Les Fredaines amoureuses d’Ange Dumoutiers/Texte entier
AVERTISSEMENT
Le succès obtenu par Une nuit orageuse, dont six éditions viennent d’être enlevées en moins d’un mois nous a décidé à faire suivre de près la publication des Fredaines amoureuses d’Ange Dumoutiers.
Actuellement les pièces du théâtre naturiste se jouent à Paris, en Chine, à Chicago, au Kamchatka avec un entrain sans pareil et sont appréciées comme le sera généralement tout ce qui est l’expression de sensations vécues et non simplement rêvées par des imaginations surexcitées.
PERSONNAGES.
ANGE DUMOUTIERS, seize ans, air ingénu, mais jolie moustache au menton.
MADAME DE REGNETTE, trente-cinq ans, brune… encore fort jolie quoiqu’un peu grassouillette.
La scène se passe dans un appartement confortablement meublé.
LES FREDAINES AMOUREUSES
D’ANGE DUMOUTIERS
SCÈNE PREMIÈRE
(Le théâtre représente un petit salon tendu de peluche
gris ardoise avec cordes de soie rubis. — Rideaux
et portières en satin rubis. — Fauteuils moelleux de
formes variées. — Éclairage doux et mystérieux, jour
tamisé par des stores bouillonnes en soie rose. Des
fleurs dans tous les coins. — Dans l’atmosphère flotte
un pénétrant parfum. — Paresseusement allongée sur
une chaise longue, Madame de Regnette, en déshabillé
de cachemire rose tout coquillé de dentelles, lit attentivement
une lettre et monologue.)
Ce pauvre Ange ! Comme si je n’avais pas depuis longtemps deviné qu’il grille d’envie de recevoir sa première leçon d’amour… Il m’aime… évidemment… Il m’adore… oui, oui, connu… Ce qu’il adore en ce moment, ce n’est pas une femme, ce sont les femmes en général. Ah ! cela lui serait indifférent une brune, une blonde… à la rigueur une femme en caoutchouc entretiendrait son zèle… Ah ! mon Dieu ! mais il est absolument fou. Ne propose-t-il pas de m’épouser ? pour avoir, dit-il, le droit de m’exprimer sans réserve les sentiments dont son cœur est oppressé, oh ! là là !… Comme si le mariage était nécessaire pour en arriver là… (Continuant à lire, Madame de Regnette interrompt son monologue, puis le reprend.) Tiens, il va venir. Attends, je viens !… Il veut savoir si je ne suis pas trop courroucée et se soumettre au châtiment dont je jugerai à propos de punir sa hardiesse. Ah ! mais certes, il va être malmené, ce gamin… Il a peut-être quinze ans ! Comme si une femme de mon âge ?… c’est absurde… En Angleterre on donne encore le fouet à ses contemporains… Nous avons perdu le sens commun chez nous de vouloir faire des hommes de ces moutards dès qu’ils sont sevrés.
puis se met à rire toute seule.)
Ce doit être drôle cependant d’étudier les sensations d’un… novice… de l’initier… d’en faire un homme… un homme qui sache aimer… c’est rare… Actuellement… on aime… mais… on ne sait guère exprimer ses sentiments.
domestique introduit Ange Dumoutiers.)
un regard anxieux sur sa lettre gisant sur le tapis.)
Madame !… Oh ! vous m’en voulez de ma hardiesse !… Soyez indulgente.
Je devrais vous tenir rigueur, en effet. Mais vous êtes si jeune ! Mieux vaut parler raison.
Si jeune !… J’ai dix-huit ans.
Il se vieillit à présent… Comme cela changera dans vingt ans. Cette rage d’avancer dans la vie ! (Se retournant vers Ange.) Bien sûr ?
Cela se voit bien, je ne suis plus imberbe.
Je vois effectivement une belle petite moustache !… Est-elle à vous ?
Pouvez-vous en douter !
Je suis plus incrédule que St. Thomas. Il ne me suffit pas de voir, il faut que je touche… Approchez…
Ah ! vous n’êtes plus fâchée… vous êtes bonne !
Voyez donc Bébé qui vient faire son câlin. (Elle le dodeline.)
Bébé, vous serez puni.
Tout ce qu’on voudra, mais quand j’aurai péché.
Angelot ! je veux vous confesser… ne mentez pas… Jamais ?… jamais ?…
Non, jamais !
Pas même avec la femme de chambre de maman ou la cuisinière du collège ?
Madame ! j’ai d’autres aspirations, croyez-le bien, que des amours d’office.
Ah ! vraiment !… et comme nous voudrions bien ne pas conserver ad vitam æternam nos droits à une couronne de fleurs d’oranger, on s’avise d’en vouloir à la vertu de sa veille amie… Mais songe donc, Ange que quand tu es né j’étais d’âge à me marier.
Je vous aime ! bien vrai.
Et moi aussi… je t’aime, bébé. Seulement…
Dites oui, ah dites ! voulez-vous ?
Quoi ?… Je ne te comprends pas.
Si, vous comprenez… heureusement, car je n’oserais jamais vous dire…
Si vous n’avez rien à me dire, pourquoi venir auprès de moi ?
Pour apprendre de vous à donner le bonheur à une femme, à le recevoir d’elle… pour savoir le sens caché dans ce mot magique : Volupté ! Pour devenir un homme, enfin !
Mais je suis bien plus âgée que toi, je viens de te le faire remarquer, mon cher Ange.
