Les Français dans l’Ouest canadien/13

Éditions de la Liberté (p. 58-64).

Chapitre XIII


Le groupe des Français de Saint-Boniface et de Winnipeg — Acteurs et musiciens — René Brun, acteur, musicien et journaliste — Paul Salé, organiste de la cathédrale et professeur — Le beau temps des fanfares et des orchestres de cinéma — Quatre hebdomadaires successifs rédigés par des Français — Vie et mort du Cheval — Une apprentie raconte ses souvenirs — « Le Soleil de l’Ouest » naît des cendres du « Nouvelliste » — Un rédacteur du « Figaro » qui fit ses débuts à Winnipeg — « La Libre Parole » et A.-H. de Trémaudan — La poésie à Saint-Boniface — Carrière brillante du Cercle Molière


Le groupe des Français de Saint-Boniface et de Winnipeg

Avec les premières années du siècle, qui ouvrent la période de l’immigration massive, le groupe des Français de Saint-Boniface et de Winnipeg commence à émerger. Il a bientôt sa société, « La Gauloise », qui se montre très active, organise des banquets du 14 juillet, des soirées dramatiques et musicales, des excursions et pique-niques. Son premier président est M. Magon de la Giclais, l’ancien colon et négociant de Fannystelle ; son premier secrétaire, Maurice Malfilâtre.

Les artistes amateurs de La Gauloise prêtent volontiers leur concours à l’Union Sainte-Cécile, société paroissiale que dirige le sympathique Roger Goulet, inspecteur d’école. L’Union Nationale Française de l’Ouest deviendra plus tard l’organe officiel de la colonie, assumant le rôle qui avait été celui de La Gauloise. Il y eut aussi la Société Jeanne d’Arc, groupant ceux qui préféraient une organisation à teinte catholique.

Les talents artistiques se révèlent nombreux dans cette classe d’émigrés. Quelques maîtres se sont déjà fait un nom : Paul Salé, professeur de piano, organiste à la cathédrale de Saint-Boniface et directeur de la Fanfare La Vérendrye ; le vicomte de la Roche Aymon, professeur d’orgue et de piano ; le Parisien René Brun, officier d’Académie, professeur de chant et de piano au Collège de Saint-Boniface. Mais des amateurs surgissent. Entre autres, les acteurs Paul Molurier, Arthur Boutal, Joseph Le Gouarguer surtout, l’idole du public. Mécanicien ajusteur venu de l’île d’Oléron, c’est un chanteur agréable et original, doublé d’un excellent comique. Sa toute petite taille fait contraste avec la stature imposante d’Arthur Boutal. Ils forment un trio célèbre avec Maurice Deny et font leur tour de chant avec accompagnement d’ocarina. Les Deny, père et fils, originaires des environs de Saint-Malo, sont tous deux passionnés pour le théâtre. En leur qualité d’électriciens, ils se réservent l’installation des effets lumineux de la scène. Louis Langlamet, artiste peintre très doué, médaillé d’honneur des Arts décoratifs de Paris, et son frère ainé, qui brossait avec Molurier les décors de l’Union Sainte-Cécile, venaient de Saint-Brieuc. Ils ne purent, malheureusement, s’acclimater au pays.


Acteurs et musiciens

Le Club dramatique français de Winnipeg, dont l’animateur fut René Brun, apparut en 1910. Il se proposait de donner au moins deux représentations par an, au Théâtre de Winnipeg, des meilleures comédies du répertoire moderne. Pour ses débuts, il choisit la « Petite Chocolatière », de Paul Gavault. C’était la première fois que des artistes locaux jouaient une pièce française sur une grande scène de la capitale manitobaine. La célèbre tragédienne Sarah Bernhardt s’y était fait applaudir peu de temps auparavant et la comparaison pouvait être désastreuse. Le succès dépassa tous les espoirs.

Pauline Le Goff y tint son premier rôle. Les répétitions avaient lieu chez Fortunat Mollot, père de Gabrielle. Le coiffeur Jean Cazenave incarna un superbe M. Lapistole, père de la Petite Chocolatière. Lily Mollot, qui jouait le grand rôle, était très douée pour la scène et très intelligente. Elle est devenue la femme d’un Canadien français et habite maintenant Timmins (Ontario). Sa sœur, Thérèse, à qui échut le deuxième rôle de femme, épousa un acteur de la troupe permanente du Winnipeg Theatre et prit avec son mari le chemin d’Hollywood. Leur fille, Yolande Dolan, que l’on voit parfois dans les films d’Arthur Rank, habite l’Angleterre.

