Les Halles centrales de Paris



LES
HALLES CENTRALES
DE PARIS.


Il est un reproche qu’on adresse volontiers aux architectes de notre époque : c’est celui de n’avoir rien su innover, de faire des constructions solides, gracieuses peut-être, mais sans cachet, sans caractère distinctif. Jamais on ne restaura les vieux monuments avec plus de goût, avec plus d’entente : jamais on ne sut faire revivre avec plus de talent et de fidélité les errements des siècles passés, et les travaux exécutés dans ces dernières années à l’Hôtel de Ville, à la Sainte-Chapelle, à Notre-Dame, à Saint-Leu, à Saint-Étienne-du-Mont, sont des chefs-d’œuvre en ce genre. Ces restaurations habiles dénotent sans doute dans l’école actuelle une science profonde de l’histoire de la construction, de bonnes études archéologiques ; mais parmi les bâtiments sans nombre qui s’élèvent aujourd’hui à Paris et dans la province, en est-il beaucoup qui portent un caractère bien net, bien tranché ? En est-il beaucoup qui personnifient, pour ainsi dire, leur époque, comme la colonnade du Louvre et Versailles personnifient le siècle de Louis XIV, comme la Sainte-Chapelle personnifie le XIIIe siècle, cette ère féerique et brillante de l’architecture du moyen âge ?

Nous ne sommes point de ceux qui font à notre époque le reproche d’impuissance et de plagiat, et nous expliquons par un tout autre motif l’absence de caractère que quelques-uns signalent dans notre architecture. Notre siècle est essentiellement positif : il veut jouir et jouir vile. L’architecture a dû suivre le courant des idées du siècle, et, pour lui plaire, elle a lutté avec lui de vitesse et de confortable. Faire vite tout en faisant bien, rechercher l’économie dans la construction, la commodité dans les aménagements intérieurs, profiter des nouveaux éléments que la science et l’industrie mettaient à sa disposition, telle a été sa préoccupation constante. Sous la pression des idées modernes, poussée par le progrès qui marche toujours, l’architecture a revêtu une forme nouvelle : cette forme, c’est l’architecture industrielle, véritable type créé par le siècle, tel que l’ont manifesté les gares de chemins de fer et leurs dépendances, et dont les Halles centrales resteront, à notre avis, comme une des réalisations les plus complètes.

Parmi les moyens que l’architecte met en œuvre, les éléments qui prennent la première place sont assurément les matériaux, Leur rôle est d’autant plus important dans la construction d’un édifice, que leurs qualités, leurs dimensions, leurs propriétés étaient plus développées et définies à l’époque de la construction, et chez le peuple qui l’a conçue. Aussi, la nature des matériaux et le parti plus ou moins grand que la science et l’industrie savent tirer de ces éléments, influent-ils sur le caractère monumental de chaque époque, de chaque nation.

Les Athéniens construisaient leurs temples en marbre pentélique, dans un pays où les carrières de marine sont sous la main, où la fréquence des tremblements de terre faisait, de l’excès même de solidité, une des premières lois de l’architecture. À Rome, la plupart des monuments étaient en briques cuites : en France, la vogue est à la pierre de taille. Dans les pays où les bois abondent, l’architecture se distingue par la simplicité et une certaine apparence de légèreté, inséparable de cet élément végétal. Vienne le fer, avec ses dimensions si commodes, avec la solidité et la flexibilité que l’industrie perfectionnée de ces derniers temps a permis d’atteindre, et l’on verra s’ouvrir toute une nouvelle ère : les portées et les vides s’accroissent, on franchit sans soutiens intermédiaires des espaces considérables. Le pont de Britannia, en Angleterre, est jeté sur un bras de mer avec des travées de 130 mètres : en France, on couvre d’un parapluie de fer, aux Halles centrales, 20,000 mètres de superficie.

