Les Français du Canada

Les Français du Canada
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 3 (p. 278-304).

LES FRANCAIS


DU CANADA.





Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours, par M. F.-X. Garneau ; 3 vol. in-8o, Québec 1852.




On a dit souvent et l’on répète tous les jours que les Français ne savent pas coloniser. Dans notre nation, composée de tant d’élémens divers, on affecte de voir un peuple léger, mobile, à la façon de celui d’Athènes, prompt à s’enflammer pour une entreprise hasardeuse, héroïque le plus souvent, mais trop vite rebuté par les obstacles qui s’opposent à la rapide exécution de ses projets. Ce jugement nous parait injuste ; il permet de supposer chez ceux qui l’expriment une connaissance imparfaite de l’histoire. En admettant qu’il y ait dans le caractère de la nation française, prise en masse, un fonds de mobilité, peut-on reprocher ce défaut aux Normands, aux Bretons, aux Basques, qui formèrent, avec les habitans des côtes de la Guyenne et de la Saintonge, le noyau de nos colonies ? Si la France n’avait eu ni le génie des entreprises commerciales, ni l’esprit de colonisation, on ne l’aurait pas vue, la première, explorer les solitudes de l’Amérique du Nord, occuper les Antilles, former des comptoirs en Asie et en Afrique, bâtir des forts sur tous les points du globe. N’avait-elle pas eu le premier rôle dans les croisades, qui furent les grandes expéditions du moyen âge ? Certes, l’énergie, la persévérance, l’opiniâtreté même, ne manquèrent pas aux pionniers qui, au milieu de tant de vicissitudes, campèrent sur les bords du Saint-Laurent, des grands lacs, de l’Ohio, du Missouri, du Mississipi, et dans les territoires de l’ouest, où on les retrouve encore. Ils ne se laissèrent pas abattre par les difficultés incessantes qu’ils rencontrèrent, ces Normands, ces Bretons, hommes de fer et capables de supporter tous les climats, eux qui chassaient, commerçaient, défrichaient le désert depuis la baie des Chaleurs jusqu’au Mexique, préparant ainsi à leur pays tout un continent auquel on put un jour donner le nom de Nouvelle-France.

Reconnaissons donc que la France possédait dans les populations diverses qui se sont partagé son territoire, — et dont elle a su faire la nation la plus homogène de l’Europe, — tous les élémens qui pouvaient concourir à son agrandissement dans le Nouveau-Monde. On a reproché aux premiers explorateurs de s’être laissé dominer par l’ardeur des aventures, qui est le trait distinctif du caractère national. En plus d’une occasion, les gentilshommes auxquels furent confiés les intérêts et la direction de nos établissemens d’outre-mer, poussant droit devant eux, l’épée à la main, reculèrent les limites de nos possessions sans avoir les moyens nécessaires pour consolider leur conquête. Le mal n’eût pas été grand et ces entreprises auraient même tourné à l’avantage de la métropole, si celle-ci se fût occupée plus activement d’envoyer des colons derrière eux ; mais à cette époque la France n’était point surchargée de population, le nouveau continent, à peine découvert et dont on ne parlait guère ailleurs que dans les provinces maritimes, n’attirait pas encore les émigrans. Quelque misérable que fût au XVe et au XVIe siècle le sort des paysans, le sentiment de la patrie les attachait au sol. Un colon de l’Acadie, qui écrivait au XVIIe siècle, Lescarbot, fait cette judicieuse et consolante remarque dans ses Mémoires : « Si l’on ne réussit pas (et on ne réussit jamais en Acadie), il faut l’attribuer partie à nous-mêmes, qui sommes en trop bonne terre pour nous en éloigner et nous donner de la peine pour les commodités de la vie. » Il dit vrai, le naïf écrivain. La population de nos villes et de nos campagnes n’est pas si tourmentée du besoin d’acquérir les commodités de la vie, qu’elle consente à s’expatrier. Cependant il a pu remarquer aussi, lui qui fut un vrai colon, intelligent et courageux, combien les Français se façonnent aisément aux exigences d’un climat nouveau : cette facilité d’acclimatation témoigne d’un esprit actif et prompt à se créer des ressources, et ce sont là des finalités sans lesquelles on ne peut mener à bien la colonisation.

Quand la France s’occupa de fonder des colonies à l’exemple de l’Espagne et du Portugal, elle n’était point en mesure de fournir des émigrans à ses nouvelles possessions. La prospérité de ces colonies naissantes, considérables par leur étendue, mais pauvrement peuplées, intéressait l’avenir plus que le présent. Cet avenir, quelques hommes de génie surent le deviner. Malheureusement pour ces établissemens lointains, ce fut précisément durant les deux siècles qui suivirent la découverte de l’Amérique que la France se sentit de plus en plus attirée dans les voies nouvelles où elle a marché jusqu’à ce jour avec des chances diverses et à travers bien des transformations. À chaque guerre qui éclata en Europe, la France dut concentrer toute son action sur le continent, quitte à abandonner momentanément le soin de ses colonies, ce qui arriva trop souvent, comme on le verra en étudiant l’histoire du Canada. François Ier n’eut ni le loisir ni le pouvoir de soutenir les établissemens d’outre-mer, qu’il encouragea toutefois à diverses reprises. Plus heureux que lui, Richelieu, qui avait eu la joie de voir la maison d’Autriche abaissée, songea à l’élever du même coup la marine, le commerce et les colonies, qui sont une seule et même chose. Après Richelieu, Louis XIV, tout glorieux que fut son règne et même à cause de son éclat, ne sut pas maintenir à ces possessions d’outre-mer la prospérité qu’il leur avait d’abord assurée. Il détourna la France des expéditions lointaines en fournissant un aliment plus prochain à ses ambitions et à son ardeur guerrière ; enfin, en l’entraînant dans une guerre ruineuse, mais gigantesque, il lui révéla le secret de ses destinées. La nation française, si prompte à s’élever à la hauteur des grands hommes qui la gouvernent, ne renonça point à l’idée de dominer sur l’Europe. Le faible gouvernement qui laissa la France s’allanguir au milieu du XVIIIe siècle acheva la destruction des colonies, qui avaient cessé d’occuper l’esprit public, si ce n’est par intervalles, et pour la ruine du plus grand nombre. Sous le règne de Louis XV, le Canada nous fut définitivement enlevé ; de braves colons, que n’avait point atteints la démoralisation générale et qui avaient si bien mérité de leur pays, perdirent leur nationalité. Séparés à jamais de leur patrie, ils en ont conservé un pieux souvenir, ils en ont obstinément gardé la langue, les traditions et même l’esprit. Récemment même a paru à Québec une histoire complète du Canada, écrite dans notre langue et empreinte de ce sentiment de sympathie filiale pour la France. C’est ce livre curieux à tous égards et plein de documens précieux qui nous fournit le sujet de cette étude. Il ne peut manquer d’être lu avidement par les voyageurs, assez nombreux aujourd’hui, qui visitent les bords du Saint-Laurent. Ceux qui ne connaissent ni le Canada ni ses habitans ne pourront se défendre, nous l’espérons, de ressentir de l’affection et du respect pour ce petit peuple soumis à de si rudes épreuves, et qui, séparé de nous par des événemens sur lesquels il n’y a plus à revenir, témoigne de la vitalité de notre nation dans le Nouveau-Monde, comme aussi de son aptitude à s’implanter sur un sol étranger.


I

L’histoire de nos établissemens au Canada s’ouvre par une double lutte des hardis émigrans qui s’y installent, d’une part contre l’indifférence de la métropole, de l’autre contre les peuplades indigènes et les colonies rivales. S’il convient de laisser au Vénitien Sébastien Cabot l’honneur d’avoir découvert les côtes de l’Amérique septentrionale depuis la Floride jusqu’au Labrador, il faut reconnaître aussi qu’il fut suivi de près par nos marins. À la tête de l’expédition dont Henri VII d’Angleterre lui avait confié le commandement, Cabot visita ces parages en 1497, et, trois ans après le voyage du navigateur vénitien, — à l’époque où le Portugais Cortereal explorait ces mêmes rivages, — les Bretons, les Normands, les Basques, disent des documens anciens, pêchaient déjà la morue sur le banc de Terre-Neuve et sur les côtes du Canada. Un peu plus tard, en 1518, un Français, le baron de Léry, tenta de fonder un établissement dans le nord de l’Acadie, aux lieux que fréquentaient le plus volontiers nos bâtimens pêcheurs : son projet échoua. En 1523, le Florentin Verazzani, envoyé par François Ier, mit à la voile avec la Dauphine, qui portait cinquante hommes d’équipage, toucha les côtes de la Floride et remonta jusqu’au 50e degré de latitude nord. La triste fin de Verazzani, qui périt à son troisième voyage, les guerres d’Italie et la captivité de François Ier empêchèrent les Français de former aucune entreprise de colonisation jusqu’en 1534.