Et que font les années si vous êtes belle ! si je vous aime… Soyez mienne, je vous en supplie, jamais vous n’aurez eu d’esclave plus soumis, plus dévoué…
Bébé, viens ici et parle-moi tout bas : Dis… tu voudrais… apprendre à aimer ?
Oh oui !
Seras-tu bon élève ?
Mettez-moi à l’épreuve.
En ce cas, ferme le verrou.
SCÈNE II.
(Chambre très élégante. Stores roses baissés. — Dans un coin une chaise longue de forme anglaise. Une glace lui fait face. Un lit majestueux et très bas est posé sur une marche de velours. Porte à droite ouvrant sur un cabinet de toilette. — Madame de Regnette, sans affectation, comme en jouant, a entraîné le jouvenceau près de la chaise longue ; elle lui passe le bras autour du cou. Ange, de plus en plus ému, mais aussi très intimidé, ne dit mot et ne bouge pas.)
Et puis ?
Ah ! je t’aime !
Alors prouve-le-moi en ne restant pas là comme une statue.
Ayez pitié de moi, et au lieu de me gronder, aidez-moi…
Au fait, c’est une leçon qu’il te faut… Mon chéri, viens la prendre… et commence par savoir déshabiller adroitement la femme qui se laisse faire. Tiens, on lui dénoue ainsi tout gentiment son corsage.
Oh ! le brusque garçon… ces choses-là se font entre deux baisers…, Allons, voyons… tes lèvres sur les miennes, là… pendant que tes mains repoussent les voiles.
Mais je vais avoir froid si tu ne me réchauffes. Tes lèvres doivent me tisser une cuirasse de baisers pendant que tes mains enlèvent mon corset… Tiens… comme cela.
Il n’y a pas si longtemps que tu as dit adieu à ta nourrice. Souviens-toi de ce que tu faisais… et agis de même.
d’un entre ses lèvres.)
Doucement… roule-les sous ta langue, bien amoureusement, avec des lenteurs savantes.
Là… là… fait-elle. Ce petit bouton… suce-le, mon cher adoré, comme tu l’as fait pour mes seins.
Assez… assez… dit-elle enfin. Viens… viens jouir avec moi… mon amour… nous mourrons ensemble… Je veux partager cette première sensation… viens.
Ah !… je suis un homme.
Oui, et même un homme qui donnera, quand il le voudra, du bonheur à l’aimée du moment.
Et maintenant, au moins, je sais… comment on doit exprimer son amour !
Tu sais… une façon de s’y prendre.
Il y en a d’autres ?
Trente-trois, mon ami ! une de plus que pour accomoder les pommes de terre, lesquelles façons cependant se réduisent à cinq bonnes.
Je voudrais savoir…
Va dans mon cabinet un moment et nous en reparlerons.
Viens… couchons-nous.
clitoris, et seconde Ange.)
Va, mon chéri… va plus vite… là arrête, tu vois bien… comment mon doigt agit… suis son indication… Maintenant plus lentement… C’est ce petit monticule rose que je chatouille qui est le clef du spasme amoureux, il donnera le signal. Va… mais va donc plus vite… que diable !
Allons, bon… j’étais au moment de partir… Remets-toi… Voyons, bébé, mieux que ça.
(Ange reprend son poste et le voyage à Cythère se termine sans encombres. Un silence profond règne un moment dans l’appartement, puis une voix murmure : Et la troisième manière ?)
Oh ! le gourmand qui veut tout apprendre d’un coup.
Oui.
dont elle saisit le priape déjà dressé, prêt à
expérimenter.)
Ne te lève pas, chéri, tiens comme cela… couché… à la paresseuse… Doucement… attends, quand je te dirai… Ah !… tiens, ça vient, va… va… je t’aime.
poitrine contre poitrine, c’est bien meilleur.)
Tu as raison… Tiens, vois, comme ça.
Comme ça, à la bonne heure… C’est délicieux, exquis… Ah ! je meurs…
Angelot, levons-nous, l’heure du dîner approche.
Que c’est joli, une femme.
Est-ce si joli que cela !
de la grotte de Cythère.)
Oui, oui… c’est joli, joli, et je t’aime… ah ! je t’aime !… Tiens, tiens, vois… si je ne t’adore pas.
Veux-tu connaître la cinquième ?
d’enfant, fait signe qu’il est prêt à tout.)
En ce cas, reste debout.
Va, maintenant. Là… enfonce… pénètre au plus profond de mon être… Sens-tu comme je te serre.
Oui, oui… Oh ! je t’adore, ma belle maîtresse… Oh ! oh ! je meurs…
(Ange, ayant appris la cinquième manière et absolument épuisé, passe dans le cabinet de toilette où il se rhabille. Dans sa chambre. Madame de Regnette en fait autant.)
SCÈNE III.
Sais-tu, ma chère aimée, que ta cinquième leçon a été bien douce.
Et la quatrième ?
Exquise.
La troisième ne vaut-elle rien ?
Elle a du bien bon.
Et la deuxième ?
Ne le cède en rien aux autres.
La première t’a-t-elle déplu ?
Elle m’a ouvert la porte du ciel.
Pour les besoins des faiseurs de livres et de tableaux, il en a été inventé d’autres, mais souviens-toi, bébé, que la vraie science de la volupté les repousse pour la plupart, ainsi que toute pratique qui ne borne pas son action au terrain affecté par la nature aux exercices de l’amour. Le reste des raffinements vantés est l’expression d’un cerveau malade et non celle d’êtres jeunes, aimant physiquement et avides de jouir.