Les Hirondelles (Esquiros)/La Fête-Dieu.

Eugène Renduel (p. 117-123).


LA FÊTE-DIEU.




Le Fils de Dieu s’est fait homme
Pour que l’homme devînt Dieu.
Saint-Paul.



La Fête-Dieu


à l’abbé de lamennais


L’air est pur ; le ciel sans nuage ;
L’aube rend la rosée aux fleurs
Et blanchit entre le feuillage,
Le vallon reprend ses couleurs,
Sur le lis l’abeille bourdonne,
L’oiseau vole et chante en tout lieu,
Et de loin la cloche qui sonne
Annonce la fête de Dieu.


La route se jonche de lierre,
Et déjà le voile de lin
Blanchit les murs de la chaumière.
Le pauvre, que suit l’orphelin,
Vient prier le père du monde :
La bergère, dans les guérets,
Cache sa chevelure blonde
Sous la couronne de bluets :

De l’encens l’urne balancée
Frémit en sons harmonieux ;
La vierge, à la voix cadencée,
Suit la pompe en baissant les yeux :
Des fleurs volent sur son passage,
Et ses frères viennent chacun
Offrir leur cœur modeste et sage
Comme un beau vase de parfum.

Le long du sentier solitaire,
La mère pour son nouveau-né,
Demande à Dieu sur cette terre
Un sort tranquille et fortuné ;
Sa prière est un doux sourire,
Sa main effeuille quelques lis,
Et son regard a semblé dire :
Père, bénissez votre fils !


Sur les guirlandes effeuillées,
Sur les tapis et les rameaux,
Sur les roses qu’on a cueillies,
Jésus passe dans les hameaux.
Comme aux jours du pèlerinage,
Il n’a pour reposer ici
Que le creux du rocher sauvage,
Les bois, ou le sein d’un ami.

Ouvrez-vous, augustes portiques,
Devant les pas du Tout-Puissant :
Ebranlez-vous, cloches antiques.
Sur le temple retentissant !
Qu’aujourd’hui votre voix sonore
Annonce et proclame en tout lieu,
Devant un peuple qui l’honore,
Le triomphe de notre Dieu !

Pour immoler à quelque idole,
Le vainqueur de l’antiquité
Montait jadis au Capitole ;
Des larmes de l’humanité,
Sa gloire était environnée,
Et le barbare inglorieux,
Marchait, tête découronnée,
Devant le char victorieux.


Du Sauveur ce jour est la fête ;
Partout il a, sur son chemin,
Retracé les pas du prophète,
Guidé l’aveugle par la main,
Visité l’humble et le malade,
Béni les champs, l’arbre greffé,
Et l’eau pure de la cascade, —
C’est ainsi qu’il a triomphé !

II.



Entre la terre et Dieu, l’âme intermédiaire,
D’un côté par le corps, touche à l’humanité,
Et par le sacrement du Christ dépositaire,
Est le temple qui rend sensible sur la terre,
L’esprit de la Divinité.

Alors de la nature un mortel est le prêtre ;
Centre de l’univers, son cœur est un autel
Où la création se soumet à son maître ;
Sa prière est l’écho que la voix de chaque être
Fait retentir vers l’Éternel.

Prophète il peut chanter ; une invisible force
Soulève les transports de son cœur agité ;
Sa muse est l’esprit saint ; sa parole est l’écorce
Où sous l’attrait humain d’une futile amorce
S’enveloppe la vérité.


Le monde est un grand corps : la mer est sa ceinture ;
Sous la tente du ciel son front est abrité ;
Deux yeux toujours ouverts éclairent la nature ;
Les forêts dont les airs bercent sa chevelure ;
Son ame est la divinité.

Mais l’homme, reflétant ces divers phénomènes,
Voyant Dieu par son ame et les cieux entr’ouverts,
Sondant de l’océan les voûtes souterraines,
Portant en lui le poids des choses surhumaines,
Est un monde dans l’univers !

Le ciel même obéit à sa voix si profonde,
Et quand il a parlé descend dans le saint lieu.
L’Eternel a rendu l’immensité féconde
En prononçant un mot : — le sien créait un monde ;
Prêtres, le vôtre enfante un Dieu !

Janvier 1831.