À cette époque, l’amiral Philippe de Chabot, voyant le succès des Portugais et des Espagnols dans l’Amérique méridionale, proposa au roi de reprendre ses desseins sur le Nouveau-Monde. Les pêcheries considérables que nos navigateurs avaient établies sur les côtes de Terre-Neuve devaient servir de noyau aux colonies futures. Jacques Cartier s’embarqua, avec une soixantaine de Malouins, sur deux petits bâtimens. Poussé par un vent favorable, il atteignait Terre-Neuve en vingt jours. Dans un second voyage, il découvrit le Saint-Laurent, qu’il reconnut jusqu’à Montréal. Cette fois il avait quitté Saint-Malo à la tête d’une petite escadre de trois navires portant ensemble cent dix hommes ; des gentilshommes bretons l’accompagnaient en qualité de volontaires, et l’évêque, revêtu de ses habits pontificaux, avait béni ces pieux et hardis aventuriers après une messe solennelle « à laquelle ils avaient tous communié très dévotement. » L’expédition hiverna au Canada, au pied de la bourgade indienne nommée Stadaconé, et qui devint la belle et forte ville de Québec. Les naturels accueillirent partout les Français avec des marques de respect. Ils baisèrent les bras de Jacques Cartier, qui leur apparaissait comme un personnage extraordinaire. À Hochelaga (Montréal), ils lui présentèrent les malades et les infirmes pour qu’il les touchât de ses mains, et le chef indien lui offrit le bandeau de fourrure rouge, simple diadème qui ceignait son propre front. Toutefois la rigueur du climat et le scorbut, qui ne tarda pas à se déclarer parmi les Français, réduisit la petite troupe de Jacques Cartier aux plus tristes extrémités. Au mois d’avril de l’année suivante (1535), vingt-six hommes avaient succombé. Cartier, contraint d’abandonner un de ses navires au Canada, fit voile pour la France aux premiers jours du printemps.

La guerre s’était allumée de nouveau entre François Ier et Charles-Quint, et pour la seconde fois on oublia des explorations qui avaient livré à la France une vaste étendue de territoire propre à la colonisation. Il en fut ainsi jusqu’en 1763 en ce qui touche le Canada. Chaque fois que la France se trouva engagée dans les grandes guerres qui éclataient en Europe, le contre-coup s’en fit sentir en Amérique d’une façon désastreuse. L’insuccès de ces tentatives avait refroidi les esprits. Le Canada, disait-on, était un pays insalubre, couvert de neige pendant six mois, dans lequel on ne trouvait ni or ni argent. Cependant François Ier ne renonçait pas facilement à ses desseins : sa vie entière en fournit la preuve. En 1540, François de La Roque, seigneur de Roberval, gentilhomme picard, obtint le gouvernement des contrées déjà découvertes ; Cartier fut choisi pour commander l’escadre et y transporter des colons. Malheureusement ils durent interrompre leur tâche, à peine commencée. Trois ans après leur départ, le roi faisait revenir en France le gouverneur Roberval et ses compagnons ; il voulait utiliser la valeur de ce gentilhomme et son influence sur les populations de la Picardie, qui allait devenir le théâtre des hostilités.

À la paix (1545), Roberval, qui s’était illustré sur les champs de bataille pendant ces deux années de séjour en Europe, organisa une nouvelle expédition. Il prit avec lui son frère, que le roi François Ier appelait volontiers le gendarme d’Hannibal, comme il surnomma François de Roberval lui-même le petit roi de Vimeux {son pays natal). Les deux Roberval partirent en 1549, la troisième année du règne d’Henri II ; ils périrent avec tous leurs compagnons sans qu’on ait jamais entendu parler d’eux. Pour la quatrième fois, on oublia le Canada et toute l’Amérique. Douze ans plus tard, l’amiral Coligny obtint de la cour la permission d’établir des huguenots à la Caroline. La petite colonie existait depuis trois ans déjà lorsque Philippe II, sous prétexte que ce territoire relevait de sa couronne, la fit attaquer par une flotte de six vaisseaux aux ordres de don Pedro Menendez. Surpris dans leur fort, les Français furent massacrés froidement par les Espagnols avec leurs femmes et leurs enfans ; ceux qui échappèrent, ayant été faits prisonniers presque aussitôt, furent fusillés et pendus, sous prétexte qu’ils étaient hérétiques et ennemis de Dieu. Catherine de Médicis n’avait point paru ressentir cet affront, mais la nation tout entière aspirait à la vengeance. Un gentilhomme gascon, Dominique de Gourgues, bon catholique, se chargea de châtier les Espagnols. Il avait de la rancune contre eux. Fait prisonnier par les troupes de Charles-Quint à la suite d’un engagement où tous ses soldats avaient été tués, de Gourgues s’était vu jeté sur une galère. Pris par les Turcs peu de temps après, les chevaliers de Malte l’avaient enfin délivré de cette double captivité. Homme de guerre distingué, excellent marin, il se met en tête d’aller en Caroline venger le massacre de ses compatriotes. Il vend tout son bien, arme trois navires, enrôle quatre-vingts matelots et cent cinquante hommes de guerre, la plupart gentilshommes, et cingle vers Cuba. De là, tout son monde se trouvant réuni, il se transporte sur les côtes de la Caroline. Les trois forts élevés par les Espagnols sont pris et les garnisons détruites. Les prisonniers ayant été amenés sur le lieu où Menendez avait fait graver ces mots : Je ne fais ceci comme à des Français, mais comme à des luthériens, — de Gourgues les fit pendre avec cette inscription : Je ne fais ceci comme à Espagnols, mais comme à traîtres, voleurs et meurtriers. Coup de main hardi, fait d’armes glorieux, s’il n’eût été accompagné d’odieuses représailles !

La cour de France, on le voit, subordonnait ses entreprises d’outre-mer aux affaires qui l’occupaient sur le continent. François Ier était jaloux des agrandissemens de l’Espagne, de l’influence prestigieuse de cette puissance contre laquelle il luttait plutôt en chevalier qu’en habile politique. Il eut trop peu de succès dans les grandes guerres qu’il conduisait en personne pour qu’il lui fût possible de mener à bien de lointaines expéditions. Les entreprises qui eurent lieu sous son règne et sous les suivans émanaient moins de la cour que des villes maritimes, des provinces du littoral, représentées par un gentilhomme comme Roberval ou par un marin comme Jacques Cartier. Cependant elles avaient besoin d’être appuyées par le gouvernement pour porter des fruits. Le coup de main hardi exécuté par de Gourgues contre les Espagnols de la Floride est une nouvelle preuve de l’esprit d’indépendance qui animait à cette époque tant de gentilshommes intrépides. Ces aventuriers audacieux, même quand ils avaient en vue la gloire et l’intérêt de leur pays, l’entraînèrent trop souvent dans des difficultés inextricables par suite des querelles qui éclataient entre les colonies de deux nations rivales. En attendant que le gouvernement décidât, on se battait, on s’entr’égorgeait ; la force tenait lieu de droit. L’esprit d’aventure avait seul animé les premiers explorateurs. L’amiral de Coligny, que ses opinions religieuses tenaient en suspicion, fut le premier à comprendre que le Nouveau-Monde devait servir d’asile aux malcontens, aux dissidens de toute sorte, à ceux qui ne trouvaient plus en Europe assez d’espace pour respirer. L’idée de Coligny fut reprise avec succès par l’Angleterre. Le protestantisme, secte nouvelle, se tourna avec espérance vers un monde nouveau ; son génie raisonneur et pratique avait besoin d’aller fonder loin de la vieille Europe une société véritablement réformée, qui ne s’inspirât du passé ni par le cœur ni par l’esprit.

Quoique abandonné par la cour de France, le Canada était toujours visité par nos pêcheurs. En 1578, à Terre-Neuve seulement il vint cent cinquante navires français. Deux neveux de Cartier, héritiers des privilèges accordés auparavant à celui-ci, se livraient au commerce des pelleteries sur les bords du Saint-Laurent et de ses affluens. Ces privilèges furent révoqués vingt années plus tard ; le gouvernement de Henri III conféra au marquis de La Roche, gentilhomme breton, la charge de lieutenant-général du Canada, de l’Acadie et des îles adjacentes. C’est de cette époque, 1598, que date l’organisation permanente du pays qui reçut plus tard le nom de Nouvelle-France. Aussi, sous le règne de Henri IV, le commerce des pelleteries prit-il une extension considérable au Canada. Le capitaine Champlain, qui a légué son nom à l’un des plus gracieux lacs de l’Amérique, remonta le Saint-Laurent à la tête d’une flottille composée de barques de douze à quinze tonneaux, frayant ainsi la route aux voyageurs qui devaient un jour explorer les profondeurs de ce grand continent aussi loin qu’ils trouveraient un ruisseau capable de porter leurs pirogues. Deux vaisseaux chargés d’émigrans catholiques et huguenots, partis du Havre en 1604, arrivèrent en Acadie sous la conduite de M. de Monts, gentilhomme de Saintonge. L’Acadie, fréquentée par les traitans, passait pour le plus beau pays de la Nouvelle-France. On y trouvait d’excellens ports, un climat tempéré, un sol fertile dans l’intérieur, et sur la côte une grande quantité de poissons, la morue, le saumon, le hareng, le maquereau, l’alose, le phoque et la baleine. Les Micmacs ou Souriquois, indigènes de la contrée, se faisaient remarquer par leur bravoure et aussi par la douceur de leurs mœurs ; ils accueillaient les Français avec une bienveillance qui ne s’est jamais démentie. Enfin l’Acadie avait sur le Canada ce précieux avantage, que les vaisseaux pouvaient y aborder en toute saison. Après avoir visité la côte jusqu’au cap Cod (près de Boston), les colons vinrent fonder la ville de Port-Royal, aujourd’hui Annapolis. Jusque-là les émigrans ne s’étaient point occupés de défricher les terres. Lescarbot, à qui l’on doit, de si excellens mémoires sur la colonisation de l’Acadie, fit enfin comprendre à ses compagnons que la culture de la terre était la seule garantie du succès de leur entreprise. Par ses paroles et surtout par ses exemples, il entraîna les colons ; ceux-ci firent du charbon de bois pour lutter contre les rigueurs de l’hiver ; ils ouvrirent des routes, dressèrent des fourneaux et des alambics pour clarifier la gomme du sapin et en tirer le goudron, et les Indiens, émerveillés de ces simples travaux d’un peuple civilisé, s’écriaient avec admiration : « Oh ! les Normands savent bien des choses ! » Sur ces entrefaites, les Hollandais de la Nouvelle-York, poussés par un sentiment de jalousie et de convoitise, attaquèrent à l’improviste nos colons de l’Acadie ; ils enlevèrent toutes les pelleteries acquises par la société pendant le cours d’une année, et le gouvernement français retira le privilège de ce trafic à la colonie qui le possédait. Contraint d’abandonner le pays, le gouverneur Poutrincourt fut reconduit jusqu’au rivage par les indigènes qui versaient des larmes, et quand les Français revinrent trois ans après, ils reconnurent que les sauvages Souriquois avaient respecté leurs propriétés comme si elles eussent été un dépôt confié à leur fidélité. Le fort, les maisons et les meubles étaient encore dans l’état où ils les avaient laissés.

