Les Hiéroglyphes et la Langue égyptienne
Les anciennes écritures de l’Égypte, qui de tout temps ont été l’objet d’une vive curiosité, ne figuraient encore dans nos musées que pour une bien faible part à la fin du siècle dernier. Depuis cette époque, de riches collections d’antiquités égyptiennes nous sont venues des rives du Nil ; le Louvre a vu se former un musée nouveau, consacré tout entier à l’Égypte d’autrefois ; et bientôt un obélisque, enlevé aux ruines de Thèbes, se dressant sur une de nos places, va nous montrer l’écriture sacrée des Égyptiens, les hiéroglyphes employés à la décoration de nos monumens publics.
Parmi les objets précieux pour la science, dont l’Europe s’est enrichie depuis un petit nombre d’années, se trouve une pierre noire portant une triple inscription. Elle est connue sous le nom de pierre de Rosette, parce qu’elle fut trouvée par un ingénieur français dans les environs de la ville de Rosette. Enlevée aux savans qui accompagnaient notre armée d’Égypte, elle figure aujourd’hui dans le musée britannique. Cette pierre offre à sa partie supérieure, qui est fracturée, quatorze lignes d’écriture hiéroglyphique ; au-dessous de cette première inscription il en existe une deuxième beaucoup plus longue, en caractères égyptiens cursifs, appelés caractères vulgaires ou démotiques : enfin, la partie inférieure est occupée par une inscription grecque plus longue encore, au moyen de laquelle nous apprenons que les trois inscriptions ne sont qu’un même décret tracé en caractères et en langages différens.
Si de tout temps on avait considéré l’écriture hiéroglyphique comme purement idéographique, c’est-à-dire comme n’ayant aucun rapport direct avec la langue parlée, on avait toujours aussi regardé l’écriture égyptienne vulgaire comme procédant par les mêmes moyens que nos écritures ordinaires européennes. C’était une bonne fortune que la découverte d’une inscription égyptienne alphabétique. Bien des essais furent tentés pour retrouver l’alphabet égyptien. Un savant suédois, M. Akerblad, démontra d’abord que les noms étrangers étaient susceptibles d’une lecture analogue à celle de nos écritures ; mais l’alphabet qui résulta de l’analyse des noms propres étrangers n’eut aucune prise sur le texte égyptien. Toutes les tentatives de déchiffrement demeurant infructueuses, les érudits renoncèrent bientôt à marcher plus long-temps dans cette voie. Ils y étaient entrés convaincus que l’écriture égyptienne vulgaire était alphabétique comme la nôtre ; ils la quittèrent emportant des doutes nouveaux, et se demandant de quelle nature pouvait être cette écriture vulgaire.
Cependant l’alphabet obtenu par la lecture des noms propres renfermait, comme nous allons le voir, le germe d’une brillante découverte. Un savant anglais, le docteur Young[2], reprenant cette pierre de Rosette abandonnée depuis quelque temps, se mit à rechercher, par une opération toute matérielle, et à comparer entre elles les expressions des mêmes idées dans les trois textes. Il reconnut promptement que dans une foule de cas, et surtout dans les noms propres étrangers, les caractères du texte vulgaire n’étaient autre chose que des abréviations des caractères hiéroglyphiques. La conséquence obligée de cette remarque était que la méthode, pour exprimer les noms propres étrangers dans l’écriture hiéroglyphique, pourrait bien être analogue à celle dont faisait usage l’écriture vulgaire. Le docteur Young tenta donc, sur le nom de Ptolémée, le seul qui fût conservé dans le texte hiéroglyphique, ce qui avait été tenté avec succès par M. Akerblad sur les noms propres du texte vulgaire. On sent combien peu de ressources doit offrir un seul nom pour arriver à une analyse exacte. Le docteur Young rencontrant juste pour le fond, c’est-à-dire reconnaissant l’expression phonétique des noms propres étrangers, se trompa dans quelques détails ; l’alphabet qu’il forma, incomplet, inexact, resta inapplicable.
Vint alors M. Champollion, qui donna la vie à une découverte demeurée stérile, et qui, la fécondant par un principe auquel n’avait point songé le savant anglais, étranger aux études philologiques, lui fit produire les résultats les plus importans, les plus inattendus. Remplaçant l’alphabet informe de son devancier par un alphabet certain, riche, complet, il nous montra les noms de rois grecs, ceux des empereurs romains, sur des monumens que l’on avait toujours regardés comme remontant à la plus haute antiquité.
