, qui ait tantôt des bottes, tantôt des bottines ; mais ce n’a jamais été un homme comme les autres.

M. d’Aumont avoit épousé une fille de Maintenon, de la maison d’Angennes[5], cousine-germaine de M. le marquis de Rambouillet. Il n’en a point eu d’enfants. Cette madame d’Aumont est une honnête femme, mais fort aigre. Après la mort de son mari, elle se piqua d’honneur en une plaisante rencontre. Elle a une chapelle dans les Minimes de la Place-Royale, où M. d’Aumont est enterré. Or, un neveu de son mari, nommé Hurault de Chiverny[6], étant mort, sa veuve, qui est aussi une honnête femme, mais sage à peu près comme l’autre sur ce chapitre-là, la pria de trouver bon qu’on mît le corps embaumé dans cette chapelle. Depuis, cette femme, s’étant retirée en une religion, obtint des Minimes qu’ils lui laisseroient prendre le cœur de son mari. Madame d’Aumont alla prendre cela au point d’honneur. Il y en a eu de grands procès. Enfin des curés de Paris les raccommodèrent, et cette nièce eut le cœur de son mari.

  1. Antoine d’Aumont, marquis de Nolai, baron d’Estrabonne, chevalier des Ordres, gouverneur de Boulogne-sur-Mer, mourut à l’âge de soixante-treize ans, en 1635.
  2. Marie Hotman, femme de Vincent Bouhier, seigneur de Beaumarchais, trésorier de l’Épargne.
  3. Fille de Montmor, homme d’affaires. (T.)
  4. François de La Mothe-le-Vayer, membre de l’Académie française, mourut à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, en 1672. On a de lui un grand nombre d’ouvrages, dont plusieurs jouissent d’une estime méritée.
  5. Louise-Isabelle d’Angennes-Maintenon, veuve d’Aumont, mourut en 1666, à l’âge de soixante-dix-neuf ans.
  6. Antoine d’Aumont avoit épousé en premières noces Catherine Hurault de Chiverny, fille du chancelier.