Quelques années plus tard, l’Acadie recevait de nouveaux colons ; les jésuites avaient formé un établissement sur les bords de la rivière Penobscot. La France prétendait avoir le droit de s’étendre vers le sud jusqu’au 40e degré ; mais l’Angleterre réclamait la possession de toute la côte d’Amérique depuis la Virginie jusqu’au 45e degré. Bien qu’on fût en pleine paix, une flotte anglaise vint ravager et livrer aux flammes les habitations des colons français. Pour la troisième fois Port-Royal était détruit. Une partie des habitans de l’Acadie abandonna l’Amérique avec l’ancien gouverneur Poutrincourt, qui vint se faire tuer en France au siège de Mery-sur-Seine ; les autres se réfugièrent au Canada, dans les élablissemens fondés sur le Saint-Laurent par Champlain. Refoulés au-delà du 45e degré, les Français tournèrent tous leurs efforts vers les régions de l’ouest. De Monts, muni d’un nouveau privilège concédé pour un an, gardait l’espoir de pénétrer par le Saint-Laurent jusqu’à l’Océan Pacifique et de là en Chine. Cette même année (1608), Champlain, qu’il avait pris pour lieutenant, fonda Québec. Les Indiens établis à Stadaconé et à Hochelaga au temps de Jacques Cartier avaient disparu pour faire place à une nation plus puissante, plus intelligente aussi, celle des Iroquois, qui occupaient les forêts situées à l’ouest du lac Ontario. Champlain crut de son intérêt de prêter aux tribus opprimées le secours de ses armes ; il attaqua et battit sans peine les Iroquois, reconnut le lac Ontario et fit construire, à son retour de ses expéditions multipliées, le château de Saint-Louis à Québec, qui servit de résidence aux gouverneurs du Canada jusqu’en 1834, époque à laquelle un incendie l’a réduit en cendres.

Le prince de Condé et le duc de Montmorency avaient porté le titre de lieutenant-général du Canada, et cependant ce fut en 1628 seulement qu’on vit les bœufs attelés à la charrue labourer les terres fertiles des bords du Saint-Laurent. Jusqu’alors la traite des pelleteries avait occupé presque exclusivement les Français, dont les comptoirs étaient établis à Tadoussac, à Québec, aux Trois-Rivières et au Sault-Saint-Louis. Les privilèges accordés aux compagnies avaient été souvent révoqués ; tantôt la colonie commerçait librement et avec de pleins pouvoirs, tantôt elle retombait sous le régime du monopole. Ces brusques changemens, si préjudiciables aux intérêts des colons et à ceux de la France, désolaient Champlain. Il s’en plaignit à Richelieu, qui organisa la compagnie des Cent Associés et concéda à ceux-ci, à perpétuité, la Nouvelle-France et la Floride, « à la réserve de la foi et hommage au roi et de la nomination des officiers de la justice souveraine, lesquels devaient être présentés par la compagnie, mais confirmés par la couronne. » C’était ce même principe des associations particulières déjà mis en pratique par lui-même dans l’île de Saint-Christophe, en 1625. En l’appliquant sur une plus grande échelle par son acte de 1628, Richelieu traça le plan que suivirent plus tard les puissantes sociétés des Indes, et dont la compagnie anglaise a su tirer un si admirable parti.


II

L’enfance de la colonie avait duré tout un siècle, et à mesure qu’elle grandissait, les obstacles naissaient autour d’elle. M. de Monts avait abandonné l’Acadie après le retrait de son privilège. « Il tourna entièrement ses vues du côté du Canada, où deux motifs le firent persister dans ses projets, dit M. Garneau : l’augmentation des possessions françaises et l’espoir de pénétrer quelque jour par le Saint-Laurent jusqu’à l’Océan Pacifique et de là en Chine. » C’étaient là de beaux rêves ; mais pour les réaliser il eût fallu jouir d’une longue paix. On avait fait un grand pas dans la colonisation ; la compagnie des Cent Associés comptait parmi ses membres le cardinal Richelieu, le maréchal d’Effiat,le commandeur de Razilli et Champlain, sur qui reposait son avenir. Peu s’en fallut cependant que le Canada, envahi par les Anglais sans motif légitime, ne fût une fois encore abandonné, après que le traité de Saint-Germain-en-Laye l’eut rendu à la France. Dans cette guerre inattendue qui avait livré momentanément à l’Angleterre la Nouvelle-France et la ville de Québec, les huguenots français avaient pris parti pour les ennemis de leur nation. Cette conduite blâmable à tous égards exaspéra Richelieu ; il interdit le séjour de la colonie entière à tous ceux qui professaient la religion réformée[1]. Ce fut à cette époque que l’on donna le nom de Nouvelle-France aux pays de l’Amérique septentrionale occupés par nos colons ; ce nom s’appliquait à l’immense contrée qui embrasse la baie d’Hudson, le Labrador, la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick, le Canada et une partie des provinces septentrionales des États-Unis. Lescarbot, que nous avons déjà cité, disait dans ses Mémoires : « Notre Nouvelle-France a pour limites, du côté de l’ouest, les terres jusqu’à l’Océan Pacifique au-deçà (sic) du tropique du Cancer, au midi les îles de la mer Atlantique, au levant la Mer du Nord, et au septentrion cette terre qui est dite inconnue vers la mer glacée jusqu’au pôle arctique. » C’était pousser un peu loin les prétentions ; autant valait dire : Nous réclamons la propriété de toutes les terres à découvrir jusqu’à l’Océan Pacifique à l’ouest et au nord ! Cependant il ne faut pas perdre de vue que des Canadiens parcoururent plus tard toutes ces contrées, y fondèrent des comptoirs pour la traite des pelleteries et en prirent en quelque sorte possession, puisque les premiers ils donnèrent des noms aux fleuves, aux lacs et aux baies qu’aucun Européen n’avait visités avant eux.

Le Canada ayant été restitué à la France, Champlain y retourna avec une escadre richement chargée et reprit aussitôt la direction des affaires. Cet homme de bien, énergique et intelligent, qui avait été l’ami de Henri IV et qu’on avait vu pendant trente années se dévouer à la prospérité de la colonie, mourut bientôt après, en 1635, au moment où les jésuites jetaient les fondemens du collège de Québec, et quand des ouvriers industrieux venus des diverses provinces de la France commençaient à s’établir sur les bords du Saint-Laurent. Sept années plus tard, M. de Maisonneuve arrivait au Canada. « Il avait commencé le métier des armes dans la Hollande à l’âge de treize ans, dit un vieux chroniqueur, et avait conservé sa piété au milieu de ces pays hérétiques. Il avait appris à pincer du luth pour passer son temps seul et n’être pas obligé d’aller dans la compagnie des méchans. » Ce personnage à la fois sérieux et doux, remontant le fleuve sans se laisser intimider par le voisinage des Iroquois, éleva une bourgade entourée de palissades, qu’il nomma Ville-Marie. Il y appela les sauvages chrétiens et ceux qui voulaient le devenir, et leur enseigna l’art de cultiver la terre. La bourgade nommée d’abord Ville-Marie est le berceau de la noble et grande ville de Montréal. À cette même époque, la duchesse d’Aiguillon faisait construire l’Hôtel-Dieu de Québec, et une jeune veuve de distinction, Mme de la Peltrie, commençait à bâtir le couvent des Ursulines, où elle s’enfermait pour le reste de ses jours.

Ces pieuses fondations, dont le Canada s’honore encore aujourd’hui, ne s’élevaient pas au sein de l’abondance et de la sécurité que procure la paix. Les colons avaient semé du blé pour la première fois en 1644, et, vu le petit nombre des cultivateurs, la récolte était bien faible. De plus, les Iroquois, devenus puissans depuis la défaite des Algonquins et ennemis des Français, qui avaient soutenu ceux-ci, se glissaient par troupes nombreuses si près des fermes, que le paysan canadien n’allait plus aux champs sans emporter son mousquet avec lui. Munis d’armes à feu que leur avaient vendues les Hollandais de la Nouvelle-York, ces terribles sauvages menaçaient la colonie sur tous les points. Leur fureur se tourna contre les Hurons et particulièrement contre les paisibles bourgades où les jésuites missionnaires avaient réuni quelques centaines de familles. Un grand nombre de ces néophytes fut massacré impitoyablement ; d’autres, faits prisonniers, expirèrent dans les tortures, et l’on vit les prêtres dévoués qui avaient consacré leur vie à ce malheureux troupeau encourager jusqu’à la fin les Hurons éperdus, recevoir la mort avec eux, et comme eux aussi endurer sans se plaindre tous les tourmens que la rage inspirait aux vainqueurs. Les incursions des Iroquois semèrent partout le carnage et la terreur ; la famine suivit de près, et les Hurons qui avaient survécu au massacre de leur tribu, chassés des campagnes et des forêts, n’osant s’abriter derrière les palissades de la ville naissante de Montréal, durent s’enfuir par des chemins détournés jusqu’à Québec ; quelques-uns s’allèrent même cacher vers les grands lacs et jusque sur les bords de la Susquehanna, en Pensylvanie. Ainsi fut dispersée, en 1650, la nation des Hurons, la plus florissante du Canada douze années auparavant. Les colons de la Nouvelle-France perdirent en elle une alliée utile ; privés de cette avant-garde qui protégeait leurs frontières, ils se trouvèrent face à face avec des ennemis nombreux, implacables, rusés comme des renards et féroces comme des loups. Telle était la puissance des Iroquois, que les colons de la Nouvelle-Angleterre refusèrent d’aider les Canadiens à les combattre, soit qu’ils redoutassent cette race indomptée, soit qu’il leur convint de laisser les Français exposés à ses attaques[2]. On a presque perdu le souvenir de ces sauvages en Europe, et leur nom fait rire celui qui l’entend prononcer. Cependant on voit quel rôle sérieux ils ont joué dans l’histoire de nos établissemens d’outre-mer. M. Garneau, qui les connaît par la tradition et par l’étude qu’il a faite des relations anciennes, donne sur ces hordes oubliées de curieux détails ; il les décrit et les dénombre avec un soin scrupuleux, de telle sorte qu’on peut, en lisant son ouvrage, suivre leurs mouvemens comme dans les Commentaires de César, on suit ceux des nations gauloises luttant contre les aigles romaines.