L’on a voulu faire du docteur Young et de M. Champollion deux rivaux se disputant une même découverte ; c’est une erreur, comme il est facile de s’en convaincre. Quelles sont, en effet, les prétentions du docteur Young ? Nous les trouvons consignées dans les dernières pages sorties de sa plume, dans la préface de son dictionnaire démotique : « Ce fut alors que, dit-il dans une lettre adressée à l’archiduc Jean d’Autriche, pour la première fois il fit connaître l’identité originelle des différens systèmes d’écriture employés par les anciens Égyptiens, observant qu’on peut reconnaître dans le nom enchorial (en écriture vulgaire) de Ptolémée une imitation éloignée (loose) des caractères hiéroglyphiques dont se compose le même nom. J’ai étendu ensuite la même comparaison au nom de Bérénice. » Quelle est, d’un autre côté, la découverte revendiquée par M. Champollion ? Ce n’est point d’avoir reconnu que l’écriture vulgaire n’est qu’une tachygraphie des hiéroglyphes ; ce n’est point d’avoir cherché dans les cartouches (petits encadremens elliptiques) des noms écrits alphabétiquement de même que dans l’écriture vulgaire, mais seulement « d’avoir fixé la valeur propre à chacun des caractères qui composent ces noms, de manière que ces valeurs fussent applicables partout où ces mêmes caractères se présentent[3]. »
Ainsi, avoir démontré que les écritures sacrées et vulgaires sont de même nature, voilà la part qu’il n’est point possible de contester au docteur Young, et c’est la seule qu’il réclame. Cette identité de nature entre l’écriture hiéroglyphique et l’écriture démotique conduisait naturellement à essayer sur les noms de l’inscription hiéroglyphique les procédés de lecture employés par M. Akerblad sur l’inscription démotique.
Avoir fixé la valeur propre à chacun des caractères hiéroglyphiques qui composent les noms propres, voilà la part que réclame M. Champollion, et que personne ne lui conteste. Il n’y a point ici découverte disputée : il y a deux découvertes tout-à-fait distinctes. Celle du savant français est venue après celle de M. Young ; mais elle n’en est point une conséquence obligée.
J’arrive aux premiers résultats de la découverte de l’alphabet des hiéroglyphes phonétiques. M. Champollion, en lisant au milieu des sculptures hiéroglyphiques les noms des empereurs de Rome, a ramené en deçà du point initial de l’ère chrétienne des constructions, des décorations, qui différaient assez peu des sculptures les plus anciennes pour que des personnes habiles, des savans distingués, les aient considérées comme vieilles de plusieurs milliers d’années. Par les noms d’Auguste et de Tibère écrits sur ses murailles en caractères hiéroglyphiques, le temple de Dendérah avec son zodiaque est revenu se placer dans les premières années de notre ère ; par ceux d’Adrien, de Trajan, d’Antonin, le petit temple d’Esné, également décoré d’un zodiaque, est redescendu jusque dans la première moitié du second siècle ; et par ceux de Septime-Sévère, de Caracalla, de Géta, le grand temple d’Esné, offrant un zodiaque de même que les deux précédens, s’est trouvé ramené jusque dans la première moitié du iiie siècle. Et ce n’est pas seulement sur la lecture des noms étrangers, au moyen de l’alphabet phonétique, que s’appuient tous ces déplacemens. Des recherches d’un autre ordre ont rendu la démonstration complète. D’une part, MM. Huyot et Gau, portant l’œil de l’architecte sur les monumens de l’Égypte, avaient assigné à chacun d’eux l’âge précisément que leur donnent les lectures de M. Champollion, avant de savoir que l’on fit aucune lecture sur ces monumens. D’un autre côté, M. Letronne se trouvait conduit aux mêmes résultats par les nombreuses inscriptions grecques tracées sur les temples égyptiens. D’après ces inscriptions il nous apprenait que, vers la fin du iie siècle, les Égyptiens tenaient encore à décorer les murs de leurs temples de ces mêmes sculptures, de ces hiéroglyphes si multipliés dont ils les recouvraient dans de plus anciens temps.
Des inscriptions hiéroglyphiques sculptées sur les temples égyptiens, au iie, au iiie siècle de notre ère, et peut-être plus récemment encore, puisque l’on trouve des édifices inachevés dans cette Égypte supérieure, où les antiques usages religieux du paganisme égyptien se sont maintenus sans obstacle jusque dans le vie siècle : voilà un fait de la plus haute importance, comme nous allons le voir.
Nous possédons une langue égyptienne, désignée plus ordinairement sous le nom de langue copte : elle nous est donnée principalement par des versions de l’Ancien et du Nouveau-Testament. On a longuement et savamment disputé sur l’origine de cette langue, de fort habiles critiques ont examiné la question sous toutes ses faces. Un premier résultat de leurs laborieuses recherches, aujourd’hui généralement admis, c’est que la langue copte est la même que la langue égyptienne de l’époque des Pharaons, sauf les changemens que le temps et d’autres circonstances peuvent apporter dans un idiome usuel. Un autre résultat, c’est que la version copte de l’Ancien et du Nouveau-Testament a dû être faite, au plus tard, dans le cours du second siècle, et que cette version, qui a joui, dès l’origine, d’une autorité égale à celle du texte grec, qu’elle a promptement remplacé, représente fidèlement le langage des habitans de l’Égypte dans les premiers siècles de l’ère chrétienne. On sait le caractère d’immutabilité des livres sacrés.
Nous avons donc la langue dont faisait usage la population égyptienne à l’époque où Septime-Sévère, ardent persécuteur des chrétiens et protecteur zélé de l’antique religion, faisait recouvrir de légendes hiéroglyphiques le grand temple d’Esné. Nous pouvons désormais tenter, avec espoir de succès, l’interprétation des hiéroglyphes qui recouvrent les temples d’Esné, ceux de Denderah, tous les édifices de l’époque romaine ; nous avons la langue contemporaine.