Qu’est-ce qu’une Halle, me direz-vous ? — J’ouvre le Dictionnaire de Bouillet, et je trouve au mot halle la description suivante : « Halle (en allemand halle, vaste emplacement, salle), c’est à proprement parler un lieu destiné à l’emmagasinement et à la vente d’objets d’une utilité première, qui s’y rendent par fortes parties, et presque toujours pour l’approvisionnement des magasins et des boutiques, où ces objets sont revendus en détail. Ainsi l’on dit la halle aux cuirs, la halle aux toiles, etc. Mais vulgairement on prend Halle comme synonyme de marché, et c’est alors, dans les villes un peu considérables, une place publique destinée à réunir toutes les marchandises et denrées, particulièrement celles qui servent à la vie, comme les légumes, les grains, etc. La plupart des halles sont closes et couvertes. »

L’origine des halles, en France, date du règne de Philippe-Auguste. Autrefois les cimetières et les marchés se touchaient ; souvent même le marché s’emparait, à jours fixes, du cimetière, et les pieds des vendeurs foulaient sans scrupule le sol bénit et les fosses de ceux qui n’étaient plus. Paris, pendant longtemps, suivit sous ce rapport la loi commune.

L’espace de terrain, actuellement occupé par les Halles centrales, ne fut d’abord qu’un vaste marécage, que la culture changea en prés, sous le nom de Champeaux, à l’époque où Lutèce tenait encore entière dans l’île de la Cité. Quand la population toujours croissante se vit forcée de passer la Seine pour chercher sur la rive droite sa place d’air et de soleil, les prés ne tardèrent pas à se partager en marché et en cimetière, ces deux nécessités premières de toute agglomération humaine, et les Champeaux devinrent, sous les auspices de sainte Opportune et plus tard des saints Innocents, un lieu spécialement affecté à la sépulture pour les morts, et au trafic pour les vivants. Cet usage, qui peut nous paraître à bon droit bizarre, mais qui alors semblait tout naturel, subsiste encore dans certaines provinces de France, et dans la plupart des cantons catholiques en Suisse. En 1183, Philippe-Auguste acheta des administrateurs de la maladrerie de Saint-Lazare une foire qu’il transféra au marché des Champeaux : pour donner aux vendeurs la facilité d’abriter leurs marchandises, il fit construire sur ce terrain des étaux couverts, y réunit les deux marchés qui se tenaient auparavant dans la Cité et devant l’ancienne église de la Madeleine, et entoura cet espace d’une muraille percée de portes qui se fermaient pendant la nuit. Telle fut l’origine de l’établissement qu’on nomme aujourd’hui les Halles.

Les Halles, qui portèrent longtemps leur nom primitif de Marché des Innocents, s’étendirent en proportion de la population qui venait chaque jour y chercher sa vie, et chaque siècle y marqua pour ainsi dire son empreinte par des améliorations et des accroissements successifs.

C’est en 1550, sous le règne de Henri II, que Pierre Lescot éleva, sur un terrain dépendant du prieuré des Innocents, une sorte de loge d’agrément, dont Jean Goujon fut chargé de faire la sculpture et les bas-reliefs. Cette loge se composait de trois arcades, dont deux arcades donnant sur la rue Saint-Denis, et une seule sur la rue aux Fers. Trois petites gueules de lions, isolées dans la hauteur du mur de terrasse, jetaient de minces filets d’eau. Ces trois arcades devinrent plus tard l’élément de la fontaine monumentale qui, après avoir occupé pendant longtemps le centre du marché, orne aujourd’hui le nouveau square des Innocents. Il est inutile d’ajouter que, dans ces transformations diverses, on a conservé avec soin l’architecture de Pierre Lescot et la sculpture de Jean Goujon.

En 1762, les magistrats de la ville de Paris acquéraient, en vertu de lettres patentes, et pour la somme de 28,367 livres, l’emplacement de l’ancien hôtel de Soissons, situé rue de Viarmes, et démoli en 1748. après la mort de Victor-Amédée de Savoie, son dernier propriétaire. Sur ces emplacements, la ville faisait construire un édifice destiné à la vente et à l’entrepôt des blés et des farines. Commencée en 1763, cette nouvelle halle, de forme circulaire, fut achevée en 1772, sur les dessins et sous la direction de Le Camus de Mézières. La face extérieure de ce monument a le caractère massif et solide des édifices destinés à l’utilité publique datant de la même époque. Elle est percée de 28 arcades au rez-de-chaussée, et d’autant de fenêtres qui éclairent l’étage supérieur. On monte à cet étage par deux escaliers, placés à égale distance l’un de l’autre, et très-remarquables par leur appareil. Chaque étage est couvert de voûtes composées en pierres de taille et en briques. La coupole, telle que nous la voyons aujourd’hui, fut élevée en 1812, sur les dessins de M. Brunet, habile architecte. Construite avec des fermes de fer coulé, et couverte de lames de cuivre, cette nouvelle coupole a remplacé l’ancienne charpente, détruite par le feu en 1802. Grâce à ce procédé, un pareil accident n’est plus à craindre.