On se passa du secours des Anglais. Pendant plusieurs années, la colonie fut dans de continuelles alarmes ; les Iroquois rodaient par bandes, dans le silence de la nuit. Ils se glissaient partout, à la manière des serpens. On surprit parfois jusque dans la cime des arbres des sentinelles perdues qui épiaient depuis vingt-quatre heures le mouvement des colons. Ce fut au milieu de ces désastres et de ces périls que le pays situé autour de Montréal et des Trois-Rivières fut conquis à la civilisation. Le fondateur de Montréal, M. de Maisonneuve, qui était allé chercher des travailleurs en Europe, reparut en 1653 avec des paysans honnêtes et fermes, choisis dans l’Anjou, le Maine, le Poitou et la Bretagne. Fatigués eux-mêmes de tant de combats, les Iroquois se décidèrent à demander la paix, et on la conclut dans une entrevue « où le père Lemoine, dit la chronique, leur adressa un discours qui dura au moins deux heures, parlant comme un chef, allant et venant comme un acteur, suivant l’usage indien. »

L’esprit des sauvages est mobile comme celui des enfans, auxquels ils ressemblent d’ailleurs par l’impétuosité de leurs désirs. Bientôt les hostilités recommencèrent, et cependant la colonie prospérait. Il arrivait des renforts à Québec ; on osait enfin le prendre de plus haut avec les Iroquois, qui, de leur côté, baissaient le ton ; Colbert était ministre. La compagnie des Cent Associés, fondée par Richelieu, avait produit d’assez pauvres résultats : elle fut dissoute, et la colonie reçut une nouvelle organisation. Le cardinal-ministre qui régnait au nom de Louis XIII avait vu dans les associations particulières le moyen le plus efficace d’intéresser au sort des colonies les villes maritimes et les riches négocians ; satisfait d’avoir établi en France d’une façon définitive l’unité du pouvoir monarchique, il croyait utile de laisser aux établissemens d’outre-mer une certaine indépendance. Le ministre d’état contrôleur général des finances sous Louis XIV dut suivre une marche tout opposée. Dans les colonies d’Amérique comme dans le royaume de France, tout releva du souverain. Le système féodal fut introduit au Canada. On y établit les tenures en franc-aleu et à titre de fiefs, ainsi que les seigneuries ; les seigneurs reçurent par délégation le droit de haute, moyenne et basse justice, ce dont, à la vérité, ils ne songèrent point à se prévaloir. Le pouvoir des gouverneurs, qui était d’abord absolu, fut tempéré par l’institution d’une cour souveraine, revêtue d’attributions analogues à celles des parlemens, et où siégeaient, à côté du gouverneur et de l’évêque, cinq conseillers nommés par ceux-ci « conjointement et annuellement, » et assistés du procureur du roi et de l’intendant. Cette réforme était due à Colbert, qui avait envoyé un commissaire au Canada pour examiner l’état du pays et l’éclairer sur les abus de l’ancienne administration. Cependant, en 1664, la compagnie des Indes occidentales ayant été créée par ordonnance royale, Québec fut érigé en prévôté, et c’est de cette époque que date l’introduction au Canada des coutumes de Paris, qui survécurent à l’existence éphémère de la compagnie et régissent encore l’ancienne colonie française. Au spirituel, le Canada relevait alors de l’archevêché de Rouen. Tant que le pays avait été considéré comme pays de missions, les récollets et après eux les jésuites y avaient seuls desservi les paroisses. Érigé en vicariat apostolique, l’an 1657, par le pape, le Canada eut un évêque particulier qui résida à Québec, et un clergé régulier, qui a su, à travers bien des orages et des vicissitudes, se concilier l’affection et le respect des habitans. La concorde ne régna pas toujours entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel ; des luttes éclatèrent aussi entre les gouverneurs et le conseil. En somme, la colonie se trouva organisée assez solidement pour résister aux crises qui la menaçaient.

Par l’édit royal de 1664, la compagnie des Indes occidentales se trouvait maîtresse de toutes les régions possédées par la France dans les deux hémisphères. Sur la demande de la compagnie, Louis XIV voulut nommer le vice-roi de toute l’Amérique et le gouverneur provincial du Canada : son choix se fixa sur le marquis de Tracy, lieutenant-général dans ses armées pour la première de ces deux charges, et il conféra la seconde à Daniel de Rémi, seigneur de Courcelles. M. Talon, intendant en Hainault, passa en cette qualité au Canada, et bientôt débarquèrent à Québec les vingt-quatre compagnies du régiment de Carignan, qui venait de se distinguer en Hongrie contre les Turcs. Le marquis de Tracy avait pris Cayenne aux Hollandais et soumis plusieurs îles avant d’arriver à Québec. Conduit processionnellement à la cathédrale par l’évêque et tout son clergé, il refusa le prie-dieu et s’agenouilla sur le pavé nu de la basilique : c’était un homme de la trempe des anciens chevaliers, courageux, pieux et modeste. La population entière l’accueillit avec des cris de joie, et les sauvages, accourus à la ville, virent avec une admiration mêlée d’effroi les chevaux montés par les officiers du régiment de Carignan. C’étaient les premiers qu’on eût encore amenés au Canada. Le marquis de Tracy fit construire des forts pour tenir en respect les Iroquois. Une expédition ayant été dirigée contre ces sauvages, M. de Courcelles, à pied, chaussé de raquettes, comme ses braves soldats, et portant ses vivres sur son dos, parcourut près de trois cents lieues de forêt, en plein hiver, au milieu des neiges. Les Iroquois épouvantés abandonnaient leurs villages, que les vieilles troupes françaises traversaient tambour battant, enseignes déployées ; pour la seconde fois ils demandèrent la paix. De son côté, l’intendant Talon encourageait l’industrie, organisait de nombreux essais de culture, établissait de nouvelles branches de commerce, nouait des relations avec Madère, les Antilles et l’ancien continent. Il donna une telle impulsion à la pêche du loup marin, que bientôt le Canada exporta une grande quantité d’huile en France et dans les îles du golfe du Mexique. Ce fut aussi l’intendant Talon qui le premier envoya dans nos ports des échantillons des diverses espèces de bois dont la marine du roi pouvait tirer parti. En 1668, on compta onze vaisseaux mouillés dans la rade de Québec. Pour augmenter le nombre des colons, on eut l’idée de licencier au Canada le beau régiment de Carignan, à la condition que les soldats consentiraient à s’établir dans la colonie. Ces terribles guerriers, qui avaient dévasté le Palatinat sous Turenne, se transformèrent en cultivateurs paisibles ; leurs officiers, presque tous gentilshommes, ayant obtenu des seigneuries, se fixèrent eux-mêmes sur ces fiefs et avec empressement, comme s’ils eussent été encore sous les lois de la discipline militaire.

Jusqu’en 1685, la colonie continua de prospérer. Courcelles et Talon, l’un à la tête des troupes, l’autre en dirigeant l’administration, avaient rendu aux colons la sécurité qui leur manquait auparavant et la confiance dans l’avenir de ces établissemens si souvent menacés. Sous M. de Frontenac, qui succéda à Courcelles, les missionnaires et les voyageurs étendirent leurs explorations au nord, à l’ouest et au midi. Les lacs Erié, Huron et Michigan sont successivement visités ; deux jeunes traitans pénètrent dans le pays des Sioux, jusqu’à l’extrémité du Lac Supérieur, et deux jésuites arrivent, en poursuivant leurs courses apostoliques, dans la vallée du Mississipi. Là des indigènes apprennent aux missionnaires qu’un grand fleuve arrose le pays. Deux autres pères, envoyés par l’intendant Talon pour reconnaître cette vallée, atteignent le Mississipi (en juin 1673), et le descendent jusqu’à la rivière Arkansas. Ce fut alors que le Normand Robert de La Salle résolut d’atteindre l’embouchure du fleuve immense, dont le cours n’était pas encore entièrement connu. À son arrivée à Québec, il s’achemina vers le fort de Cataroquoi (Kingstown), où il construisit un grand navire, qui entra bientôt dans le lac Ontario, toutes voiles au vent. Ce navire traversa l’Ontario et vint jeter l’ancre près des chutes du Niagara, à l’entrée de la rivière de ce nom, où devait s’élever une forteresse. Les compagnons de La Salle contemplaient avec admiration la gigantesque cascade, tandis que les sauvages regardaient avec surprise et épouvante le gros vaisseau dont la retentissante artillerie ébranlait les échos de ces rives silencieuses depuis tant de siècles. Quel devait être alors l’aspect sauvage de ces forêts, dans lesquelles il nous souvient de nous être égaré nous-même, et d’avoir erré toute une nuit il y a vingt ans ! Avec un second navire, La Salle parcourut le lac Erié, et s’avança jusqu’aux rives du lac Michigan. Dans un second voyage, il atteignit le Mississipi, passa au milieu des Chicachas, des Taenzas, des Chactas et des Natchez, tribus puissantes alors, les unes éteintes et ignorées, les autres immortalisées par la plume de Chateaubriand et dispersées dans l’ouest : enfin il aperçut l’Océan. Ses projets étaient accomplis ; il venait d’obtenir la récompense des fatigues, des dangers sans nombre qu’il lui avait fallu surmonter. À ce beau pays, voisin du tropique, éclairé par un soleil étincelant, il donna le nom de Louisiane en l’honneur de Louis XIV. La cour de France, satisfaite du rapport qui lui avait été fait de ces importantes découvertes, confia au courageux explorateur la tâche difficile de commencer la colonisation de la Louisiane.


