Les Giboulées (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 155-156).


LES GIBOULÉES


À l’Occident, là-bas,

Des nuages montent par tas,
Des nuages couleur d’ardoise sombre.
Ils s’élèvent tel un grand vol
Et leurs ailes font circuler des ombres,
De lieue en lieue, au ras du sol.
L’averse choit sous la nuée,
Battant les toits et les auvents
Comme les grains le creux d’un van ;
Les bois, là-bas, avec leurs branches remuées

Balayent les airs, de loin en loin.


Avec ses bras géants, le vent du nord

La tord
Et la projette par rafales

Dans les jardins peuplés de bourgeons d’or ;
Tiges, pistils, rameaux, pétales

S’affalent ;
Elle déchiquette le blé nouveau
Et déchire le verdoyant manteau

Des espoirs neufs et des richesses végétales.


Les villages la regardent passer

Ainsi qu’une déroute ;
Les linges blancs qu’on sèche au long des routes
Sont balayés vers les fossés.
Des champs entiers, prés et broussailles,
Sont saccagés sous la mitraille,
Et les meules là-bas, dans le lointain,
Prises d’assaut jusques au grain

À travers l’or serré des gerbes et des pailles.


Mais voici le soleil qui là-haut reparaît ;

L’averse fuit et les fermes quand même espèrent
Avec un cœur tenace et profond et muet

Comme la terre.