Les Gaietés/L’Ivresse du Pape

Les GaietésAux dépens de la Compagnie (p. 168-170).


L’IVRESSE DU PAPE.

Air : Sa Majesté n’a plus sa tête.


Au Vatican, mes très-chers frères,
Sachez, l’autre jour, qu’on soupa :
Le pape but quatre grands verres
D’un vin gascon qui le tapa ;
Ses yeux roulaient dans leur orbite,
Et tous les cardinaux surpris
Criaient : Versez de l’eau bénite !
Le pape est gris ! (quater.)

Paix ! dit-il, en brisant son verre,
Messieurs, notre règne est fini :
J’adresse ce soir à la terre,
Ma bulle In cœna domini.
L’ancienne, digne d’un Vandale,
N’excitait plus que des mépris :
La mienne sera libérale.
Le pape est gris !

Le purgatoire est une attrape,
Humains, n’y soyez plus trompés ;
Ce sont vos cierges, foi de pape,
Qui font les frais de nos soupers.

À quoi bon nous graisser la patte ?
Si vous saviez comme je ris
Quand on vient baiser ma savate !
Le pape est gris !

Que le peuple de la Romagne
De la dîme soit allégé ;
Que l’on ordonne au roi d’Espagne
De vendre les biens du clergé ;
Je fais ici défense expresse
D’abuser les pauvres esprits ;
Je ne veux plus que l’on confesse…
Le pape est gris !

Ganganelli fut un brave homme,
Je veux valoir ce gaillard-là ;
À mon tour, je veux purger Rome
Du noir bourbier de Loyola.
Carmes, capucins que l’on parte ;
Du forum les droits sont repris :
Dès demain je donne une charte !
Le pape est gris !

Mais non, plus même de couronne :
Des deux clefs je suis dégoûté ;
Je vais en France où l’on raisonne,
Et j’y veux être député.
Des abus que là-bas on fauche,
Pour qu’il ne reste aucun débris,
J’irai m’asseoir au côté gauche !
Le pape est gris !


En disant ces mots, le Saint-Père
Voulut s’asseoir, et trébucha ;
Puis il tomba le cul par terre,
Et puis après on le coucha.
Ce matin, sur deux cents visites,
Il n’a reçu, j’en suis surpris,
Que le général des jésuites…
Il n’est plus gris, (quater.)