En 1786, Louis XVI faisait élever, sur les dessins de Legrand et Molinos, la Halle aux toiles, vaste hangar qui, resserré par les rues de la Poterie et de la Petite-Friperie, s’allonge lourd et froid comme un monument funéraire, entre la rue de la Tonnellerie et le marché des Innocents.

À la même époque, une mesure de prudence faisait fermer le cimetière des Innocents. Depuis des années, ce foyer d’infection permanent, au centre d’un quartier populeux, avait ému les chefs de la salubrité publique. En 1785, à la suite d’un éboulement attribué à la dépression des corps dans les fosses, défense fut faite de continuer les inhumations. Au bout de quelque temps, le cloître ou portique à arcades qui entourait le cimetière fut démoli ; l’ancienne terre, fouillée profondément, fut transportée, avec les ossements qu’elle contenait, dans les carrières du sud de Paris, connues depuis sous le nom de Catacombes ; le sol, en grande partie renouvelé, fut pavé, et le marché put s’étendre de la rue Saint-Denis jusqu’à la rue du Marché-aux-Poirées et à la rue de la Lingerie. Au centre de la place, s’éleva la fontaine de Jean Goujon.

En 1813, on construisit tout autour de ce marché des galeries en bois pour abriter les marchands. Enfin, la Restauration marquait à son tour son passage aux Halles centrales par trois nouvelles constructions : le marché à la viande, entre les rues du Four, des Deux-Écus et des Prouvaires (1818), le marché au beurre (1822), dont le lourd bâtiment s’étendait en trapèze entre la rue de la Cossonnerie, la rue des Prêcheurs et la Halle aux poissons (1822) qui occupait remplacement de l’ancien pilori, dit Carreau de la Halle.

Telles étaient encore les Halles en 1848, et ceux qui les ont vues à cette époque se rappelleront longtemps ce fouillis de constructions hybrides, entassées, pressées pêle-mêle, cette agglomération informe de maisons irrégulières, de galeries à piliers, d’abris mal ordonnés, séparés par des rues étroites, des carrefours, des impasses, où les denrées s’étalaient à tout hasard, soit en boutique, soit en plein vent, soit même sur le pavé des rues. Puis, pour parvenir à ce dédale, pour le rendre plus inabordable et plus embarrassé encore, des rues sombres et allongées, où deux voitures de front passaient à peine : la rue de la Fromagerie, la rue du Marché-aux-Prouvaires, la rue de la Réale, la rue du Plat-d’Étain et tant d’autres ! Certes, c’était là un tableau saisissant, beau de désordre et de pêle-mêle ; le spectacle devait être unique, et plus d’une fois le poète et le philosophe ont pu y aller étudier des étrangetés de mœurs que notre époque ne connaîtra plus : le peintre y retrouvait une image du chaos, quelque chose des kermesses flamandes, du pandémonium de Milton ; les lourdes charrettes allaient et venaient, heurtant à chaque borne cet incroyable ramassis de bâtisses ; on ne voyait que marchands, chalands et portefaix, peuple bruyant, remuant, affairé ; tout cela se poussant, s’esquivant, et, pour couvrir le tout, les cris des boutiquiers, les clameurs du marché, les aboiements des chiens. C’est dans une promenade à la Halle, un matin, alors que la rumeur s’élève sonore et discordante, houleuse et babillarde, que notre grand compositeur Auber trouva, dit-on, une de ses inspirations les plus originales : ce chœur du marché, qui devait figurer un jour comme une belle page dans un de ses plus beaux opéras, la Muette de Portici.

Mais le chaos qui plaît aux poètes est à bon droit l’épouvante des hommes pratiques.

Là où le premier ne recherche que le pittoresque, les seconds recherchent surtout le commode et l’utile. Aussi, depuis longtemps, la nécessité de transformer un pareil état de choses avait frappé les yeux des chefs de la municipalité parisienne.

