Les Historiettes/Tome 1/34

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 235-236).


M. DE VAUBECOURT.


Voici un homme qui ne ressemble pas trop au baron Du Tour. M. de Vaubecourt de Champagne, grand-père de celui d’aujourd’hui, étoit brave, mais cruel. Quand il prenoit des prisonniers, il les faisoit tuer par son fils[1] qui n’avoit que dix ans, pour l’accoutumer de bonne heure au sang et au carnage. Cela me fait souvenir d’un gentilhomme d’auprès de Saumur, qui, quand il est bien en colère contre quelque paysan, lui dit : « Je ne te veux pas battre, je ne te battrois pas assez, mais je te veux faire battre par mon fils. » Ce fils de M. de Vaubecourt en fut payé, car il eut une jambe emportée devant Javarin en Hongrie.

Celui dont nous parlons étoit gouverneur de Châlons. Il rançonnoit tous les villages et prenoit tant de chacun pour les exempter de gens de guerre. Il mettoit familièrement des étiquettes sur des sacs qui portoient le nom de chaque paroisse, avec un bordereau de ce qui lui étoit encore dû. La maison-de-ville lui emprunta de l’argent, il l’envoya, sans daigner ôter ces étiquettes. Le lieutenant de Châlons, parlant un jour avec lui des désordres des gens de guerre, lui disoit bonnement : « Monsieur, il y a long-temps qu’on en use ainsi. Vous souvient-il d’un régiment que vous aviez en votre jeunesse, qu’on appeloit happe-tout ? » Il aimoit si fort l’argent, qu’un peu avant de mourir, il se fit apporter tout son or sur son lit, et disoit en passant les mains dedans : « Hélas ! faut-il que je vous quitte[2] ! » Sa femme étoit dévote, et, croyant faire quelque chose pour le salut de son mari, comme il étoit en pamoison, elle lui fit vêtir l’habit de Saint-François. Quand il revint et qu’il se trouva en cet habit, il se mit à renier comme un diable, et disoit : « Voulez-vous que j’aille en paradis en masque ? » et trépassa en ce bon état.

  1. Qui est gouverneur de Châlons et l’a été de Perpignan, et qui est lieutenant de roi des Trois-Évêchés. (T.)
  2. Ceci rappelle les regrets que Brienne fait si bien exprimer au cardinal Mazarin dans sa dernière maladie. (Mémoires de Brienne, 1828, tom. 2, pag. 127.)