Les GaietésAux dépens de la Compagnie (p. 37-39).


MISTIGRIS.



Il est certain personnage
Qui vit gaîment dans son trou,
Qui se cache comme un sage
Et se conduit comme un fou.
Quoique ce soit un bout d’homme,
Le beau sexe en est épris.
C’est Mistigris que je le nomme,
C’est Mistigris, c’est Mistigris !

Nos bigots en font un diable,
Mais ils l’adorent tout bas ;
Les inventeurs de la Fable
N’en faisaient pas moins de cas.
Le dieu qui tâtonne en route,
L’aveugle enfant de Cypris,
C’est Mistigris qui n’y voit goutte,
C’est Mistigris, c’est Mistigris !

Ses goûts n’ont rien d’équivoque,
Bien qu’on nous puisse assurer
Qu’il est sorti d’une coque
Où toujours il veut rentrer.

Mais l’hymen le vient-il prendre,
Adieu ses goûts favoris…
C’est Mistigris qu’on mène pendre ;
C’est Mistigris, c’est Mistigris !

Bien tempéré par l’Église,
Abélard devenu gras,
Voulut revoir Héloïse
Qui ne le reconnut pas.
— Rappelez-vous nos merveilles,
Dit l’amant, des plus contrits.
C’est Mistigris sans ses oreilles,
C’est Mistigris, c’est Mistigris !

Un jour, le petit profane,
Dans un féminin couvent,
Vient soulever la soutane
D’un prédicateur fervent.
Miracle ! crie une mère
À l’auditoire surpris,
C’est Mistigris qui monte en chaire ;
C’est Mistigris, c’est Mistigris !

L’école de notre ville
A cent médecins titrés,
Mais plus qu’eux il est habile
Et prend ailleurs ses degrés ;
Belle qu’agite un cœur tendre,
Pour voir tous vos maux guéris,
C’est Mistigris qu’il vous faut prendre ;
C’est Mistigris, c’est Mistigris !


Comme la gloire l’emporte,
À la guerre il s’en ira.
Quand d’une place un peu forte
Le siége l’achèvera,
Que son étui le repêche
Et porte ces mots écrits :
C’est Mistigris mort sur la brèche ;
C’est Mistigris, c’est Mistigris !