En 1811, un décret impérial avait décidé la reconstruction des Halles ; les événements politiques de 1812 et des années suivantes ne permirent pas de donner suite à ce premier projet. Ce ne fut qu’en 1842 que la question de reconstruction se présenta de nouveau, et fut étudiée sous ses divers points de vue par des commissions spéciales qui, en 1845, arrêtèrent un programme très-détaillé et impératif, d’après lequel deux architectes, MM. Victor Baltard et Félix Callet furent chargés par l’administration municipale de rédiger des projets. Six ans plus tard, M. Berger, préfet de la Seine, ayant approuvé les projets présentés par ces deux architectes, la première pierre des nouveaux bâtiments fut posée, en 1851, par le prince Louis-Napoléon, alors Président de la République.

À cette époque déjà, les métaux s’étaient introduits dans la construction, en augmentant chaque jour le domaine de leurs applications. Ce n’était plus seulement des combles d’édifices, des travaux de consolidation des parties principales, que l’on exécutait avec cette matière ; les gares de chemins de fer avaient donné une idée de ce que l’art pouvait attendre de l’introduction d’un nouvel élément dans l’architecture ; des ouvrages entiers, des tabliers de ponts, des planchers, des combles, des couvertures d’édifices érigés récemment à Paris et dans la province étaient là pour attester l’importance toute nouvelle des constructions en métal et les garanties que ce mode d’édification pouvait offrir comme solidité, commodité et élégance.

En faisant élever ce pavillon de pierre qui se voit en face de Saint-Eustache, on avait évidemment fait fausse route. Les architectes ne furent pas les derniers à le sentir et, à la suite d’une visite faite par l’Empereur sur le chantier, les travaux furent suspendus, le système de construction en pierre fut abandonné, et un nouveau projet, où la fonte et le fer formaient presque à eux seuls les éléments de tout l’édifice, fut présenté par MM.  Baltard et Callet à l’approbation de l’Empereur. On se mit aussitôt à l’œuvre, et, sous l’impulsion de M. Haussmann qui venait de remplacer M. Berger comme préfet de la Seine, le corps de l’Est, composé de six pavillons, ne tarda pas à sortir de terre.

Ce gigantesque travail, qui doit couvrir un jour quatre hectares de terrain, peut nous donner, tel qu’il est aujourd’hui, une idée de ce que sera l’ensemble du monument après son complet achèvement. Jamais cette alliance heureuse du confortable ci de l’élégance, de l’utile et du solide, n’aura été plus heureusement combinée dans une construction mieux entendue. Nulle part l’association étrange, au premier coup d’œil, de l’art et de l’industrie, n’aura rencontré une plus belle occasion de montrer ce qu’elle peut faire, avec l’aide d’interprètes habiles.

Disons tout d’abord que le but cherché a été complètement atteint. Sur ce vaste espace compris entre les rues de la Tonnellerie et de la Cossonnerie, de Rambuteau et de la Petite-Friperie, à la place de ce rendez-vous de halles et de marchés, constructions bizarres et disparates de tous les ordres, de toutes les époques, s’élèvent aujourd’hui six pavillons légers et aériens, véritable palais de foule et de cristal, uniforme sans être monotone, simple et élégant tout à la fois, d’une hardiesse rare, mais qui n’exclut point la solidité, cette première condition de toute architecture.

L’ensemble de cette immense construction, lorsqu’elle sera achevée, comprendra deux grands corps de halles, composé chacun de six pavillons. Le corps de l’Est est terminé ; le corps de l’Ouest, qui sera à peu près semblable au premier, est en cours d’exécution.

La Halle au blé, dont nous avons donné plus haut une description détaillée, subsiste dans le plan général, et formera pour ainsi dire la tête de l’ensemble des constructions. La forme circulaire de ce monument a obligé les architectes à donner la forme concave aux façades de deux pavillons qui relieront les Halles centrales à la Halle

VUE EXTÉRIEURE DU CORPS DE L’EST VUE DE LA RUE DE RAMBUTEAU.

au blé. Toutes les constructions encore existantes entre la rue de la Tonnellerie et la rue de Viarmes doivent donc disparaître un jour : par suite de cette nouvelle prise de terrain, les Halles, une fois achevées, couvriront un espace de 20,000 mètres par chaque corps de bâtiment, soit 40,000 mètres pour les douze pavillons. Et en faisant entrer dans le total le terrain occupé par les rues de service, et le pourtour, spécialement réservé au commerce et à la circulation, nous arrivons à une superficie de 80,000 mètres.