Un autre acteur, Henri Deschamps, était un personnage autour duquel planait un certain mystère. Il recevait de l’argent de France par l’entremise d’un bureau d’affaires de Winnipeg. On l’appelait « Doc », car il avait un remède à tous les maux. Un beau jour, il conçut l’idée de faire l’essai d’un envol en avion du toit des grands magasins Eaton, avec la collaboration financière d’un fils du richissime négociant ; mais on leur coupa les vivres… et les ailes.

Jean Crèvecœur, qui jouait aussi dans Petite Chocolatière, venait de Calais, où sa famille possédait une manufacture de dentelles. Joli garçon, ayant autrefois fréquenté les cafés-concerts et leurs vedettes, il continuait de mener joyeuse vie à Winnipeg, même s’il fut réduit quelque temps à faire le chauffeur de taxi.


René Brun, acteur, musicien et journaliste

René Brun, l’âme de ce mouvement dramatique, Parisien très intelligent, bon musicien, écrivain de qualité, mais de nature foncièrement bohème, était passionné de théâtre. Élevé dans l’aisance, il demeurait le type parfait de l’indépendant, qui plaçait au-dessus de tout sa liberté. Sa femme, couturière parisienne, devait se faire une belle clientèle à Winnipeg. Le professeur de piano et de chant exerça divers autres métiers. Il eut quelque temps une librairie qu’il avait achetée de Paul Gillet, fils d’un banquier de Paris. Les affaires y furent plutôt difficiles. Lorsqu’un créancier faisait une apparition inopportune dans la boutique, le propriétaire disparaissait subrepticement dans la cave, par une trappe qui s’ouvrait derrière un comptoir, pour en ressortir comme un diable de sa boîte, une fois le danger passé. Le commerce de librairie se réduisit bientôt à une simple agence de cartes postales illustrées, alors très en vogue. Brun fut aussi photographe pour les quotidiens anglais de Winnipeg. Mais nous allons surtout le retrouver tout à l’heure dans le rôle de journaliste, pour lequel il était particulièrement doué.

Le premier « festival français » fut suivi d’un autre au bénéfice de l’école française libre de Winnipeg. On monta cette fois Arsène Lupin, de Marcel Leblanc, et le succès égala celui de la Petite Chocolatière.

Au nombre des acteurs se trouvait Auguste de la Barrière — celui qu’on appelait le « Baron », pour le distinguer de son cousin, Philippe. Dans le privé, il était électricien et bohème. Il commençait habituellement sa journée vers 2 h. de l’après-midi. Son patron, Marcel Grymonpré, devait souvent aller lui-même le sortir du lit. À l’issue de la représentation, il y eut un petit réveillon pour la troupe au « Venise », restaurant chic de l’époque. Puis, tout le monde rentra à Saint-Boniface, en groupe gai et loquace. Le « Baron » portait en bandoulière un fusil de chasse qu’il avait prêté à Brun comme accessoire pour la pièce. À une fenêtre de la rue Aulneau, il aperçoit tout à coup une tête de femme que le bavardage des noctambules avait dû éveiller. Il épaule aussitôt en disant : « Té !… c’est un cul-blanc, passe-moi la douille !… » Enfant de la Gascogne, Auguste de la Barrière en avait l’esprit et l’accent. On l’aurait vu facilement en d’Artagnan, moins la vantardise. Ce bon et brave « Baron » est tombé, comme tant d’autres, sur le champ de bataille. À son départ, il était secrétaire de l’Union Nationale Française.

René Brun n’était pas seulement un bon directeur de théâtre ; il avait aussi l’étoffe d’un auteur dramatique. Une de ses pièces fut mise à l’étude, mais les répétitions durent être interrompues, faute de pouvoir réunir des interprètes jugés satisfaisants. Celui que l’on doit considérer comme le grand pionnier du théâtre français dans l’Ouest canadien mourut peu avant la guerre de 1914, des suites d’une intervention chirurgicale. Il n’avait que 35 ans. Une période d’une dizaine d’années allait s’écouler avant que l’œuvre pût être reprise.