L’objection la plus sérieuse que l’on ait faite contre la possibilité d’interpréter l’écriture hiéroglyphique, c’était l’ignorance où nous étions de la langue au moyen de laquelle on exprimait les idées que rappelaient ses caractères. Le dictionnaire symbolique d’Horns-Apollon nous apprend que certains symboles, outre les sens divers dont ils étaient susceptibles d’après les qualités de l’objet représenté, pouvaient encore avoir un sens dépendant du nom de cet objet ; de ce fait, d’Origny, dans son Égypte ancienne, concluait que la connaissance de la langue égyptienne est indispensable pour comprendre les hiéroglyphes, et que, cette langue ayant changé avec le temps, les hiéroglyphes sont indéchiffrables. « En effet, disait-il, le même caractère ne représentant plus le même mot, ce caractère ne peut plus faire entendre ce que le sculpteur avait prétendu qu’il signifiait. » Il eût fallu, suivant lui, connaître la langue égyptienne de chaque époque pour en interpréter les monumens. D’Origny, de même que tous les savans d’alors, regardait les hiéroglyphes comme antérieurs de beaucoup à l’époque romaine.
Plus tard, Zoéga, dans son ouvrage sur les obélisques, admet comme d’Origny, et par les mêmes motifs, une étroite liaison entre les caractères hiéroglyphiques et la langue de la nation qui les employait comme écriture ; mais cette liaison fut pour lui, comme pour son devancier, une circonstance qui compliquait le problème, au lieu d’en avancer la solution. Il était loin de soupçonner que la langue copte fût contemporaine de l’écriture hiéroglyphique.
Cette langue va donc nous être du plus grand secours pour l’interprétation des légendes hiéroglyphiques sculptées sur les temples par ceux qui l’ont parlée. Disons plus, elle est la seule voie possible pour arriver. Je ne saurais mieux faire que de citer, à ce sujet, les paroles de M. Champollion lui-même. Après avoir parlé (Introduction de la grammaire égyptienne) des tentatives infructueuses faites pendant si long-temps, en dehors de la langue copte, pour interpréter les inscriptions hiéroglyphiques, il ajoute :
« Les études égyptiennes ne pouvaient compter sur aucun progrès réel, puisqu’on voulait parvenir à l’intelligence des inscriptions hiéroglyphiques en négligeant précisément le seul moyen efficace auquel pût se rattacher quelque espoir de succès, la connaissance préalable de la langue parlée des anciens Égyptiens. Cette notion était cependant le seul guide que l’explorateur pût adopter avec confiance dans les trois hypothèses possibles sur la nature de cet antique système graphique.
« Si, en effet, l’écriture hiéroglyphique ne se composait que de signes purement idéographiques, c’est-à-dire de caractères n’ayant aucun rapport direct avec les sons des mots de la langue parlée, mais représentant chacun une idée distincte, la connaissance de la langue égyptienne parlée devenait indispensable, puisque les caractères, emblèmes ou symboles, employés dans l’écriture à la place des mots de la langue, devaient être disposés dans le même ordre logique, et suivre les mêmes règles de construction que les mots dont ils tenaient la place ; car il s’agissait de rappeler à l’esprit, en frappant les yeux par la peinture, les mêmes combinaisons d’idées qu’on réveillait en lui en s’adressant aux organes du sens de l’ouïe par la parole.
« Si, au contraire, le système hiéroglyphique employait exclusivement des caractères de son, ces signes ou lettres composant l’écriture égyptienne, sculptés avec tant de profusion sur les monumens publics, ne devaient reproduire d’habitude que le son des mots propres à la langue parlée des Égyptiens.
« En supposant enfin que l’écriture hiéroglyphique procédât par le mélange simultané des signes d’idées et des signes de sons, la connaissance de la langue égyptienne antique restait encore l’élément nécessaire de toute recherche raisonnée, ayant pour but l’interprétation des textes égyptiens. »
La question ainsi posée d’une manière toute nouvelle par la lecture des noms royaux, le problème si long-temps insoluble du déchiffrement des hiéroglyphes laissant entrevoir une solution non seulement possible, mais probable, mais prochaine, on dut songer à réunir tous les élémens qui devaient faciliter, accélérer cette solution ; d’une part, tous ces monumens décorés depuis le commencement de l’ère chrétienne, n’avaient été, n’avaient pu être qu’incomplètement dessinés. D’un autre côté, la langue copte ne nous était que très imparfaitement connue, et nous ne possédions qu’un fort petit nombre de manuscrits, dont la plupart avaient été rapportés d’Égypte en 1674 par Vansleb. Il était indispensable d’aller copier dans tous leurs détails des monumens auxquels chaque jour emporte un débris, et de recueillir dans les monastères qui les avoisinent les nombreux et précieux manuscrits que tous les voyageurs y ont vus ; manuscrits qui ne sont plus compris de leurs possesseurs, et que mille accidens divers peuvent anéantir chaque jour. Cette double mission appartenait naturellement à M. Champollion, dont les riches découvertes en avaient fait sentir la nécessité. Il fut donc envoyé pour arracher à la destruction et livrer à la science ces inscriptions, dont le sens ne pouvait plus nous échapper, et les restes de cette langue copte, qui seule nous en pouvait fournir la clé.