La Halle au blé, bien entendu, n’est pas comprise dans ce calcul, non plus que les deux îlots qui sont en avant. Cette partie des constructions sera occupée par l’administration, les corps de garde et les autres services.

Les douze pavillons seront numérotés par la gauche, à partir du no 1 jusqu’au no 12 ; la Halle au blé, comme nous l’avons dit plus haut, étant considérée comme tête de ligne, et formant à elle seule une œuvre à part, chaque pavillon aura sa destination spéciale, et le commerce y sera réparti de la manière suivante :

1o CORPS DE L’OUEST, EN COURS D’EXÉCUTION :
No 1. Viande de porc, charcuterie, triperie, issues de porc, en gros, demi-gros et détail. Ce pavillon comprendra en outre deux bancs de vente à la criée. Superficie 2,000m
No 2. Volaille et gibier, demi-gros et détail 2,000
No 3. Viande de boucherie, bœuf, veau, mouton, en gros, demi-gros et détail. Plus cinq bancs de vente à la criée. Ce pavillon contient 96 boutiques, desservies par environ 2,000 mètres courants de suspensions à crochets. Superficie 2,900
No 4. Volaille et gibier en gros, plus six bancs de vente à la criée. Superficie 2,900
No 5. Vente en gros, le matin, et vente en menu détail dans la journée, des fruits, verdure, fleurs coupées, plantes médicinales, gros légumes 2,270
No 6. Même destination que le pavillon précédent. Ces deux pavillons contiendront un total de 800 étalages mobiles. Superficie 2,270m
2o CORPS DE L’EST, TERMINÉ DEPUIS 1858 :
No 7. Vente en détail et en demi-gros des fleurs et des fruits. 330 boutiques à places fixes 2,270
No 8. Vente de la verdure. 330 boutiques à places fixes. 2,270
No 9. Vente en gros, à la criée, et en détail, de la marée, du poisson d’eau douée et de la saline, Ce pavillon contient 9 bancs de vente, 216 places fixes, et 40 étalages mobiles 2,900
No 10. Vente en gros, à la criée, des beurres, œufs et fromages. 2 bancs de vente 2,900
No 11. Vente en gros, demi-gros et détail, des huîtres. 4 bancs de vente, 60 places fixes 2,270
No 12. Vente en détail des beurres, œufs et fromages. 170 boutiques sont réservées à cette branche de commerce. Un même nombre de boutiques est réservé, dans le même pavillon, à la vente de la viande cuite, des pommes de terre, oignons, champignons, pains, ustensiles de ménage. Superficie 2,270
Ce qui nous donne pour les douze pavillons une superficie de 29,220
Et en y comprenant le terrain occupé par les rues couvertes, soit 10,780

Nous arrivons à un total général de
de terrain clos et abrité ; superficie qui se trouve doublée par les caves qui en occupent toute la partie inférieure.
40,000m
PLAN GÉNÉRAL.

Les deux grandes sections des Halles seront séparées par un boulevard de 32 mètres de largeur.

La pierre n’entre presque pour rien dans la construction des nouvelles Halles. Elle ne figure, dans ce vaste ensemble, que dans les murs de pourtour des caves et comme soubassement d’un mur de brique qui forme l’enceinte inférieure de chacun des pavillons.

La brique elle-même n’est visible qu’à l’intrados des voûtes des caves et dans le mur de revêtement, formé de compartiments blancs et rouges, soigneusement appareillé, et qui, sur une hauteur de 2m,60, réunit entre elles les colonnes de fonte.

Au-dessus de cette muraille commence le système de ventilation. M. Baltard, qui, depuis la mort de son collègue M. Callet, arrivée en 1855, était seul à diriger les travaux, avait là deux écueils à redouter. D’un côté, l’on pouvait craindre une température insupportable sous une toiture que les plans annonçaient comme devant être exclusivement de zinc et de verre. De l’autre, un système de ventilation mal entendu pouvait faire geler en hiver ces mêmes marchandes que la toiture métallique se chargeait de rôtir en été. M. Baltard s’est tiré heureusement de ce mauvais pas, et les dames de la Halle n’ont eu qu’à se louer des procédés, pleins d’égards, de leur architecte ordinaire.

