Éditions Édouard Garand (p. 185).

À MA GENTE LECTRICE


La campagne est silencieuse :
Je viens d’y finir les moissons
Avec aux lèvres des chansons.
Mais l’âme en peine et soucieuse.

Car par le chemin qui conduit
Le long de mes friches nouvelles,
Je vous ai vu songeuses, telles.
Que dès l’instant j’en ai déduit

Combien vous étiez lasse, lasse,
D’avoir ainsi par mes guérets.
Le cœur rempli d’amers regrets,
Promené votre aimable grâce.

Vous dites non.       Je n’y crois rien !
Vos jolis yeux aux pleurs en proie
Sous leurs longs cils d’ombre et de soie
Timidement disent très bien

L’effort qu’ils font, à chaque page,
Pour s’ouvrir et conserver mieux
Le souvenir trop ennuyeux
De mon terne et rude langage.

Qu’ils dorment dans leurs blancs écrins !
J’ai fini mes vers et ma prose,
Et, sur chaque paupière close
Pour mieux la sceller… mais je crains…

Je crains moins l’effet que la cause !
Et c’est pourquoi, je voudrais tant
Qu’en un long baiser palpitant
Sur elles ma lèvre se pose !