Mais pour remplir la double mission dont il s’était chargé, il eût fallu à M. Champollion un temps double de celui dont il pouvait disposer ; car il ne s’agissait pas seulement de choisir et d’acheter : maintes fois les moines égyptiens ont refusé de vendre des manuscrits qu’ils ne peuvent lire ; il eût fallu copier ce que l’on n’eût pu obtenir autrement. M. Champollion dut s’occuper d’abord des monumens. La moisson fut tellement abondante, que le temps fixé pour la durée du voyage était entièrement écoulé avant qu’elle ne fût épuisée. M. Champollion fut obligé de revenir, rapportant un portefeuille riche, inappréciable, ayant fait tout ce qu’il était possible de faire pour fournir à la question un de ces deux élémens indispensables, la connaissance exacte des écritures, et laissant à d’autres les fatigues nouvelles par lesquelles on pouvait obtenir le deuxième élément, la connaissance complète de la langue copte.
Privé d’une partie des moyens qu’il avait lui-même jugés nécessaires au succès, M. Champollion n’hésita point cependant à marcher en avant. Il se sentait trop près du but pour ne pas essayer de l’atteindre à l’aide des ressources dont il pouvait disposer. Placé naturellement sous l’influence des brillans résultats que lui avait fournis la lecture des noms propres par la méthode alphabétique, il fut entraîné graduellement, par des rapprochemens heureux, par le succès apparent de quelques essais, à considérer l’écriture hiéroglyphique comme étant plus qu’aux trois quarts de nature alphabétique. Assurément cette opinion, si contraire à la croyance générale de tous les temps, avait de quoi séduire un esprit hardi. Plus elle était neuve, plus elle bouleversait les idées universellement admises, plus on devait espérer de gloire à la soutenir. M. Champollion entreprit de le faire en opposition avec tous les témoignages historiques. En effet, les écrivains de l’antiquité s’accordent à nous dire que l’écriture hiéroglyphique différait essentiellement de notre méthode alphabétique ; il est vrai que tout en nous apprenant ce qu’elle n’était pas, ils sont loin d’expliquer aussi clairement ce qu’elle était.
Diodore de Sicile, au livre iii de sa Bibliothèque historique, parle des caractères hiéroglyphiques employés par les Égyptiens. Après avoir dit que ces caractères offrent à nos yeux des animaux de tout genre, des parties du corps humain, des ustensiles, des instrumens, principalement ceux dont font usage les artisans, il expose dans les termes suivans les motifs qui leur ont fait donner ces formes : « Ce n’est point, en effet, par l’assemblage des syllabes que chez eux l’écriture exprime le discours, mais c’est au moyen de la figure des objets retracés, et par une interprétation métaphorique basée sur l’exercice de la mémoire. » Plus bas, après avoir donné divers exemples de cette manière d’employer les hiéroglyphes, il ajoute : « C’est en s’attachant aux formes des divers caractères qu’ils arrivent, au moyen d’un exercice prolongé de la mémoire, à reconnaître par habitude le sens de tout ce qui est écrit. » Ce qu’il y a de fort clair dans ces paroles, c’est que l’écriture hiéroglyphique ne formait point des syllabes, c’est-à-dire qu’elle ne se rattachait point, comme notre écriture, aux idées par l’intermédiaire des sons, mais bien par la forme, par la figure de ses caractères. Ce qui est beaucoup moins clair, c’est la manière dont ces figures exprimaient les idées. On reconnaît cependant, par les détails dans lesquels est entré l’historien, qu’une figure, outre l’objet représenté directement, pouvait représenter métaphoriquement ou d’une manière détournée un grand nombre d’autres idées ; ce qui est conforme, du reste, aux notions que nous fournit le dictionnaire symbolique d’Horns-Apollon.
Au témoignage de Diodore, l’historien grec, j’ajouterai celui d’Ammien Marcellin, l’historien latin. Cet écrivain s’exprime de la manière suivante au sujet de l’écriture hiéroglyphique : « Les anciens Égyptiens n’avaient point, comme aujourd’hui, un nombre de lettres déterminé et d’un emploi facile pour exprimer tout ce que peut concevoir l’esprit humain, mais chaque lettre représentait un mot et quelquefois même une phrase entière. » Cela est assez positif ; Ammien compare les anciens procédés des Égyptiens à ceux qu’ils employaient de son temps, c’est-à-dire à l’écriture alphabétique.
