Les Genêts (Fabié)

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Librairie A. Lemerre (p. 54-60).


Les Genêts


 
Les genêts, doucement balancés par la brise,
Sur les vastes plateaux font une houle d’or ;
Et, tandis que le pâtre à leur ombre s’endort,
Son troupeau va broutant cette fleur qui le grise ;

Cette fleur qui le fait bêler d’amour, le soir,
Quand il roule des hauts des monts vers les étables,
Et qu’il croise en chemin les grands bœufs vénérables
Dont les doux beuglements appellent l’abreuvoir ;


Cette fleur toute d’or, de lumière et de soie,
En papillons posée au bout des brins menus,
Et dont les lourds parfums semblent être venus
De la plage lointaine où le soleil se noie....

Certes, j’aime les prés où chantent les grillons,
Et la vigne pendue aux flancs de la colline,
Et les champs de bleuets sur qui le blé s’incline,
Comme sur des yeux bleus tombent des cheveux blonds.

Mais je préfère aux prés fleuris, aux grasses plaines,
Aux coteaux où la vigne étend ses pampres verts,
Les sauvages sommets, de genêts recouverts,
Qui font au vent d’été de si fauves haleines.




Vous en souvenez-vous, genêts de mon pays,
Des petits écoliers aux cheveux en broussailles
Qui s’enfonçaient sous vos rameaux comme des cailles,
Troublant dans leur sommeil les lapins ébahis ?

Comme l’herbe était fraîche à l’abri de vos tiges !
Comme on s’y trouvait bien, sur le dos allongé,
Dans le thym qui faisait, aux sauges mélangé,
Un parfum enivrant à donner des vertiges !

Et quelle émotion lorsqu’un léger frou-frou
Annonçait la fauvette apportant la pâture,
Et qu’en bien l’épiant on trouvait d’aventure
Son nid plein d’oiseaux nus et qui tendaient le cou !


Quel bonheur, quand le givre avait garni de perles
Vos fins rameaux émus qui sifflaient dans le vent,
— Précoces braconniers, — de revenir souvent,
Tendre en vos corridors des lacets pour les merles !







Mais il fallait quitter les genêts et les monts,
S’en aller au collège étudier des livres,
Et sentir, loin de l’air natal qui vous rend ivres,
S’engourdir ses jarrets et siffler ses poumons ;

Passer de longs hivers, dans des salles bien closes,
À regarder la neige à travers les carreaux,
Éternuant dans des auteurs petits et gros,
Et soupirant après les oiseaux et les roses ;


Et, l’été, se haussant sur son banc d’écolier,
Comme un forçat qui, tout en ramant, tend sa chaîne,
Pour sentir si le vent de la lande prochaine
Ne vous apporte pas le parfum familier…







Enfin, la grille s’ouvre ! On retourne au village ;
Ainsi que les genêts, notre âme est tout en fleurs,
Et dans les houx remplis de vieux merles siffleurs
On sent un air plus pur qui vous souffle au visage.

On retrouve l’enfant blonde avec qui cent fois
On a jadis couru la forêt et la lande ;
Elle n’a point changé, — sinon, qu’elle est plus grande,
Que ses yeux sont plus doux et plus douce sa voix.


— « Revenons aux genêts ! — Je le veux bien ! » dit-elle.
Et l’on va, côte à côte, en causant, tout troublés
Par le souffle inconnu qui passe sur les blés,
Par le chant d’une source, ou par le bruit d’une aile.

Les genêts ont grandi, mais pourtant moins que nous :
Il faut nous bien baisser pour passer sous leurs branches,
Encore accroche-t-elle un peu ses coiffes blanches ;
Quant à moi, je me mets simplement à genoux.

Et nous parlons des temps lointains, des courses folles,
Des nids ravis ensemble, et de ces riens charmants
Qui paraissent toujours sublimes aux amants,
Parce que leurs regards soulignent leurs paroles.

Puis, le silence ; puis, la rougeur des aveux,
Et le sein qui palpite, et la main qui tressaille,
Et le bras amoureux qui fait ployer la taille…
Comme le serpolet sent bon dans les cheveux !


Et les fleurs des genêts nous font un diadème ;
Et, par l’écartement des branches, — haut dans l’air, —
Paraît comme un point noir l’alouette au chant clair
Qui, de l’azur, bénit le coin d’ombre où l’on aime !

Ah ! de ces jours lointains, — si lointains et si doux ! —
De ces jours dont un seul vaut une vie entière,
— Et de la blonde enfant qui dort au cimetière,
Genêts de mon pays, vous en souvenez-vous ?