L’air et la lumière entrent de toutes parts par des baies ouvertes tout autour de l’édifice. Seulement, pour rendre le courant moins rapide et ne pas permettre à la lumière de jouer avec trop de vigueur dans l’intérieur de l’édifice, ces baies ont été à demi fermées par des lames en cristal dépoli. Ce nouveau genre de persiennes a sur les lames de bois et de fer le double avantage d’adoucir les rayons solaires sans intercepter la lumière, et de donner à l’édifice un cachet aussi gracieux qu’original. Un vaste lanternon, muni, comme les baies, de vitres de cristal dépoli, couronne la toiture de zinc de chacun des pavillons. Grâce à la position oblique des lames de cristal qui ferment les baies inférieures, le courant ventilateur s’établit de bas en haut par les ouvertures verticales des lanternons, et la lumière, venue d’en haut par ces mêmes ouvertures, éclaire le centre des pavillons, qui aurait pu manquer d’air et de jour, sans cette heureuse prévoyance. Pour ajouter encore à cet ensemble de précautions, une double épaisseur de planches et de voliges sépare de la masse d’air de l’intérieur les feuilles de métal qui composent la toiture. Aussi, l’expérience de plusieurs étés a-t-elle constaté que l’intérieur des pavillons se maintenait en moyenne à deux ou trois degrés au-dessous de la température ambiante.

Si maintenant nous pénétrons dans l’intérieur des pavillons nous verrons apparaître partout ce même esprit d’ordre, d’élégance et de commodité qui nous a déjà frappés à l’extérieur.

De larges rues couvertes qui, à elles seules, occupent une superficie de près de onze mille mètres, relient les pavillons l’un à l’autre, et facilitent les transports, les déchargements et la circulation.

Dans les pavillons, munis d’étalages fixes, chaque marchande a sa boutique propre portant son nom et son numéro d’ordre ; le premier, écrit en blanc sur une plaque du tôle à fond bleu ; le second, placé au-dessus, et se détachant en blanc sur une rondelle peinte en rouge. Chaque stalle couvre environ deux mètres carrés : un treillage à larges mailles sert de séparation ; ce treillage est soutenu par d’élégantes colonnettes en fonte. Sur le devant, une plaque de marbre rosé forme l’étal et recouvre une sorte de cage à claire-voie et fermant à clef, qui peut au besoin servir de comptoir. Cette disposition est uniforme pour les pavillons réservés à la vente des volailles, du beurre en détail, des fruits et des légumes.

A la Halle aux poissons, le coup d’œil n’est plus le même. Quarante-deux groupes de tables de marbre sont disposés symétriquement sur un terrain égal à celui que mesure la rotonde de la Halle au blé. Chaque groupe de tables doit servir à quatre marchandes, stationnant au centre de chaque groupe de tables. On entre dans l’espace réservé par deux entrées ménagées sur deux faces opposées : cet espace est lui-même divisé en deux par un treillage de fer. De cette façon, chaque marchande se trouve avoir devant elle un comptoir de marbre à deux façades, dont elle occupe un des angles rentrants. Chacune de ces tables, posée en pente pour l’étalage du poisson et l’écoulement des eaux, est munie d’un robinet versant l’eau à volonté, et permettant de tenir l’étalage dans un état constant de fraîcheur et de propreté. Chaque place de vente pour le poisson d’eau douce est pourvue en outre de bassins alimentés d’eau courante, où le poisson peut séjourner vivant jusqu’au moment de la vente.

L’eau et le feu jouent un grand rôle dans l’aménagement intérieur des nouvelles Halles. Depuis longtemps l’expérience a démontré les inconvénients nombreux des fontaines jaillissantes, au milieu d’un marché. Les architectes ont sagement tenu compte de cette observation.

Huit fontaines sont établies dans les quatre pavillons d’angle de chaque corps de halles. Ces fontaines ne donnent l’eau qu’à volonté, et selon les besoins du commerce ou les exigences de la salubrité. Dans ce dernier cas, l’eau circule, suivant l’occurrence, soit sur le sol pour aider au lavage, soit dans des caniveaux couverts, pour l’écoulement journalier.