Saint Clément d’Alexandrie, parlant dans ses Mélanges des voiles mystérieux dont on s’est plu souvent à entourer la science pour n’en permettre l’abord qu’aux initiés, cite comme exemple de ces obstacles multipliés l’usage qui, de son temps, c’est-à-dire vers la fin du iie siècle, régnait encore chez les Égyptiens. L’on ne pouvait atteindre que par des degrés successifs le terme le plus élevé de l’instruction, qui était la science des hiéroglyphes. Il résulte bien clairement de là que la science des hiéroglyphes n’était rien moins qu’une chose facile, et l’on pourrait, avec toute apparence de raison, affirmer que saint Clément n’a point vu dans les hiéroglyphes une écriture presque entièrement alphabétique. Il parle cependant de l’emploi des caractères hiéroglyphiques comme caractères alphabétiques. L’écriture hiéroglyphique, dit-il, s’emploie suivant deux méthodes ; l’une représente les objets d’une manière propre à chacun d’eux à l’aide des premiers élémens, c’est-à-dire des lettres de l’alphabet : car, quand il s’agit d’écriture, les premiers élémens sont les lettres de l’alphabet ; nous trouvons, en effet, ces lettres désignées plusieurs fois sous le nom de premiers élémens de l’écriture dans la Préparation évangélique d’Eusèbe. L’autre méthode représente les objets d’une manière figurée ou symbolique ; c’est celle dont viennent de nous parler Diodore de Sicile et Ammien Marcellin. De cette distinction faite par saint Clément, il résulte qu’il a voulu signaler la méthode au moyen de laquelle on écrivait les noms étrangers si fréquemment employés dans les décorations hiéroglyphiques ; mais il est évident, par l’ensemble du passage, que cet alphabet hiéroglyphique phonétique ne pouvait être qu’un accessoire peu considérable du système total. Il devait servir à exprimer des noms propres étrangers, des noms de peuples, de pays, de villes, des mots empruntés aux langues étrangères, quelques mots de la langue égyptienne elle-même, lorsque pour représenter une action faite par des étrangers, ou à la manière des étrangers, on voulait éviter l’emploi d’un symbole qui, rappelant le mode d’action égyptien, pouvait donner une idée fausse. La pierre de Rosette nous offre un exemple assez remarquable de l’expression alphabétique d’un mot égyptien ; il est question d’écrire le décret en lettres sacrées, en lettres vulgaires et en lettres grecques ; un même symbole, rappelant les procédés d’écriture employés par les Égyptiens, se trouve répété deux fois pour exprimer les lettres sacrées et les lettres vulgaires de l’Égypte ; mais, comme la méthode d’écriture des Grecs différait complètement de celle des Égyptiens, quand il s’agit d’exprimer les lettres grecques, ce n’est plus le symbole précédent que l’on emploie, c’est le mot lettres, emprunté à la langue égyptienne que l’on écrit à la manière alphabétique. Les symboles égyptiens, rappelant à la fois une action, et la manière de faire cette action, il aura fallu recourir à la méthode alphabétique toutes les fois que l’on aura voulu faire abstraction de la manière d’agir, et rappeler seulement son résultat. Quelque extension, cependant, que l’on donne à l’emploi de cette méthode, on sent qu’il sera toujours fort limité, puisqu’il n’est qu’une addition faite après coup au système égyptien par suite des rapports de l’Égypte avec les étrangers. Le texte de saint Clément d’Alexandrie ne favoriserait donc pas plus que ceux des autres écrivains l’opinion qui attribuerait à l’écriture hiéroglyphique une nature presque entièrement alphabétique.
Plutarque, qui ne s’est point occupé du système graphique des Égyptiens, dit quelque part à propos du nombre vingt-cinq, que ce nombre est celui des lettres égyptiennes. Il dit ailleurs que l’ibis tient le premier rang parmi les lettres des Égyptiens, mais il ne dit pas un mot de l’usage que l’on faisait de ces lettres, ni de l’importance du rôle qu’elles pouvaient jouer dans le système de l’écriture égyptienne. Il n’y a donc pas de raison pour voir là autre chose que l’alphabet hiéroglyphique dont nous venons de parler à l’occasion de saint Clément, d’autant plus que saint Clément et Plutarque, les seuls, parmi les écrivains de l’antiquité, qui aient parlé d’hiéroglyphes employés à la manière de nos lettres alphabétiques, nous ont conservé l’un et l’autre le seul exemple connu d’écriture hiéroglyphique analysée, et que cet exemple procède exclusivement par la méthode symbolique.
Si donc chez les auteurs anciens on a trouvé l’indication de la méthode alphabétique employée pour écrire les noms étrangers, on n’y saurait trouver de même que l’écriture hiéroglyphique était d’une nature presque exclusivement alphabétique ; bien loin de là, l’opinion adoptée par M. Champollion est en opposition directe avec tous les témoignages de l’antiquité. Cette circonstance nous rendra naturellement plus scrupuleux dans l’examen des preuves alléguées à l’appui du système nouveau ; cependant il ne faudrait pas les condamner sur ces seuls indices ; il n’est peut-être pas impossible que tous les auteurs qui nous ont parlé de l’écriture hiéroglyphique se soient mépris sur sa nature.