III

Tout était donc magnifiquement préparé sur le continent américain pour l’agrandissement des possessions françaises. Un reflet de la gloire de Louis XIV semblait échauffer le Canada. Sous l’impulsion d’un intendant éclairé, le pays prospérait, et les émigrans commençaient à venir. L’embouchure du Saint-Laurent, celle du Mississipi, tout le cours de ces grands fleuves, avec les lacs et les rivières intermédiaires, appartenaient à la France. Pour consolider la colonie et lui assurer dans un prochain avenir un développement merveilleux, il avait suffi de quelques années de paix et d’un bon administrateur secondé par des hommes intelligens et hardis. L’incurie du gouverneur qui remplaça Frontenac faillit tout perdre. Les Iroquois ne sommeillaient jamais. Battus par les Français, refoulés dans les bois, ils ne laissaient échapper aucune occasion de se venger, et faisaient aux colons tout le mal possible. En 1689, une troupe de quatorze cents sauvages traversa le lac Saint-Louis en pleine nuit, au milieu d’une tempête de pluie et de grêle, et débarqua dans le plus profond silence à la pointe de l’île de Montréal. Les colons dormaient, quand tout à coup un cri terrible retentit dans l’obscurité. Hommes, femmes et enfans sont égorgés ; la flamme dévore les maisons et force les fuyards à se précipiter entre les mains de l’ennemi, qui exerce sur eux toutes les cruautés que lui inspire sa férocité naturelle, excitée par le désir de la vengeance. La plume se refuse à décrire les horreurs qui épouvantèrent cette nuit terrible. On appelle encore, dans le Canada, cette fatale année de 1689 l’année du massacre. Pendant deux mois, les Iroquois restèrent maîtres des campagnes. Le gouverneur Denonville, se jugeant trop faible pour les combattre, tremblait devant ces barbares exaspérés, qui l’avaient endormi à force de ruses. Denonville était pourtant un homme d’esprit, mais il ne sut rien faire à propos. Il s’occupa constamment de nouer des alliances avec les tribus indiennes, et perdit leur confiance en leur manquant de parole ; il rêva de grands armemens, et ne trouva jamais assez de soldats pour accomplir le plus simple projet. Son exemple prouve une fois de plus que dans les colonies il faut surtout des hommes d’action, qui se fient moins à leurs lumières qu’à celles de l’expérience, des gens pratiques, doués de sang-froid, persévérans dans leurs entreprises, dussent-ils passer pour n’avoir ni imagination ni esprit. Pour expliquer cet affaiblissement subit de la colonie, il faut se rappeler qu’on était, en France, au lendemain de la révocation de l’édit de Nantes et à la veille de nouvelles guerres. L’émigration forcée des protestans avait appauvri la population française. Prêt à lutter seul contre l’Europe, Louis XIV n’avait pu envoyer au Canada que deux cents hommes de troupes, et on ne comptait pas alors dans tout le pays plus de treize cent cinquante habitans en âge de porter les armes.

M. de Frontenac revint au Canada l’année suivante (1690). Il avait à se défendre contre les colonies anglaises et contre la confédération des tribus iroquoises. Cependant on le vit, par son énergie et son habileté, triompher de tous les obstacles. La guerre qu’il soutint contre les colonies voisines, plus puissantes et mieux organisées, fut l’une des plus glorieuses dont le Canada ait gardé le souvenir. Non-seulement Frontenac repoussa les attaques dirigées de toutes parts contre les ports du littoral et les villes de l’intérieur, non-seulement il sut inspirer à ses braves Canadiens une patience héroïque dans les momens de crise, mais encore il osa prendre l’offensive, et enleva aux Anglais Terre-Neuve et les établissemens formés par eux à la baie d’Hudson. L’histoire de nos colonies se lie trop souvent à celle de nos malheurs pour que nous prenions plaisir à l’étudier, et nos armées ont accompli trop de merveilleux exploits dans le vieux monde pour que ces expéditions entreprises à travers les solitudes du nouveau continent nous émeuvent beaucoup. Cependant nos marins n’ont point oublié le brillant fait d’armes du commandant d’Iberville, qui, surpris avec un seul vaisseau, dans la baie d’Hudson, par trois vaisseaux anglais, en fit sombrer un, captura le second et força le troisième à prendre la fuite. À la paix de Ryswick, le gouverneur Frontenac, se voyant débarrassé des Anglais, traita avec la confédération iroquoise, qui « envoya dix ambassadeurs pour pleurer les Français tués pendant la guerre. » Cette manière de demander excuse après les atrocités commises paraîtra assez naïve, surtout si l’on songe que les Iroquois coupaient par quartiers les Français tués dans le combat, afin de les faire bouillir dans leurs chaudières et de les manger.

En 1701, un nouveau traité fut conclu avec les Indiens, qui envoyèrent treize cents des leurs pour assister à cette solennelle entrevue. Jamais on n’avait vu tant de tribus indiennes représentées en un même lieu. Il y avait là, dans cette enceinte où siégeaient les dames et les notables de la colonie au milieu d’un cercle de soldats et de miliciens, des députés de toutes les nations sauvages qui occupaient alors l’ouest et le nord de l’Amérique, depuis l’embouchure du Saint-Laurent jusqu’aux vallées du Bas-Mississipi. Les colonies voisines ne voyaient pas sans inquiétude et sans jalousie cette conférence, dans laquelle les indigènes venaient en masse reconnaître l’ascendant de la France. Les Iroquois ensevelirent en terre la hache sanglante qu’ils avaient si longtemps tenue levée sur les blancs. Cette paix était en partie l’ouvrage d’un chef huron doué d’un esprit, on devrait presque dire d’un génie extraordinaire. Les Canadiens le nommaient le Rat, traduction du mot huron Kondiaronk. Ce Huron avait été l’âme de la dernière guerre qui venait d’ensanglanter le pays ; on l’avait vu déployer, durant ces luttes acharnées, tout ce qu’il peut y avoir de sagacité, d’énergie et d’astuce dans un cerveau humain. Contraint de céder devant la force, convaincu, par les récens succès des Français, de leur supériorité et de leur véritable puissance, il avait senti que l’intérêt des tribus indiennes exigeait désormais qu’elles fissent la paix. Durant la cérémonie et pendant qu’un chef iroquois pérorait longuement ; le Rat se trouva mal. On le plaça sur un fauteuil, comme un sage digne de respect ; il fit signe qu’il voulait parler, et on s’approcha de lui pour l’écouter. La dignité de ses paroles et la profonde justesse de ses pensées émurent toute l’assemblée. Il s’exprima avec la dignité d’un héros et aussi avec cette haute sagesse particulière aux esprits supérieurs, qui, après avoir réfléchi beaucoup, semblent, au moment de la mort, posséder le don de prophétie. Les sauvages applaudissaient, et les blancs écoutaient encore, qu’il avait fini de parler. Le Rat se trouvait si faible, qu’on le transporta à l’Hôtel-Dieu, où il expira bientôt. Ainsi mourut cet homme étonnant qui avait compris les grandeurs du christianisme et de la civilisation, sans être dupe des intrigues et de l’ambition des nations européennes. Dans sa naïve fierté, il disait n’avoir rencontré parmi les Français que deux hommes d’esprit, M. de Frontenac et le père Carheil, de qui il avait reçu le baptême. Sa mort causa un deuil général. On lui fit de magnifiques obsèques ; sa dépouille mortelle, accompagnée des autorités civiles et militaires et des députations des tribus indiennes, fut déposée dans l’église paroissiale. Les Canadiens se rappellent avec un orgueil mêlé de tristesse ces grands jours où les chefs sauvages tenaient leurs assises sous la présidence du gouverneur, dans la ville de Québec. M. Garneau a une manière simple, attachante, de raconter ces événemens effacés et de les faire revivre sous nos yeux. Nourri, comme ses compatriotes, des traditions de son pays, il semble qu’il ait été le témoin de ces scènes étranges et qu’il les écrive de souvenir.