Si l’eau abonde, le gaz éclaire les moindres recoins de l’édifice. Autrefois les marchandes qui tenaient à y voir la nuit fournissaient elles-même la lumière : aujourd’hui, un vaste système d’éclairage permet de prolonger la vente longtemps après la chute du jour. Le nombre des becs de gaz qui éclairent le seul corps de l’Est n’est pas moindre de six cents : grâce à cette clarté tutélaire, les arrivages de nuit peuvent se pratiquer avec facilité, et l’heure n’est plus un arrêt pour le classement des marchandises. On a même pourvu aux illuminations des jours de fêtes.

Les canaux qui répandent à profusion l’eau et le feu dans cette vaste féerie de pierre et de fonte correspondent directement aux conduites principales des eaux et du gaz de la ville de Paris. Pour éviter une interruption dans le service des fontaines et des robinets des étaux, un réservoir central a été établi, lequel est assez vaste pour fournir d’eau tous les jets distributeurs des Halles, au cas où des réparations inévitables entraîneraient le chômage momentané des conduites principales. La réparation et l’entretien de ces canaux ne présentent du reste aucune difficulté : la canalisation générale ayant lieu par une longue série de tuyaux suspendus d’une manière apparente et facilement accessible aux voûtes des caves.

Ce mode de canalisation nous amène tout naturellement à parler de la partie souterraine de l’édifice, et ce n’est certes ni la moins bien entendue, ni la moins originale.

La masse des étrangers que chaque saison nouvelle amène à Paris, un grand nombre de Parisiens même ne se doutent pas que sous ces rues brillantes qui coupent en tous sens la ville immense s’étendent comme autant de rues sombres, merveilleuse complication de voies souterraines, qui, sous le nom d’égouts, de canaux pour le gaz, pour les eaux, pour les fils électriques, sont les véritables artères de la grande cité. Moins connues que leurs sœurs privilégiées qui s’étalent au grand jour entre deux lignes de monuments sans nombre, elles poursuivent dans l’ombre et sans bruit leur œuvre de philanthropie et d’hygiène : là vit une population à part qui a ses mœurs, son langage et son costume ; et celui à qui il serait donné de soulever tout d’un coup l’écorce qui recouvre cette ville souterraine et d’en souder à loisir les profondeurs méconnues n’éprouverait pas moins de saisissement que le voyageur qui découvre tout à coup une cité romaine sous les cendres du Vésuve. Comme le reste du sol parisien, les Halles centrales se composent de deux parties distinctes : l’une qui vit, qui se meut, qui s’élance et miroite à la lumière ; l’autre qui vit aussi, qui agit, mais dans une sphère inférieure. Conséquence de la première, celle-ci a, comme sa sœur, sa raison d’être et son importance : manquante, elle ferait obstacle au fonctionnement de l’ensemble ; par sa présence, elle l’équilibre et le complète.

Du reste, ne vous effrayez pas d’avance : la ville est souterraine, c’est vrai, mais l’accès est des plus faciles. Chaque pavillon a son sous-sol correspondant, creusé sous la même étendue : on y descend par de larges escaliers, à douces montées ; la lumière est distribuée sagement par des soupiraux munis soit de grilles, soit de vitres-dalles et par un nombre suffisant de becs de gaz. Des colonnes en fonte, écartées de 6 mètres de distance, soutiennent les voûtes, qui, dans l’endroit le plus massif, ne mesurent pas un mètre entre leur intrados et le sol du rez-de-chaussée, pour se réduire au milieu à moins de 0m,30. Ces voûtes, dites à arêtes, sont en brique légère, les arêtiers sont en fonte, le remplissage des reins en béton ; le tout appareillé avec un soin minutieux, a produit, avec le temps, un amalgame assez solide pour que les fardeaux, énormes qui l’éprouvent chaque jour ne l’aient pas ébranlé dans la moindre de ses parties. Dans toute l’étendue des caves s’élèvent symétriquement de petites loges en treillage de fer, portant chacune un numéro, correspondant au chiffre des loges supérieures. Ces cabines, largement aérées, servent de resserre aux marchandes, qui peuvent, en toute saison, y conserver fraîches leurs denrées et leurs provisions. Ces resserres sont au nombre de 1,200 pour les pavillons actuellement construits. Sous quelques-uns des pavillons, ce système de cabines est remplacé par diverses constructions à l’usage des services généraux. Ici, c’est un abattoir pour les marchandes de volailles ; là, c’est un atelier pour le lavage et la malaxation du beurre ; plus loin, des dépôts de paniers, un long réservoir d’eau courante, à compartiments fermés pour le poisson d’eau douce, des magasins de salines. Dans cette cave obscure se fait chaque matin, à la clarté de la chandelle, l’opération du mirage des œufs, opération délicate qui consiste à reconnaître à la transparence de la lumière si l’œuf est sain ou altéré ; c’est une spécialité que celle de mireur d’œufs, spécialité assez lucrative, paraît-il, ce qui surprendra moins quand on saura que les six cent mille œufs qui se vendent chaque jour à Paris doivent subir avant la vente cette redoutable épreuve. Personne n’ignore, du reste, qu’aucune des denrées, qui se consomment à Paris, viandes, volailles, gibier, légumes, champignons, n’échappe à la surveillance des experts-jurés, nommée par l’administration.

