Les Heures claires, 1896/28

chez l’Éditeur Edm. Deman (p. 61-62).


Fût-il en nous une seule tendresse,

Une pensée, une joie, une promesse,
Qui n’allât, d’elle-même, au devant de nos pas ?

Fût-il une prière en secret entendue,
Dont nous n’ayons serré les mains tendues
Avec douceur, sur notre sein ?

Fût-il un seul appel, un seul dessein,
Un vœu tranquille ou violent

Dont nous n’ayons épanoui l’élan ?

Et, nous aimant ainsi,
Nos cœurs s’en sont allés, tels des apôtres,
Vers les doux cœurs timides et transis
Des autres :
Ils les ont conviés, par la pensée,
À se sentir aux nôtres fiancés,
À proclamer l’amour avec des ardeurs franches,
Comme un peuple de fleurs aime la même branche
Qui le suspend et le baigne dans le soleil ;
Et notre âme, comme agrandie, en cet éveil,
S’est mise à célébrer tout ce qui aime,
Magnifiant l’amour pour l’amour même,
Et à chérir, divinement, d’un désir fou,

Le monde entier qui se résume en nous.