À signaler cependant le geste audacieux d’un autre Français du nom de Blais qui, en novembre 1918, fit jouer à Winnipeg Le Cid, de Corneille. Juliette Guilbert, une jeune Canadienne française qui se distingua dans le rôle de Chimène, devait épouser le Lyonnais Jean Bernuy, chef de gare à Sainte-Rose-du-Lac. Blais mourut peu de temps après dans la région de Haywood.


Paul Salé, organiste de la cathédrale et professeur

Si l’on se penche maintenant sur les musiciens, il faut remonter jusqu’à Paul Salé, qui vint au Manitoba dès 1886. Né à Douai (Nord) en 1863, il eut la vue faible, petit enfant, et connut la cécité totale vers sa dixième année. Entré tardivement dans une institution de jeunes aveugles, il n’en fit pas moins un cours de musique très avancé. La vue lui revint partiellement et il put alors voyager seul

Paul Salé n’avait que 23 ans lors de son arrivée à Saint-Boniface. Il fut le premier directeur de la Fanfare Indépendante, à laquelle succéda la Fanfare de Saint-Boniface. La musique alors ne faisait pas vivre son homme au pays. Il partit bravement pour le Nord, afin de se livrer à la traite des fourrures, mais ce fut une expérience malheureuse. De retour à Saint-Boniface, il devint organiste à la cathédrale et, en dépit de sa vue déficiente, se montra très actif comme professeur dans tous les domaines de la musique et du chant. Principal fondateur de la Fanfare La Vérendrye, il en garda la direction jusqu’en 1921. Paul Salé composa plusieurs marches et valses pour piano qu’il tenta vainement de faire éditer. Devenu complètement aveugle, il dut finalement abandonner son poste d’organiste, mais n’en garda pas moins jusqu’à la fin tout son enthousiasme pour la musique. Ce pionnier français décéda en 1949, à l’âge de 86 ans. Pendant un demi-siècle, il avait donné généreusement de sa personne et de sa richesse musicale à la population de sa terre adoptive.

Les autres musiciens venus de France furent presque tous des amateurs. M. Joseph Vermander, Flamand canadien de culture française, très documenté sur tout ce qui touche au passé musical de Saint-Boniface, nous dit :


Le beau temps des fanfares et des orchestres de cinéma

« À la Fanfare La Lyre, de 1904 à 1907, ils formaient un groupe important au début et l’atmosphère était bien française. L’attrait des pays nouveaux, d’un climat plus doux et des salaires plus élevés en éloigna vite plusieurs. Mais quels échanges fructueux d’idées et d’expériences, aux répétitions, entre ces camarades d’origines diverses ! Les Français apportaient des souvenirs de leurs musiques de régiment ; les Flamands, ceux de leurs grandes fanfares communales et de leurs festivals renommés ; quant aux Canadiens français, ils étaient quelque peu contaminés par l’influence anglo-saxonne de la musique entendue à Winnipeg. Français et Flamands se montraient d’excellents lecteurs de force égale, et si les premiers paraissaient les mieux stylés dans l’exécution, les seconds avaient les meilleures embouchures. Les musiciens du cru avaient surtout pour eux leur persévérance, vertu non négligeable, alors que les autres en étaient si dépourvus. »

Parmi les membres français de La Lyre, il y avait :

Édouard Jean (piston), d’abord sous-chef, puis chef. Ancien cuirassier, il avait belle prestance et était bon musicien ; mais il alla s’établir à Saint-Claude et gagna plus tard la Californie.

Olivier Callède (piston et baryton), de Dion, canton de Tartas (Landes). Parti pour son service militaire en 1906, il revint joueur de baryton et fit longtemps partie de la Winnipeg City Band. Callède réside depuis longtemps sur le lac Winnipeg, à Sans-Souci. Il fut l’âme dirigeante de la France Combattante au Manitoba.

Maurice Malfilâtre (clarinette), Henri Deny (basse), G.-A. Barrière (alto), Merlin ou Merle (flûtiste), A. Praud (petite caisse), les deux beaux-frères Émile Bouveron (basse), du Rhône, et Léon Michel (alto), de Talare (Hautes-Alpes), qui présida longtemps l’Association des anciens combattants français.