La mort n’a point permis à M. Champollion de publier lui-même les résultats de ses longues recherches, les principes qu’il avait déduits de ses immenses travaux, sa Grammaire égyptienne, qui est, dit-on, le résumé complet de tout son système. Cette grammaire n’est point encore tout entière entre les mains du public. La première moitié seulement a paru ; mais cette moitié suffit pour que l’on puisse apprécier le système tout entier, et l’apprécier sans injustice. L’auteur, s’écartant de la marche ordinairement suivie dans les grammaires, a mis avec profusion dans cette première partie de longues phrases hiéroglyphiques, empruntées aux monumens de toutes les époques, depuis les temps les plus reculés jusqu’au iiie siècle de notre ère ; et toutes ces phrases sont accompagnées de leur traduction complète. Nous pouvons donc juger la méthode nouvelle par ses résultats, par les applications qu’en a faites l’auteur lui-même. La juger ainsi n’est pas difficile ; nous savons que la langue copte était la langue de l’Égypte aux premiers siècles du christianisme ; voilà notre pierre de touche. La nouvelle méthode sera bonne dès qu’elle pourra lire sur les temples d’Esné, sur ceux de Denderah, des mots, des phrases appartenant à la langue copte qui fut contemporaine de ces monumens. Tout système de lecture qui, essayé sur les édifices dont nous parlons, ne reproduira ni les mots, ni la syntaxe de cette langue, ne pourra prétendre à aucune confiance. M. Champollion nous l’a dit lui-même, dans la langue copte est la seule démonstration possible de la bonté d’une méthode de lecture appliquée aux inscriptions hiéroglyphiques. Nous partirons de ce point.
Autant que l’on en peut juger, M. Champollion a fait les premiers essais de sa méthode, non point sur les monumens de l’époque romaine, mais sur les édifices réputés les plus anciens. Trouvant là, par ses lectures, des résultats fort différens de la langue copte, il s’est expliqué le peu de ressemblance par la grande antiquité des textes qu’il traduisait, « Il n’existe, dit-il dans l’introduction de sa grammaire, aucune langue qui, comparativement étudiée sous le rapport orthographique, à deux époques aussi distantes que celles qui séparent les textes appelés coptes de la plupart des textes égyptiens hiéroglyphiques, ne présente des variations et des changemens bien plus notables encore. » Mais si la plupart des textes hiéroglyphiques sont d’une haute antiquité, il reste aussi de nombreux monumens de l’époque romaine, et ceux-là sont contemporains de la langue copte. Il est donc présumable que ces différences si notables dues à l’action des siècles vont s’effacer peu à peu à mesure que nous allons arriver à des monumens plus voisins de notre époque, d’abord aux édifices construits et décorés sous la domination grecque et à la pierre de Rosette en particulier, puis à ceux des premiers temps du christianisme, et enfin que la différence sera nulle, ou presque nulle, quand nous arriverons aux décorations hiéroglyphiques exécutées sous Trajan, Septime Sévère, Caracalla, Géta. Eh bien ! nullement. Les différences notables que reconnaît M. Champollion demeurent exactement les mêmes à toutes les époques, et les lectures faites sur les temples d’Esné, couverts de leurs légendes hiéroglyphiques au iiie siècle de notre ère, diffèrent tout autant de la langue copte, contemporaine de ces édifices, que les lectures faites sur les plus anciennes murailles de Thèbes. L’influence des siècles n’est donc pour rien dans ces différences. La conséquence à laquelle on serait conduit par l’application de la méthode nouvelle, c’est qu’il y avait en Égypte, au iiie siècle de l’ère chrétienne, deux langues, différant très notablement l’une de l’autre, tant pour les mots que pour la syntaxe, dont l’une, absolument inconnue jusqu’à nos jours, s’employait sur les monumens, tandis que l’autre, la langue copte, était à l’usage de la population. Mais où est la démonstration de l’existence d’une langue monumentale différente de la langue copte, ailleurs que dans la certitude de la méthode qui l’a fait découvrir ? où peut être la certitude de la méthode nouvelle, ailleurs que dans l’identité des résultats qu’elle fournit avec la langue copte que nous connaissons ? La méthode ne saurait être démontrée par la chose nouvelle qu’elle nous fait connaître, en même temps que cette chose nouvelle serait démontrée par la méthode. Je me hâte de dire que M. Champollion, tenant les yeux constamment fixés sur les monumens pharaoniques, n’a point été conduit comme nous à voir deux langues contemporaines ; il a vu seulement deux états d’une même langue, dont l’un, celui que nous connaissons (l’égyptien moderne, la langue copte), ne différait de l’autre, qu’il appelle l’égyptien antique, que par suite de l’action des siècles. Mais la conséquence à laquelle nous sommes arrivés est forcée ; elle ressort de tous les exemples cités dans la grammaire de M. Champollion.