Tout a été prévu dans ce magnifique ouvrage : chaque partie concourt à la perfection de l’ensemble. Il ne s’est pas présenté un accident durant la construction, un inconvénient souvent, que l’architecte n’ait su convertir en une bonne aubaine. Des sources nombreuses avaient été rencontrées dans les travaux de défoncement ; loin de laisser se perdre dans le sol ces infiltrations, qui auraient pu nuire du reste à la solidité des travaux, on a eu l’heureuse idée de les colliger dans des réservoirs profonds ; une pompe, placée à l’orifice d’un de ces exutoires, élève dans une vaste cuve de tôle l’eau qui se trouve ainsi à la disposition des différents services. Cette disposition est surtout profitable à l’atelier de malaxation des beurres, pour lesquels l’eau de puits et de source est essentiellement convenable.

On a pris soin de prévoir dans ces caves l’établissement possible d’un chemin de fer. Ce projet, longtemps débattu, ne peut moins faire que de recevoir tôt ou tard une solution favorable. Des rues souterraines, placées au-dessous des rues couvertes, pourront mettre, à jour dit, les Halles en communication avec les voies souterraines du boulevard de Sébastopol : trois voies, deux d’arrivée, une de retour, aboutiraient directement à la gare de Strasbourg, et, grâce à la ligne de ceinture, amèneraient sous terre, au chef-lieu de la vente, les marchands et leurs produits. Il ne manque à cette ligne que les rails et les plaques tournantes, pour lesquelles des emplacements libres sont ménagés à chaque carrefour.

La dépense totale de la construction des douze pavillons des Halles s’élèvera environ à quinze millions. Le corps de l’Est a coûté huit millions ; on compte sept millions seulement pour le corps de l’Ouest, qui occupe une superficie moins étendue, en raison de la forme concave des deux pavillons qui seront dans le voisinage de la Halle au blé. Ce calcul porte le mètre de superficie à 380 francs environ, y compris toutes les constructions et tous les aménagements intérieurs, généraux et spéciaux.

Les travaux qui ont nécessité la dépense des huit millions, déboursés pour le corps de l’Est actuellement construit, peuvent se résumer ainsi :

90,000 mètres cubes de terre fouillée et enlevée ;
18,000 mètres cubes de béton ;
1,800,000 briques ;
600,000 kilogrammes de fonte pour les caves ;
200,000 kilogrammes de route pour colonnes et supports au-dessus du sol;
700,000 kilogrammes de fer pour fermes, arcs, châssis, grilles;
20,000 lames de persiennes en cristal dépoli.

Les travaux, commencés pour ce même corps en 1854, étaient terminés en 1857. Espérons qu’aucun obstacle ne viendra contrarier l’achèvement du second corps, dont un pavillon est déjà construit. Les charcutiers de la rue des Prouvaires sont installés provisoirement dans l’ancienne Halle aux draps; le marché des Prouvaires se démolit, un huitième pavillon s’élève à la même place.

Bonne chance au huitième pavillon, et aux quatre pavillons complémentaires qui doivent couronner ce grand œuvre !

VUE DES CAVES.