Louis Crance (piston), qui resta en France après la première Grande Guerre ; A. Bonsergent (clarinettiste), qui fut sous-chef en 1907 ; Henri Deschamps (petite basse), qui était aussi, nous l’avons vu, acteur et aviateur casse-cou.

À la Fanfare La Vérendrye, sous la baguette de Paul Salé et de son successeur, Joseph Vermander, il y eut entre autres : l’instituteur Chabalier, Simon Blanc (baryton) et son fils, Georges (trombone), des Lyonnais, Victor Achaire (piston), du Nord, Henri Fouchard, dont nous avons parlé au chapitre sur Sainte-Rose-du-Lac.

Quelques Français furent associés à l’exploitation cinématographique, lors de ses débuts à Winnipeg. Le Marquand, venu bien avant 1900, était propriétaire de l’un des établissements. Son fils s’associa plus tard avec un Canadien français et tous deux sont dans la même industrie à Omaha (Nebraska).

Robert Gens, de Rouen, arrivé vers 1910, était professeur de violon. Il acheta le cinéma dans l’orchestre duquel il jouait et engagea des compatriotes. Frank, flûtiste, et Émile Garnier, tous deux d’Angoulême, furent de ceux-là. On demandait au premier si, en France, il jouait dans un orchestre, et il répondait : « Oh ! non, j’étais chaudronnier… » Robert Gens dirigea l’orchestre du Collège de Saint-Boniface jusqu’à l’incendie de 1922. Il est aujourd’hui à Montréal, dans le commerce des ornements d’église. La famille d’Émile Garnier est encore à Saint-Boniface. Son fils, Hubert, excellent sculpteur, a exécuté d’importants travaux aux façades de plusieurs grands bâtiments de Winnipeg. Sa fille, Gabrielle, est devenue Mme Georges Blanc.

Le trombone Hubert Garcenot, venu de la frontière de l’Est, faisait partie de l’orchestre du Théâtre de Winnipeg. Il se transporta ensuite avec sa famille à Montréal, où les enfants seuls survivent. Le Lyonnais Antoine Griveau fut, comme violoniste, l’un des piliers de l’orchestre du Collège. René Wegbecker, un autre Angoumois, se rattache à la période d’entre les deux guerres. Il faut en dire autant du Normand Henri Caron, toujours maître de chapelle à la cathédrale de Winnipeg.


Quatre hebdomadaires successifs rédigés par des Français

Quelques jeunes Français se lancèrent dans le journalisme. En marge de la presse canadienne-française du Manitoba, qui s’est maintenue sans interruption depuis 1871, il n’y eut pas moins de quatre hebdomadaires successifs fondés et dirigés par ces Canadiens de fraîche date, plus ou moins préparés à ce rôle de responsabilité. Tous militèrent en faveur du parti libéral.

Le premier de ces journaux fut L’Écho du Manitoba, qui vécut environ six années, au tournant du siècle. Son fondateur, le Champenois Henri d’Hellencourt — figure déjà connue — remplit aussi les fonctions d’agent consulaire de France, à la suite de Frédéric Gautier. La petite feuille fut d’abord imprimée par Le Temps, quotidien d’Ottawa, ce qui comportait bien des inconvénients. Plus tard, le rédacteur la composa lui-même sur une linotype. Cet imprimeur d’occasion se révéla très ingénieux pour remédier à la pénurie de son matériel. Henri d’Hellencourt devait fournir une longue carrière de journaliste au Soleil, de Québec, et à la Presse, de Montréal, avant d’aller prendre une retraite définitive en France.

Le Nouvelliste vit le jour à Saint-Boniface, en septembre 1907. Le fondateur, propriétaire et rédacteur en chef, Claudius Juffet, avait fait un vague apprentissage au Nouvelliste de Lyon. Très jeune, et sans avoir passé par le cycle des études secondaires, il possédait une assez bonne plume. Son principal collaborateur était René Brun. Un autre Lyonnais engagé dans l’immeuble, Claude Buffet, qui avait fourni quelques fonds, abrita la rédaction dans son bureau. L’un des piliers de l’entreprise était le prote, Arthur Boutal. Né à Seyches (Lot-et-Garonne), il avait grandi à Angoulême, où il fut correcteur d’épreuves dans une imprimerie. Venu jeune au Manitoba, il avait tâté aux travaux de la ferme et à ceux de la construction, avant de revenir à la typographie et de s’y distinguer comme un véritable artiste du métier.