Comparons, en effet, avec la langue copte les traductions, que nous donne l’auteur, des inscriptions de l’époque romaine ; vous allez voir si la différence n’est pas suffisante pour qu’il faille reconnaître dans ces traductions une langue tout-à-fait nouvelle. Nous rencontrons d’abord un groupe que M. Champollion lit enter, et qu’il traduit par Dieu : mais dans les livres coptes, Dieu n’a jamais été rendu autrement que par noute. Un autre groupe est lu par M. Champollion tfe ou etf, et rendu par le mot père ; mais pour représenter l’idée père, la langue copte ne connaît pas d’autre mot que iôt. Un troisième groupe, connu pour représenter l’idée roi, est lu par la nouvelle méthode sout ou souten, tandis que la langue copte n’admet pas d’autre expression pour l’idée roi que ouro, erro. Un quatrième groupe qui répond à l’idée fils, est lu par M. Champollon si ou se, tandis que la langue copte n’a point d’autre mot que schiri, schire. Sans nous arrêter à citer des mots isolés, ce qui nous conduirait à reprendre en détail tous les groupes lus par M. Champollion, citons des phrases entières. Sur le pronaos d’Esné, dont, comme nous l’avons dit, les sculptures portent le nom de Septime Sévère, M. Champollion lit cette phrase : Her chet enter enerpe pen, qu’il traduit ainsi, et aux autres dieux de ce temple. À l’exception de erpe, mot réellement copte, mais qui n’est point obtenu au moyen de la nouvelle méthode, puisqu’il répond à un caractère symbolique, rien dans cette lecture n’a le moindre rapport avec la langue que l’on parlait en Égypte au temps de Septime-Sévère ; pour obtenir la traduction ci-dessus, il eût fallu, dans cette langue, men en kenoute ente peierpe. Sur le même pronaos M. Champollion lit encore : psi mai oéri tfe eunenter, et traduit, le fils chéri, l’aîné du père des dieux : mais pour traduire de la sorte, il faudrait lire en langue copte, pschere emmerit pscher pemmise ente peiôt ennenoute. Tous ces mots, psi, oéai, tfe, enter, sont complètement étrangers aux vocabulaires coptes, et la construction de la phrase n’a pas le moindre rapport avec la syntaxe égyptienne. Nous pourrions citer de même toutes les autres phrases empruntées aux sculptures des temples d’Esné, celles qui appartiennent aux temples de Denderah ; chaque citation nous obligerait à répéter les observations que nous venons de faire. Que l’on examine dans la grammaire elle-même toutes les traductions d’inscriptions appartenant à l’époque romaine, et que l’on ne s’en laisse point imposer par les caractères employés, qui sont bien réellement des caractères coptes, on verra qu’elles ne contiennent pas un seul mot copte, pas un seul, obtenu au moyen de la nouvelle méthode ; et que, quand il se rencontre, ce qui est rare, quelque mot de cette langue que l’on parlait en Égypte au iie siècle de notre ère, il répond à un caractère symbolique sous lequel M. Champollion place le nom copte de l’idée qu’il est supposé représenter. L’examen des fragmens empruntés à l’inscription de Rosette nous donne absolument les mêmes résultats. Enfin, la langue copte ne se retrouve pas sur les monumens de l’époque pharaonique plus que sur ceux de l’époque grecque et de l’époque romaine. Où donc est la démonstration que devait nous fournir la langue copte, et que seule, de l’aveu de M. Champollion, elle pouvait nous fournir ? Nous obtenons par les procédés de lecture qui nous sont proposés une langue nouvelle, qui, loin de pouvoir démontrer la certitude de ces procédés, aurait besoin elle-même d’être démontrée. Dès cet instant la nouvelle méthode est jugée.
Le sens d’un grand nombre de caractères et de groupes hiéroglyphiques a pu être déterminé d’une manière certaine, indépendamment de toute lecture : c’est là ce qui a égaré M. Champollion. Profondément convaincu à priori de l’excellence de ses procédés, il est arrivé à étendre sur le mode de lecture une certitude qui ne s’appliquait qu’à la signification. On sait la prodigieuse élasticité de l’art des étymologistes ; au moyen de cet art, il est aisé de rattacher bien ou mal le premier mot venu à quelque radical ayant à peu près le sens dont on a besoin ; et cela est d’autant plus facile, que la langue sur laquelle on opère est plus imparfaitement connue. Eh bien ! c’est dans la voie des étymologies que s’est engagé M. Champollion, pour rattacher sa langue nouvelle à la langue copte ; c’est par des rapports étymologiques qu’il a cru masquer les différences profondes que nous avons signalées. Ces rapports l’ont séduit ; nous le concevons, il est l’auteur de la méthode nouvelle. Mais nous qui examinons, libres des préoccupations par lesquelles il se trouvait dominé, tous ces rapprochemens, quelque ingénieux qu’ils soient, ne sauraient nous faire illusion, et nous rejetons un système qui ne s’appuie que sur des subtilités étymologiques.
