Éditions Édouard Garand (p. 55-57).


ÉBAUCHE


À M. l’Abbé Camille Roy,

Au savant littérateur.


Des toits ombreux et gris d’où monte une fumée,
Quand du parfum des champs la brise est embaumée,
Dans son calme rêveur qui lui vient de Dieu seul,
— Tel après les labeurs du jour s’endort l’aïeul —
Oh ! que j’aime revoir, caché dans le feuillage,
Le doux berceau que fut mon humble et cher village !
Au loin, sur l’infini du ciel le vieux clocher,
Semble plus que jamais vouloir se rattacher !
Nulle rumeur ; partout l’étrange solitude
De la nuit dont le cœur cherche la quiétude !
Les hommes, harassés reviennent lentement
Des labours, cependant qu’à l’horizon dormant,
Scintillante et lointaine une étoile s’allume
Et que vibre en cadence un dernier bruit d’enclume.
C’est le calme et la paix.     Dans son nid l’oiseau dort.
On dirait le village un vague et lointain port.
Seuls, s’attardant encor sur le bord de la route
Où le ruisseau tari dans quelque étang s’égoutte,
Des canards au col vert, au bec noir de purin,
Explorent les entours pour y trouver du grain.
Sur la côte, l’église en plein noroît se dresse.
Contre son mur, pour mieux en sentir la caresse,
C’est l’étroit cimetière où déjà bien des miens
Dorment sous le granit du sommeil des anciens.

Non loin, le presbytère avec ses blancs volets,
Son grand jardin, fleuri de jasmins et d’œillets,
Où Monsieur le Curé, récitant son rosaire,
Marche de son pas lent de septuagénaire.
Là-bas, se bifurquant en aval d’un coteau.
Un gai sentier conduit vers la rivière où l’eau
Mire le front poudré de quelque meunerie
Dont la blancheur de neige hante ma rêverie.
En deçà du moulin, au vent battant flamberge,
Une enseigne en fer-blanc marque l’unique auberge
De ce lieu que j’ébauche à traits irréguliers,
Comme on dessine, au soir, des portraits familiers
Dont l’évocation plus fidèle et touchante.
Soudain s’éveille en nous quand le souvenir chante.
Puis, c’est le faubourg même avec son doux aspect,
Son sourire amical, son air plein de respect,
Et dont chaque maison, ainsi qu’une promesse,
S’offre toute d’espoir, d’amour et d’allégresse.
Entre, passant.    La table est là pour recevoir
Ceux qui souffrent la faim. Du maître, le devoir
Est de donner toujours à quiconque réclame
La sainte charité pour le repas d’une âme.
Entre.    Et si tu n’as soif ou n’ose trop causer,
On t’offrira quand même un lit pour reposer :
Le lit le plus moëlleux, la chambre la plus chaude
Où nul bruit ne parvient quand la mère en maraude

Prépare le repas matinal pour les gens
Qui s’en iront aux prés soumis et diligents.
Entre.    Tu connaîtras sous ta misère accrue,
Le terrien de chez-nous penché sur sa charrue,
Qui, joyeux de l’espoir des futures moissons,
Travaille sans répit aux lèvres des chansons.
Tu penseras en toi combien grave et tenace,
De tous ces laboureurs est la puissante race,
Et, quand réconforté par ce bonheur des champs,
Tes pas te guideront vers de nouveaux couchants,
Tu béniras bien mieux, caché dans le feuillage,
Le doux berceau que fut mon humble et cher village !