Surveillée de près par son rival conservateur, Le Manitoba, la feuille libérale eut la vie assez difficile. Elle dut interrompre la publication d’un feuilleton jugé trop osé. L’auteur en était, sous un nom de plume, René Brun. De plus, dans son zèle imprudent, Juffet s’était fait inscrire frauduleusement sur la liste électorale avant d’avoir atteint sa majorité et se trouvait passible de poursuites. Tout finit pas s’arranger, mais le coupable dut renoncer à son titre de rédacteur en chef. Brun lui succéda à la tête du journal, dont le propriétaire-gérant fut, pour quelque temps, Paul Gillet. Rentré en France et grand blessé de la guerre, Claudius Juffet, qui s’était marié à Nice, recueillit la succession de son beau-père dans un commerce de maroquinerie.


Vie et mort du Cheval

Au bout d’un an, Le Nouvelliste traversa la rivière pour aller s’installer à Winnipeg. Comme son matériel tenait peu de place, il put loger facilement rue Garry, dans une pièce arrière du bureau de M. de la Giclais, qui eut dès lors la haute main sur l’administration du journal. Lorsque la Compagnie foncière du Manitoba passa dans un local plus vaste, tout près de celui qu’elle occupe actuellement, rue Principale, Le Nouvelliste déménagea, de son côté, rue Smith.

Dans cet atelier peu fortuné, une nécessité vitale obligeait à consacrer le plus de temps possible aux « travaux de ville ». Aussi, à l’heure de la mise en page, la matière faisait parfois défaut pour remplir les colonnes. Afin de remédier à cette lacune, on tenait en réserve quelques articles déjà parus et qui pouvaient être resservis au besoin, en escomptant la bonne volonté ou la distraction du lecteur. Une remarquable étude intitulée « Le Cheval » avait déjà plus d’une fois sauvé la situation lorsque, dans un autre cas de force majeure, elle fit de nouveau son apparition. L’ancien officier de cavalerie Magon de la Giclais n’était certes pas un ennemi du cheval, mais il estima que la plaisanterie avait trop duré. Surgissant à l’impromptu dans la boutique, il demanda où se trouvait le « plomb » du fameux article. Et saisissant les paquets de composition, il les précipita sur le plancher, où les caractères vinrent s’écraser en un formidable « pâté ». Ce fut la mort sans phrases du Cheval.

Celui qui agissait comme grand patron du journal n’avait assumé ce rôle que par dévouement à son parti (il était président de l’Association libérale de Saint-Boniface) et pour rendre service à son ami, Horace Chevrier. Ancien député de Saint-Boniface, celui-ci venait d’être battu par Joseph Bernier et n’avait pas renoncé à prendre sa revanche. Le Nouvelliste représentait pour lui une arme utile contre Le Manitoba, rédigé par son adversaire. Cependant. M. de la Giclais se souciait assez peu d’avoir à commander cette équipe de bohèmes difficile à manier. Un jour que le prote Arthur Boutal essuyait une nouvelle semonce dans le bureau du patron, il en sortit, à son grand étonnement, propriétaire du journal et du matériel d’imprimerie, pour la somme mirobolante de vingt-cinq dollars comptant, plus quelques autres légers versements. Ces changements d’administration n’amenèrent pas la prospérité à l’entreprise ; mais Le Nouvelliste, toujours chancelant, ne devait pas encore mourir. Il était trop commode pour donner et recevoir des coups dans les campagnes électorales qui, à cette époque, se succédaient beaucoup plus rapidement qu’aujourd’hui. Horace Chevrier demeura le bailleur de fonds attitré, si bien qu’il devint le principal créancier, presque le propriétaire, toujours sous le couvert de M. de la Giclais.


Une apprentie raconte ses souvenirs

Pauline Le Goff, qui entra au Nouvelliste comme apprentie en 1909 — alors qu’elle portait encore des tresses dans le dos — nous fournit de curieux détails sur l’organisation interne de cette entreprise journalistique :

« Le Nouvelliste n’avait, comme matériel, qu’une presse à bras et quelques casses de caractères, mais il débordait de jeunesse et de jovialité. Le journal, composé à la main, s’imprimait dans un autre atelier — de mon temps au Free Press. Le crédit de l’administration n’étant pas de tout repos, on exigeait parfois le paiement d’avance.