La confiance de M. Champollion dans la sûreté de sa théorie l’a entraîné graduellement si loin de la langue copte, que, quand, pour l’interprétation des passages purement symboliques, il est obligé de faire à cette langue quelques emprunts, il en néglige constamment les règles les plus simples. Parcourez sa grammaire, vous y trouverez sans cesse l’article pluriel indéterminé associé aux noms de nombres, combinaison que la syntaxe copte n’admet pas plus que la nôtre. Vous rencontrerez à chaque page, sous un symbole qui paraît exprimer l’idée de totalité, le mot nib (préféré, je ne sais pourquoi, au mot nim, du dialecte thébaïque, et au mot niben, du dialecte memphitique) ; vous trouverez, dis-je, ce mot accolé à un substantif que précède un article simple ou un article possessif ; vous le trouverez également employé d’une manière absolue, comme dans cette phrase : gouverner tout. Or, de ces deux emplois la langue copte ne permet pas plus l’un que l’autre. Les mots jo, tête, rat, pied, ro, bouche, ne se montrent dans la grammaire de M. Champollion qu’avec les articles simples ou possessifs ; petro, ta bouche, netrat, tes pieds, ensenjo, leurs têtes, tandis que dans les livres coptes les mêmes mots n’admettent pas autre chose que des terminaisons, comme rof, sa bouche, jos, sa tête, ratou, leurs pieds. Ajoutons que les articles possessifs pet, net, ensen, sont complètement étrangers à la langue copte. Le mot chet, qui, dans les livres coptes, ne se rencontre que précédé de l’article singulier masculin, et qui, n’admettant jamais de complément, signifie l’autre d’une manière absolue, se montre constamment, dans la Grammaire égyptienne, au nombre pluriel et suivi d’un ou plusieurs complémens. M. Champollion emploie comme verbe le mot mai, qui ne peut entrer que dans les adjectifs composés du genre de mainout, aimant Dieu, et il écrit maif, qui aime lui, quand il faudrait écrire etmai emmof. Nous pouvons indiquer encore certains mots qu’il compose, tels que celui-ci : ne rem oliro, les portiers ; ce mot, s’il était possible, signifierait ceux qui emportent ou qui enlèvent la porte, et non point ceux qui l’ouvrent ; mais rem ne se compose jamais avec un verbe actif, c’est ref que l’on emploierait dans le cas présent, et l’on dirait : ne refouenro. Ces négligences, et bien d’autres encore, qu’il serait trop long de citer, montrent à quel point M. Champollion avait perdu de vue les règles de la langue copte ; elles suffiraient, quand même l’art des rapprochemens étymologiques dont il a fait usage serait moins trompeur, elles suffiraient pour faire douter de la réalité des rapports qu’il a cru apercevoir entre cette langue et les résultats de ses lectures.
Assurément les théories de M. Champollion sont fort ingénieuses ; elles sont séduisantes, il y a du vrai sans doute, mais nous venons de voir qu’il n’en faut pas demander la démonstration à la langue copte, et nous savons que dans cette langue se trouve la seule démonstration possible. Le problème du déchiffrement des hiéroglyphes n’est donc point encore complètement résolu, comme on a pu le croire. D’heureux détails sont trouvés, ils resteront ; mais les bases de la solution ne sont point encore arrêtées. Il faut revenir au point où nous avait amenés la lecture des noms étrangers. Cette lecture nous a fait connaître qu’il existe de nombreuses inscriptions hiéroglyphiques sculptées à l’époque où l’on parlait, sur les bords du Nil, la langue copte, que nous possédons. Trouver le rapport de ces écritures sacrées avec le langage de ceux qui les ont tracées, voilà ce que nous devons encore nous proposer. Il est cruel de rétrograder quand on se croyait près du but ; mais nous savons au moins aujourd’hui que le but ne saurait nous échapper. M. Champollion nous a laissé des copies exactes des légendes hiéroglyphiques de toutes les époques ; les riches salles du musée égyptien renferment assurément tous les élémens nécessaires pour arriver à une connaissance complète du système graphique des anciens Égyptiens. Malheureusement le dépôt des manuscrits coptes ne s’est point enrichi de même par le voyage de M. Champollion ; il est toujours borné à une soixantaine de volumes, parmi lesquels se trouvent un grand nombre de doubles ; ce que M. Champollion n’a pu faire, faute du temps nécessaire, il serait à désirer qu’on le fit aujourd’hui. Il existe, comme nous l’avons dit, dans les divers monastères de l’Égypte, de nombreux manuscrits qui, tout en nous permettant de rectifier et de compléter la grammaire et le dictionnaire coptes, et d’acquérir ainsi une connaissance aussi exacte que possible de la langue égyptienne, seule clé des hiéroglyphes, nous offriraient assurément des documens précieux pour l’histoire politique et religieuse de l’Égypte depuis l’ère chrétienne, et peut-être pour l’histoire antérieure, des renseignemens importans sur la géographie, sur les croyances, les usages, les mœurs. Les résultats d’un voyage de recherches ne sont point incertains. La vallée du Nil présente à faire une ample moisson dans les trois dialectes de l’ancienne langue égyptienne ; moisson que le temps et l’ignorance appauvrissent chaque jour.
- ↑ Nous n’avons pas besoin de signaler à l’attention cet article d’un des hommes qui, par leur étude approfondie de la langue copte, sont du très petit nombre des juges compétens à écouter dans une question aussi difficile qu’intéressante. Nous voudrions surtout amener la critique savante à discuter devant un public moins restreint ces problèmes dont les conséquences historiques sont faites pour attacher tous les esprits éclairés. De quel intérêt ne serait-il pas d’entendre en un sens différent l’opinion des autres critiques compétens sur l’illustre Champollion, celle d’un Sacy, d’un Letronne ?(N. du D.)
- ↑ Voyez, dans la livraison du 15 décembre 1835, l’article sur Young, par M. Arago.
- ↑ Précis du Système hiéroglyphique, deuxième édition, pag. 22.