Une nouvelle ère de calme et de prospérité semblait donc s’ouvrir pour le Canada. Cette même année 1701, une troupe de colons alla s’établir à Détroit, position avantageuse que le père Hennepin avait découverte lorsqu’il marchait en avant-garde comme compagnon de La Salle, et dont il avait dit : « Ceux qui auront le bonheur de posséder un jour les terres de cet agréable et fertile pays auront de l’obligation aux voyageurs qui leur en ont frayé le chemin. » Ce point devait relier le Canada à la Louisiane ; il était comme la clé de voûte de l’édifice qu’il s’agissait de consolider. Cependant la guerre de succession venait d’éclater. La France n’avait qu’une population de 18,000 habitans, dispersée sur de grands espaces, à opposer aux 262,000 habitans des colonies anglaises. Confians en leur propre valeur, les colons canadiens proposèrent tout simplement au gouvernement français de conquérir la Nouvelle-Angleterre. D’Iberville offrait d’enlever Boston et New-York en plein hiver ; il ne demandait que 1,000 Canadiens et 400 soldats. Le traité de Montréal, conclu avec les Indiens, assurait la paix du côté de l’ouest et du sud-ouest. Il s’agissait donc de pousser à de nouveaux combats ces sauvages que l’on avait eu tant de peine à calmer. Ceux-ci commençaient à se lasser de ces expéditions multipliées entreprises pour le compte des blancs, et qui troublaient sans cesse leurs solitudes. L’un d’eux disait avec fierté, et non sans raison : « Il faut que ces gens-là aient l’esprit bien mal fait. Après la paix conclue, un rien leur fait reprendre la hache. Nous, quand nous avons fait un traité, il nous faut des raisons puissantes pour le rompre. » L’alliance des Indiens était avidement recherchée par les deux nations ; Anglais et Français se la disputaient avec plus d’acharnement que de dignité. Le gouverneur du Canada, redoutant les menées de l’ennemi et se sentant trop faible pour se défendre sans le secours des auxiliaires sur lesquels il s’habituait à compter, résolut de prendre l’offensive et de compromettre les Indiens au début de la campagne. Il lança une de leurs tribus du côté de Boston. Chaussés de longues raquettes, Indiens et Canadiens traversèrent la forêt sur une neige haute de quatre pieds, en plein hiver, et s’élançant, comme des patineurs, à travers le pays ennemi, où personne ne les attendait, ils se mirent à le ravager à leur aise, pillant les bourgades et détruisant les fermes. Contrairement aux usages de l’époque, les Canadiens accueillirent avec bienveillance les prisonniers qui tombèrent entre leurs mains. Ceux qui étaient jeunes finissaient par embrasser le catholicisme, et on leur accordait volontiers des lettres de naturalité ; mais pour quelques-uns que l’on arrachait ainsi à la mort, combien d’autres tombaient sous la hache des sauvages !

Cette première expédition fut le prélude de beaucoup d’autres accomplies avec la même audace. Les Canadiens excellaient dans ces attaques impétueuses, hardies, véritables coups de main à la sauvage, qui ressemblaient un peu aux invasions des anciens Normands. Les Indiens, une fois animés au combat, s’y mêlaient avec enthousiasme, avec rage, sans prévoir qu’ils finiraient par être eux-mêmes la proie du vainqueur, s’ils ne périssaient pas les premiers dans ces luttes acharnées. Pour ces barbares, il ne s’agissait pas de contraindre une nation rivale à se renfermer dans les limites de son territoire, mais bien d’anéantir une tribu ennemie, de diminuer le nombre des chasseurs et des guerriers répandus dans les forêts, un épisode de cette guerre même fait voir jusqu’où pouvait aller la férocité de ces dangereux alliés. À l’ouest du lac Michigan, dans les savanes, vivait la nation des Outougamis, vulgairement appelés les Renards. Ces Renards, moins rusés que les Iroquois, mais devenus odieux à tous les autres Indiens par leur mauvaise foi et leurs rapines, promirent aux Anglais, dont ils avaient accepté l’alliance, de brûler l’établissement canadien de Détroit. Dans le fort de cette petite ville, il n’y avait alors que trente Français ; mais à leur appel 600 Indiens de diverses tribus se hâtèrent d’accourir. Les Renards, cernés dans leur camp, qu’ils avaient entouré de palissades, comprirent qu’il ne leur restait plus de salut que dans la fuite. Ils essayèrent de s’échapper à la faveur d’une nuit orageuse. Surpris dans leur retraite par l’ennemi, qui faisait bonne garde autour du camp, ils furent entourés et massacrés jusqu’au dernier. Guerriers, femmes, enfans, la tribu entière des Outougamis fut anéantie en quelques heures.

Le traité d’Utrecht, survenu en 1713, fut plus funeste au Canada que ces tristes guerres dont la colonie supportait si héroïquement les chances diverses. Louis XIV cédait à l’Angleterre la baie d’Hudson, l’île de Terre-Neuve, l’Acadie, renonçait à ses droits sur le pays des Iroquois. Il restait donc à la France l’embouchure du Mississipi où la colonisation n’avançait pas, l’embouchure du Saint-Laurent avec les rives du fleuve ; mais le Canada se trouvait de toutes parts menacé et cerné par un ennemi puissant qui recevait des renforts nombreux. Ce fut pour remédier en quelque manière à ce fatal traité que de sages esprits conçurent la pensée de fonder une colonie nouvelle au Cap-Breton, situé au midi de l’île de Terre-Neuve, dont il est séparé par une des bouches du Saint-Laurent, large d’environ quinze lieues ; on y bâtit la ville de Louisbourg, qui ne coûta pas moins de 30 millions de francs à fortifier, et cependant on n’y exerçait pas d’autre industrie que celle de la pêche. Malgré l’importance que prit peu à peu cet établissement, il n’était guère de nature à consoler le Canada des pertes immenses qu’il venait d’éprouver. Il ne dut qu’à l’imprudence même des Anglais un assez rapide accroissement de population. À cette époque, le gouverneur anglais de l’Acadie et de Terre-Neuve, fort surpris de voir que ses subordonnés parlaient leur langue propre, professaient leur religion et entretenaient des communications journalières avec leurs frères du Cap-Breton, prétendit anglifier en masse ces vieux Canadiens. Sa tentative brutale et impolitique eut pour résultat de provoquer parmi ceux-ci une désertion considérable : les uns passèrent au Cap-Breton, d’autres s’établirent à l’île Saint-Jean, que l’on songeait aussi à coloniser.

À l’autre extrémité de la Nouvelle-France ainsi démembrée se déroulait une série d’événemens désastreux. Les premiers colons de la Louisiane furent des Canadiens. Tandis qu’une partie de ce petit peuple disputait aux traitans anglais les bords glacés de la baie d’Hudson, une autre était allée s’établir sous des latitudes brûlantes voisines du tropique, où elle se trouvait en lutte avec les Espagnols. Il fallait des émigrans pour peupler ce fertile pays. Le gouvernement français afferma la colonie naissante au commerçant Crozat, qui, après des tentatives infructueuses, remit au roi son privilège. Pendant cette période, — elle n’avait duré que cinq années, de 1712 à 1717, — la colonie déclina rapidement ; on ne trouva rien de mieux que de la concéder à la trop célèbre compagnie d’Occident établie par Law. Les suites de cette aventure financière sont trop connues pour qu’il soit utile de s’y arrêter. À la ruine des affaires succéda la famine. En 1772, un ouragan détruisit de fond en comble la ville oubliée de Biloxi et la Nouvelle-Orléans, fondée depuis peu d’années. Pour comble de malheur, les Français, trop confians dans l’apparente sincérité des Chicachas et des Natchez, ne se gardèrent point avec assez de précaution. Ces deux peuplades formèrent ensemble le projet de massacrer les colons : ce fut celle des Natchez qui l’exécuta. Sous le prétexte d’une chasse dont le produit devait servir à fêter l’arrivée de deux bateaux chargés de munitions pour les forts et de marchandises précieuses, les Natchez achètent des fusils et se répandent en nombre autour des habitations. Trois coups de feu retentissent bientôt. À ce signal, les Indiens se précipitent sur les blancs, égorgent ceux qu’ils trouvent désarmés ; deux cents personnes sont tuées en quelques instans ; soixante femmes et cent enfans faits prisonniers expirent au milieu d’horribles tourmens. Les Français prirent leur revanche, et bientôt les Natchez furent contraints de se disperser chez les tribus voisines ; ceux qui essayèrent de résister se virent réduits à demander la paix. Le parlementaire était un de leurs chefs, nommé le Soleil ; Perrier, qui commandait les Français, eut la lâcheté de le faire saisir et la cruauté de l’envoyer en esclavage à Saint-Domingue. Cette trahison ranima l’orgueil des Natchez. Pour venger ce chef illustre, dont la famille les gouvernait de temps immémorial, ils se battirent en désespérés et si longtemps, que, les principaux d’entre eux ayant tous péri, ils cessèrent d’exister à l’état de nation. Quant aux Chicachas, ils avaient eu l’habileté de se retirer à temps du complot ; ce sont leurs descendans que l’on voyait encore, il y a peu d’années, chasser sur les bords de la Rivière-Rouge et du Vashita, avec les Chactas, fraction de la tribu des Natchez qui n’avait pas pris part à la lutte.


IV

Durant une période de vingt-cinq années, le Canada n’avait pas joui de quatre ans de paix. Beaucoup d’hommes valides étaient morts les armes à la main ; un plus grand nombre venait de partir pour occuper les postes établis sur les grands lacs et dans la vallée du Mississipi. L’émigration était à peu près nulle. Tandis que les Canadiens, transformés par la force des choses en véritables soldats, se disséminaient sur de grands espaces, les Anglais des provinces voisines défrichaient le sol en colonnes serrées. À la différence des hardis Canadiens, qui se croyaient largement indemnisés de leurs peines et de leurs misères, s’ils plantaient le drapeau de la France sur un fort perdu dans les bois, les habitans de la Nouvelle-Angleterre songèrent à leur intérêt propre autant qu’à la gloire de leur pays. Partout où abordent les émigrans venus de la Grande-Bretagne, on voit commencer un peuple nouveau ; partout où les Français mettent le pied, c’est un rameau de la vieille France qui s’implante avec sa sève native. On conçoit très bien que le voisinage des Canadiens turbulens, aventureux, inquiétât les planteurs de Boston, tout occupés de défrichement et de commerce. La paix ne pouvait exister entre ces deux nations que ne séparait point la mer : l’une devait céder la place à l’autre, et il fut facile de deviner de quel côté pencherait enfin la victoire, quand on vit les colonies anglaises se peupler rapidement et le Canada rester à peu près stationnaire[3]. Ce dernier pays continuait à suivre les anciens erremens, à compter sur son propre courage, à rêver des conquêtes chimériques, et auprès de lui la civilisation, aidée par l’arrivée de nombreux émigrans, marchait avec une force irrésistible. Le commerce des pelleteries, si important alors en Amérique, avait passé presque entièrement entre les mains d’une compagnie canadienne, qui l’avait pour ainsi dire conquis au prix de guerres sanglantes. Les Anglo-Américains, peu soucieux de remporter sur les sauvages de si coûteuses victoires, songèrent à attirer ceux-ci dans leurs intérêts.

