Les Historiettes/Tome 1/20

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 119-122).


LISETTE[1].


Lisette étoit filleule de la princesse de Conti[2] ; c’étoit une assez pauvre fille que cette princesse n’osa tenir sur les fonts que par procureur. Elle la fit nommer Louise comme elle ; de Louise on fit Louisette, et par corruption Lisette. Quand cette fille eut quinze ans, elle se mit à imiter Mathurine ; cette Mathurine avoit été folle, puis guérie, mais non pas parfaitement. Il y avoit encore quelque chose qui n’alloit pas bien. Elle continua à faire la folle, et sous prétexte de folie elle portoit des poulets. Elle y gagna du bien, et laissa un fils qui a été un admirable joueur de luth ; on l’appeloit Blanc-Rocher. Lisette donc prend un chapeau, une fraise, un pourpoint et une jupe, et en cet équipage, plus insolente qu’un valet, elle entre chez toutes les personnes de la cour. Au bout de quelque temps elle disparoît tout-à-coup, et après quelques années elle revint à Paris, et voulut se faire passer pour fille d’Henri IV, qui étoit mort il y avoit déjà plus d’un an, et de la princesse de Conti. Elle se faisoit nommer Henriette Chrétienne, disoit que la princesse de Conti n’avoit jamais voulu permettre que le Roi la reconnût, qu’à cause de cela il l’avoit fait nourrir secrètement ; qu’il se l’étoit fait apporter en cachette plusieurs fois, et qu’il l’avoit plus aimée que tous ses autres enfants.

Toute la cour se moqua d’elle, car on savoit toutes les amourettes d’Henri IV, et personne n’ignoroit qu’encore qu’il eût trouvé la princesse de Conti fort belle la première fois qu’il la vit, il ne voulut point penser à l’épouser, parce qu’il savoit trop de ses nouvelles : peut-être aussi ne l’auroit-il pas voulu faire par politique. Il est vrai, d’un autre côté, que ce qu’il vouloit faire pour madame de Beaufort étoit encore pis que tout cela. Il étoit encore constant qu’étant marié il n’avoit jamais eu inclination pour cette princesse.

Cependant assez de badauds à Paris croyoient ce que cette friponne disoit. Il y avoit ici en ce temps-là un Flamand nommé M. Migon, homme fort ingénieux, mais du reste assez simple. Ce bon Flamand connut Lisette ; et comme cette créature avoit le caquet bien emmanché, car jamais on n’a mieux débité le galimatias, il en fut charmé et pleinement persuadé de toutes les fables qu’elle débitoit. Or, il arriva qu’un certain Allemand, qui se faisoit appeler le baron de Crullembourg, fit accroire à M. des Hagens, favori de M. de Luynes, qu’il savoit faire l’or. Des Hagens lui donna dix mille écus qu’il lui avoit demandés pour cela. Crullembourg se met en équipage, loue une maison à la Place-Royale, croyant que s’il se faisoit valoir il en tireroit encore bien d’autres. M. des Hagens ne donna pourtant point son argent sans en parler à M. d’Ornano, alors gouverneur de Monsieur, et qui depuis fut maréchal de France, car il lui communiquoit tous ses desseins. D’Ornano, qui connoissoit Migon, lui conseilla de le mettre avec Crullembourg comme témoin et comme participant de tout ce qu’il entreprendroit. Voilà donc Migon avec Crullembourg. Il n’y fut pas plus tôt qu’il pense à Lisette, qu’il croyoit princesse, et dont il avoit grande compassion : il la loge avec lui en intention de lui faire avoir si bonne part à l’or qu’on feroit, qu’elle auroit de quoi se marier selon sa naissance. M. de Chaudebonne, qui connoissoit fort Migon, mena un soir cette fille chez madame la marquise de Rambouillet, sa bonne amie, qui alors logeoit à la Place-Royale, pendant qu’elle faisoit bâtir l’hôtel de Rambouillet. Elle n’avoit rien d’extraordinaire en son habillement, hors qu’elle avoit un chapeau avec des plumes. Dès que madame de Rambouillet la vit, elle la reconnut, et lui dit qu’elle l’avoit vue ailleurs. « Ah ! répondit-elle, madame, c’est cette malheureuse Lisette qui m’a perdue d’honneur. Elle étoit fille de ma nourrice et ma sœur de lait. » Madame de Rambouillet lui fit toutes les objections qu’on lui pouvoit faire, et entre autres, que si le feu Roi se l’eût fait porter pour la voir, comme elle disoit, que cela se seroit su, et que les rois ne pouvoient rien faire sans témoins.

Au commencement, la princesse de Conti, qui étoit déjà veuve, laissa dire cette fille ; mais voyant que le monde en étoit trop imbu, et que quelques-uns ne savoient qu’en croire, elle la fit prendre et la fit mettre en prison dans l’abbaye Saint-Germain. On donna le fouet à Lisette, mais elle soutint toujours à la princesse de Conti même qu’elle étoit sa fille. Cette princesse, qui étoit bonne, se contenta de ce châtiment et ne la voulut point mettre en justice. Lisette au sortir de là courut tout le royaume. Elle est encore en vie et parle comme elle faisoit en ce temps-là. Elle étoit petite, mais bien faite. Pour le visage, elle l’avoit médiocrement beau. Pour Crullembourg, au bout de trois mois il fit un trou dans la nuit[3].

  1. Lisette est un personnage demeuré inconnu, mais nous croyons vrai le portrait que Tallemant en a tracé. « On n’a pas toujours besoin de preuves historiques pour croire à l’authenticité d’un fait, de même qu’il n’est pas toujours nécessaire de connoître l’original d’un portrait pour en affirmer la ressemblance. » (Zuleima, imité de l’allemand de madame Pichler, par H. de Châteaugiron ; Paris, Firmin Didot, 1826, in-18.)
  2. Louise Marguerite de Lorraine, veuve de François de Bourbon, prince de Conti.
  3. Expression proverbiale qui a le même sens que faire un trou dans la lune.