Les Gammes/L'Éternel dialogue
L’ÉTERNEL DIALOGUE
La mort du dieu Soleil pleure les longs midis.
Et l’astre du sommeil palpite aux paradis.
La langueur des lilas s’évapore en la brume :
Ô souvenirs d’amour que ma mémoire exhume !
Je hume au cœur des fleurs des parfums d’encensoir :
Ô l’essor par l’azur vers la lune du soir !
Un pêle-mêle ailé de pétales de roses
S’envole sous les vents vers le vaste horizon.
Déjà les doux baisers des lèvres demi-closes
Se posent aux splendeurs des seins en floraison.
De bleus et blancs remous de plumes de colombes
Se creusent sous les pas des pâles séraphins.
Les vierges vont ce soir prier parmi les tombes
Et sur leurs missels d’or enlacer leurs doigts fins.
M’énervent les soupirs, ô Femme que je rêve !
Et le long des lauriers sous la brise d’avril
Il me faut, au sanglot estival de la sève,
Tordre ton torse nu sous mon serment viril.
Car le vœu du viol m’envenime les veines,
Et du fond des massifs les sirènes du mal
Me leurrent de leurs voix vers les voluptés vaines !
Ô bouche ! ô croupe ! ô flancs de l’amour animal !
L’angelus proclamant la mort du crépuscule
Ulule en la vallée où le lunaire encens
Fume. Du ciel au sol l’ombre des nuits circule,
Et c’est l’heure, ô mon corps, de s’absoudre des sens.
Du mystère des monts à l’océan sonore
Va le vent qui plangore en l’or du soir pâli :
Ô rêve ! m’envoler vers les grèves d’aurore
Où se pâme en hurlant la houle de l’oubli !
Mourir, oh ! non, mon âme, au mois des moissons mûres !
Le sang surgit aux seins, la sève ouvre les fleurs,
Les pipeaux du désir vont rire en les ramures,
Et gloire au rose Eros, roi des zéphyrs siffleurs !
La Mort et non l’Amour est la mère des hommes.
Le soleil s’éteindra comme un mauvais flambeau :
Mais seule, dominant les siècles où nous sommes,
La Sphynge est là qui rôde aux portes du tombeau.
Le ciel est gris de neige ou sombre d’hirondelles,
Mais éternels sont vos baisers, amants fidèles !
Après les lits d’amour le linceul du cercueil
Et l’horreur du sommeil dans les terres de deuil.
Je renaîtrai, victoire ! en les roses ravies !
Ô les nuits et les jours et les morts et les vies !