Au temps où Montréal était le principal comptoir de la compagnie des pelleteries, les sauvages arrivaient chaque année en juin avec leurs canots d’écorce chargés de pelleteries. Comme on les traitait bien, chaque année aussi ils amenaient quelque tribu nouvelle, et ce fut bientôt une foire à laquelle se rendaient tous les indigènes du nouveau continent. Après avoir eu une audience publique du gouverneur, les Indiens déposaient leurs marchandises dans les comptoirs ; on leur donnait en échange des pièces d’une étoile dite écarlatine, du vermillon, des couteaux, de la poudre, des fusils. Le traité de 1713, dont nous avons parlé plus haut, fit perdre aux Canadiens les fourrures de la baie d’Hudson. Bientôt le gouverneur de New-York, Burnet, interdit aux traitans français l’entrée de son territoire, et il ouvrit à Oswégo, sur la rive méridionale de l’Ontario, un comptoir qui épargnait aux Indiens des grands lacs et des pays de l’ouest la peine de descendre le Saint-Laurent. Aux lois qui défendaient à tout Français de commercer avec la Nouvelle-Angleterre, la France répondit par des ordonnances non moins rigoureuses. Les compagnies canadiennes durent abandonner entre les mains du roi leurs comptoirs de traite, qui furent affermés à des marchands investis de privilèges. Ceux-ci eurent recours à la ruse pour faire rapidement fortune ; ils enivraient les sauvages et les trompaient avec effronterie. De ce jour, la traite des pelleteries fut un commerce à jamais compromis, sinon perdu. Chaque traitant enrichi s’en allait vivre ailleurs à sa guise, en répétant ce déplorable adage : « Après moi le déluge[4]. » Enfin il résulte des documens officiels que le Canada ne rapporta jamais à la France au-delà du tiers de ce qu’il lui coûtait[5]. Par suite des besoins toujours croissans de la colonie, le gouvernement lui permit d’établir des manufactures et de fabriquer des étoiles, privilèges que l’on avait, avant 1716, obstinément refusés à l’Amérique. On vit se dresser partout des métiers à tisser, dans les villes, dans les campagnes, dans les seigneuries. Le paysan des bords du Saint-Laurent, aussi laborieux dans la paix qu’infatigable dans la guerre, se montrait apte aux travaux les plus divers, et ces précieuses qualités, il les dut à la défense qu’avait faite Louis XIV d’introduire des esclaves au Canada.

Lorsque la guerre éclata de nouveau entre la France et l’Angleterre, il pouvait y avoir de l’embouchure du Saint-Laurent au lac Érié dix-huit cents soldats pour garder la colonie ; sur ce nombre, mille environ étaient disséminés dans les postes, et huit cents au plus tenaient garnison à Louisbourg, sur l’île du Cap-Breton. Cette place forte était la clé du Canada, qu’elle protégeait du côté de la mer ; de plus, elle couvrait la retraite des corsaires intrépides qui, en temps de guerre, ruinaient le commerce des colonies voisines. Les Anglais, au lieu d’attaquer leurs ennemis du côté de la terre, résolurent de détruire Louisbourg, dont la prise valait à leurs yeux les victoires qu’ils ne se flattaient pas de pouvoir remporter sur des miliciens difficiles à surprendre. Prompts à prendre l’offensive, les Canadiens se jetèrent tout d’abord sur l’Acadie ; ils ravagèrent la côte de Terre-Neuve, et la consternation se répandit dans le Massachusetts, quand Louisbourg n’était pas menacé encore. Une révolte, qui éclata parmi les soldats de la garnison, éveilla tout à coup l’ardeur belliqueuse des Anglo-Américains. Dans cette ville forte et facile à défendre, il ne régnait plus d’union ni de confiance entre les soldats et les officiers. Bientôt Louisbourg, assiégé par des forces considérables, tomba au pouvoir de l’ennemi. La nouvelle de cette catastrophe arriva en France au lendemain de la victoire de Fontenoy.

Les Canadiens consternés virent dans cet échec terrible le prélude d’une attaque sur Québec. M. de Beauharnais, qui commandait en Canada, demanda des secours que M. de Maurepas lui envoya sans délai. Trois mille hommes de troupes sont embarqués sur onze vaisseaux. La flotte, battue des vents, est dispersée sur la côte, une maladie contagieuse décime les matelots et les soldats, et en peu de semaines cette expédition formidable semble s’être évanouie comme un rêve. Ce désastre jeta dans l’âme des Canadiens un profond désespoir. Une seconde tempête fit échouer la tentative de débarquement que l’on voulut essayer avec les débris de l’escadre. Qu’étaient auprès de ces malheurs sérieux les succès multipliés, mais partiels, que les Canadiens remportaient sur les postes ennemis ? La France comptait alors d’intrépides et habiles marins, La Jonquière, L’Estanduère et d’autres ; cependant la marine, trop négligée par le cardinal Fleury, qui abhorrait la guerre, éprouva de si cruels revers, qu’après trois combats où nos marins avaient fait des prodiges de valeur, il ne nous restait plus que deux vaisseaux. Comment secourir des colonies quand on n’a plus de flottes ? Louis XV disait un grand mot vide de sens lorsqu’il s’écriait à propos du traité d’Aix-la-Chapelle : « .Je veux faire la paix non en marchand, mais en roi ! » On rendit le Cap-Breton à la France en échange de Madras, pris sur les Anglais par La Bourdonnaie, et des conquêtes faites en Flandre : mais on ne nous rendit point nos flottes détruites.

La question des frontières entre les colonies anglaises et françaises n’était point encore résolue. L’ambassadeur anglais à Paris se plaignait des empiètemens des Français ; la France, de son côté, se plaignait de la conduite des Anglais sur l’Océan, où ils agissaient en maîtres. Le point que se disputaient avec le plus d’acharnement les deux nations était la vallée de l’Ohio, pays plus fertile, plus agréable à habiter que les bords des grands lacs et les froides régions du nord-ouest. Les forts élevés par les Canadiens depuis le lac Erié jusqu’auprès de l’Ohio inquiétaient les colons de la Virginie. Enfin les Français en bâtirent un dernier, qu’ils nommèrent fort Duquesne, sur les bords mêmes de la rivière. Un corps de troupes anglaises ne tarda pas à marcher contre eux. Avec leur seule mousqueterie, les Canadiens firent taire neuf pièces de canon qui garnissaient les retranchemens anglais, et l’ennemi sortit si précipitamment, après avoir capitulé, qu’il oublia derrière lui un drapeau. L’officier qui commandait les troupes anglaises, c’était le colonel Washington ! Cette affaire, dans laquelle éclata la valeur des Canadiens, conduits par M. de Villiers, eut lieu en 1742 ; elle fut le premier acte du grand drame de trente ans qui coûta à la France tant de braves soldats et de si fortes possessions, et qui fit perdre à sa rivale ses propres colonies. Avec la guerre de sept ans, les hostilités recommencèrent en Amérique. Le Canada, épuisé par tant de combats, n’avait plus d’autres ressources que le zèle et l’ardeur de ses habitans. On se battait de part et d’autre avec acharnement ; il arriva même une fois encore que les bandes canadiennes, pour se venger de l’envahissement de l’Acadie et des terres adjacentes, défirent les Anglais, et semèrent sur le pays ennemi avec des bordes d’Indiens, ravageant tout, faisant trembler jusque dans les villes ceux qui la veille les croyaient vaincues et domptées.

En 1756, Montcalm arriva au Canada avec des renforts, qui se composaient de 1,000 soldats et 400 recrues. En y joignant les troupes venues de France l’année précédente et celles de la colonie, l’armée régulière s’élevait à 4,000 hommes ; avec les miliciens et les sauvages, elle formait en tout 12,000 combattans. Les colonies anglaises venaient de mettre sur pied 25,000 hommes, miliciens et soldats. Au début de la campagne, la victoire se déclara pour les Français ; pendant deux années, les Canadiens se donnèrent le plaisir de raser les forts construits par les Anglais. Malheureusement ils eurent la douleur de voir, sans être capables de les en empêcher, leurs sauvages alliés massacrer les prisonniers après le combat. Les rigueurs de l’hiver n’arrêtaient point ces courses effrénées. Épouvantée de cette irruption violente, l’Angleterre porta son armée à 50,000 hommes, dont la moitié à peu près consistait en soldats réguliers, et la France abandonnait sa colonie victorieuse ! « Nous combattrons, écrivait Montcalm au ministre ; nous nous ensevelirons, s’il le faut, sous les ruines de la colonie ! » Et pourtant, le 1er mai 1758, le général n’avait que 6,000 soldats réguliers, bataillons de ligne, troupes de marine et troupes coloniales, pour défendre cinq cents lieues de frontières ! Le Canada fut envahi par l’ouest et par l’est, par les lacs et par la mer ; après un siège mémorable, Louisbourg devint pour la seconde fois la proie de l’ennemi. À la tête de 16,000 hommes, le généra] Abercromby courut attaquer 3,500 Français retranchés sur une hauteur entre le lac George et le lac Champlain. Montcalm attendit de pied ferme les Écossais et les grenadiers anglais ; quand ceux-ci furent arrivés à vingt pas des retranchemens, le feu commença. Pendant six heures consécutives, les colonnes ennemies renouvelèrent leurs attaques avec un sang-froid et une valeur extraordinaires : toujours repoussées, elles durent se retirer en laissant sur le champ de bataille plus de deux mille morts. Cette brillante victoire ne pouvait sauver le Canada, que les troupes anglaises envahissaient de toutes parts. Il n’arrivait point de renforts. Les Indiens abandonnèrent le parti de la France qu’ils avaient embrassé jadis avec ardeur et fidèlement soutenu. Les troupes du Canada étaient mal payées et manquaient du nécessaire ; une sourde animosité se déclarait entre les Français d’Europe et les créoles. On n’ignorait pas dans les colonies anglaises à quelles extrémités se trouvait réduite la Nouvelle-France, dont la conquête n’était plus qu’une affaire de temps. Afin de porter un coup décisif et d’utiliser sur un même point ses puissantes armées, l’Angleterre résolut d’attaquer Québec. De leur côté, les Canadiens se préparèrent à une défense héroïque. On fit, dans l’hiver de 1759, le dénombrement des hommes capables de porter les armes : il se trouva 15,000 habitans âgés de seize à soixante ans. L’armée se composait de 5,300 soldats. Au mois d’avril, l’évêque ordonna des prières publiques dans toutes les églises, et les habitans s’y portèrent en foule : ces braves gens avaient gardé la foi des anciens temps à une époque où la France semblait prendre plaisir à fouler aux pieds ses croyances.

Il n’entre point dans notre plan de retracer la mémorable, et triste campagne qui se termina par la conquête du Canada. Les péripéties de ce drame lugubre sont bien connues, et il en a été parlé en diverses occasions ici même ; tout récemment encore, une plume habile en a esquissé les dernières scènes[6]. — On sait quelle oppression pesa sur les Canadiens durant la première phase de l’occupation anglaise, quelles mesures brutales et impolitiques furent adoptées plusieurs fois contre les restes de ce petit peuple indompté, notamment en Acadie. Il ne nous appartient pas non plus de suivre l’auteur de l’Histoire du Canada dans la partie de son travail qui se rapporte aux événemens récens. Ce que nous avons cherché dans ce précieux ouvrage, c’est l’histoire des Canadiens, des premiers colons établis sur les bords du Saint-Laurent, depuis le commencement du XVIe siècle jusqu’à l’époque de la prise de Québec. La France ne peut refuser ses sympathies à ceux qui furent ses enfans et semblent l’être encore ; mais elle a dû forcément demeurer neutre dans les querelles qui ont surgi, depuis 1763, entre les colons anciens et le gouvernement nouveau qui les régit. L’auteur de cette histoire semble s’être proposé de mettre complètement en lumière tous les titres qu’ont les Canadiens aux égards des nations de l’Europe. Il a gardé le culte d’un passé glorieux, et il se montre le champion du parti français. Il lutte avec énergie et conviction en faveur des libellés que ses pères ont sauvées du naufrage de leur nationalité, et cette noble cause, il la défend avec l’énergie d’un Canadien de vieille souche. Il y a peut-être à la surface de ses idées une certaine ébullition, une ardeur gauloise qui va jusqu’à l’entraînement ; il a lu beaucoup, et ses citations feraient supposer qu’il n’est pas assez en garde contre l’exagération et l’emphase de certains écrivains déclamatoires, Raynal par exemple. Cependant, sur les questions fondamentales, il a des jugemens solides et empreints d’impartialité ; aussi son livre est-il beaucoup meilleur qu’on ne le supposerait à première vue. Ce qui lui donne une véritable importance, c’est l’abondance des documens qu’il renferme. Un pareil ouvrage mérite d’attirer notre attention, car il retrace (plus complètement qu’on ne l’avait fait jusqu’ici) une grande et belle page de notre propre histoire. En le lisant, on est ému ; il semble qu’une voix fraternelle nous dise avec l’accent d’un reproche tempéré par l’affection : « Depuis un siècle, nous sommes séparés de vous, et nous sommes restés ce que nous étions ; vous nous avez abandonnés, puis oubliés, et nous n’avons cessé de penser à la patrie, de l’aimer et de tourner nos cœurs vers elle. » Enfin on éprouve quelque chose de cette surprise agréable et triste dont on est saisi quand on entend parler français en débarquant à Québec.

Lorsque le Canada tomba aux mains de l’Angleterre, il ne comptait pas plus de 60,000 habitans[7]. Durant deux siècles, il eut à lutter tantôt contre les Indiens, tantôt contre les colonies voisines, et ne reçut que rarement les secours dont il avait besoin pour assurer son entier développement. L’émigration ne vint point ranimer, à des intervalles réguliers, ses forces épuisées ; à peine si quelques milliers de laboureurs, pris dans l’intérieur de la France, se groupèrent autour des Normands, des Basques et des Bretons qui formaient le noyau de la colonie. Ce petit peuple de pêcheurs et de fermiers ne se lassa jamais de lutter contre les rigueurs du climat et les difficultés de sa position. À force de persévérance et de valeur, il conquit un vaste territoire qu’il eût été du devoir de la France de peupler. La place était prête ; les émigrans n’avaient qu’à venir s’installer sur des terres débarrassées d’ennemis. Les premiers colons avaient fait leur devoir de pionniers. Le Canadien fut dès le principe entreprenant et avide d’aventures ; la nécessité le rendit industrieux ; le travail le maintint probe et honnête ; la guerre développa en lui des instincts belliqueux jusqu’à l’héroïsme. Fidèle à son pays, dont elle eut plus d’une fois à se plaindre, la nation canadienne ne ressentit jamais, à aucune époque, cette jalousie secrète qui pousse les colonies à l’indépendance ; elle resta européenne par l’esprit en face des États-Unis émancipés, l’Angleterre même eut à se féliciter de sa loyauté. Le sentiment de répulsion pour le vieux monde, qui s’appelle ; de nos jours américanisme, ne germe point dans le cœur des Canadiens, et quand même leurs voisins leur en feraient un reproche, nous devons leur en faire un mérite. Absorbés dans les flots croissans d’une population imbue d’idées nouvelles et qui leur est peu sympathique, ils sont ombrageux à l’endroit de leur nationalité effacée. Que les États-Unis prennent un accroissement gigantesque et rêvent des destinées merveilleuses, que l’Angleterre étende sa domination au fond des contrées asiatiques, — le Canadien ne saurait s’associer intimement et avec enthousiasme à ces triomphes de la race anglo-saxonne. Il a son patriotisme à lui, l’amour de sa nationalité, la fierté innée chez les descendans de ceux qui fondaient sur un continent inconnu la Nouvelle-France. À travers tout le pays qui porta ce beau nom et jusqu’aux bords de l’Océan Pacifique, il existe encore des hommes hardis, aventureux, hospitaliers aussi, de mœurs simples et naïves, qui, devenus habitans des solitudes américaines depuis des générations, n’entendent point prononcer sans tressaillir les douces appellations de la patrie. Remercions donc M. Garneau d’avoir retracé les annales de ce peuple sorti du milieu de nous. De l’immense territoire où flotta longtemps notre pavillon, il ne nous reste rien aujourd’hui, rien que des souvenirs amers et des leçons dont on peut profiter. Soixante années après la perte du Canada, la Providence nous a donné un autre désert à coloniser. L’Algérie, assise sur les bords de la Méditerranée, à trois jours de nos ports, est occupée par nos troupes. Aujourd’hui nos armées ont ouvert à la colonisation un pays immense, plus fertile, plus facile à peupler que ne le fut le Canada. Puisse la France, qui regorge d’habitans, déverser sur ce sol choisi les émigrans laboureurs que les bords du Saint-Laurent ne virent point arriver en assez grand nombre, et qu’attend avec impatience l’avant-garde des premiers colons !


THEODORE PAVIE.

  1. Bientôt après, les colonies anglaises, effrayées de l’influence que les jésuites prenaient sur l’esprit des sauvages, défendirent, sous peine de mort, à tout prêtre catholique de s’établir sur le territoire de la Nouvelle-Angleterre.
  2. La réponse du conseil de Boston aux propositions que lui tirent deux pères jésuites est curieuse ; elle ressemble à celle du rat de la faille : « Nous ne pouvons douter que Dieu ne bénisse et vos armes et les nôtres, puisqu’elles sont employées pour la défense des sauvages chrétiens, tant vos alliés que les nôtres, contre des barbares infidèles qui n’ont ni foi ni Dieu… comme vous pouvez l’apprendre plus au long desdits sieurs nos députés, qui vous assureront du désir sincère que nous avons que le ciel aille toujours bénissant vos provinces et vous comble de ses faveurs. »
  3. En 1744, la population du Canada était de 50,000 habitans ; elle avait plus que doublé depuis 1719, non par l’effet de l’immigration, mais par l’augmentation des familles établies dans le pays.
  4. Le père Lafitau avait introduit au Canada la culture du jin-seng, cette plante si prisée des Chinois. On en vendit une seule année pour 500,000 fr. Pour aller plus vite en besogne, les spéculateurs firent sécher la plante au four, au lieu de la faire sécher à l’ombre et lentement. Les Chinois réinsèrent cette marchandise détériorée, et cette industrie s’éteignit complètement.
  5. Soit, vers 1750, 2 millions et 1/2 pour les exportations, et 8 millions pour les importations.
  6. Voyez, dans la série de M. Ampère sur l’Amérique, la Nouvelle-Angleterre et la Nouvelle-France, livraison du 15 janvier 1853.
  7. Aujourd’hui le nombre des Canadiens s’élève à 700,000.