« Il y avait un autre apprenti typographe, Joseph de Saqui de Sannes, authentique vicomte avignonnais, d’une délicatesse et d’une sensibilité touchantes. Musicien très doué, il arrangea un Stabat Mater pour quatre voix que Paul Salé fit exécuter à la cathédrale. Avant d’être admis dans la noble corporation de l’imprimerie, au salaire initial de quatre dollars par semaine, il avait essayé tous les métiers, y compris celui de marchand ambulant (poisson, aiguilles, porte-plumes, etc.) Brun, Boutal, de Sannes et moi, nous nous mettions ensemble pour le déjeuner. J’avais la charge de l’achat de la nourriture. Oh ! ce n’était pas compliqué. Un pain, un peu de charcuterie, du beurre, du fromage. Quand nous étions riches, une douceur ou des fruits, ou peut-être un hors-d’œuvre. En me remettant son écot, de Sannes me disait toujours, dans le plus pur accent d’Avignon : « Surtout, Mlle Pauline, achetez de la margarine. C’est aussi bon que le beurre et ça coûte moins cher… »

« Joseph de Sannes partit lui aussi pour la France en 1914. À la fin de la guerre, il était capitaine d’infanterie coloniale. Un brave cœur.

« Lorsque j’entrai au Nouvelliste, en septembre 1909, il n’y avait pas de rédacteur attitré. Un Basque, Edmond Lartigau, venait de partir, après un séjour de quelques mois au journal. Il vivait encore à Montréal pendant la dernière guerre. La partie la plus importante du texte, qui consistait en articles politiques, était fournie par Horace Chevrier. Le reste arrivait au petit bonheur, le plus souvent par les ciseaux d’Arthur Boutal, qui puisait ici et là. René Brun, de retour de France à l’automne, reprit son poste habituel. Dans le surcroît de travail nécessité par une campagne électorale, cet homme extraordinaire se pliait à toutes les besognes, même les plus humbles, de l’atelier. Après avoir écrit son article, il aidait quelquefois à le composer — à la main. On le voyait aussi plier et adresser des journaux — encore à la main — ou même porter un sac de courrier à la poste. Il allait parfois jusqu’à prendre la place de l’apprenti qui poussait la voiturette conduisant les « formes » à l’imprimerie. Ses appointements de rédacteur étaient inexistants, les finances de l’entreprise permettant tout juste de verser des salaires de famine aux ouvriers et aux apprentis. Mais sa collaboration généreuse payait le loyer de sa minuscule boutique de cartes postales nichée dans le local du journal. Il y occupait un tout petit cabanon sans lumière, qui lui servait de bureau.


« Le Soleil de l’Ouest » naît des cendres du « Nouvelliste »

« Un beau jour d’été, en 1911, après quatre années d’une existence précaire, Le Nouvelliste sombra devant une caisse irrémédiablement vide. Mais Horace Chevrier, battu l’année précédente dans le comté de Carillon, était toujours rivé à la politique et de plus en plus persuadé que le parti libéral ne pouvait se passer d’un organe de langue française. C’est pourquoi Le Soleil de l’Ouest se leva radieux, né des cendres du défunt.

« L’affaire fut montée solidement, en « compagnie limitée ». On déménagea dans un nouveau local, rue Donald, où l’atelier occupait le troisième étage de l’immeuble Pulford. On fit l’acquisition d’une presse à journal, d’une linotype et de caractères neufs. Bref, l’outillage prenait un air moderne. Et qui plus est, l’échelle des salaires fut relevée. Le rédacteur en chef, René Brun, reçut alors $10 par semaine. À ce moment, il avait à peu près délaissé les cartes postales pour se livrer à la photographie commerciale. Arthur Boutal n’était plus propriétaire, mais actionnaire et directeur-gérant à $15 par semaine. Quel changement avec son ancienne position de patron au Nouvelliste ! Plus d’une fois, le samedi, à cette époque héroïque, après avoir payé son personnel, il devait se partager le fond de la caisse avec son ami, Hector Bergevin, préposé au service des annonces ; et cela leur donnait à peine de quoi manger le lendemain ! Ce fut le point de départ, pour le nouveau directeur-gérant, d’une métamorphose inespérée. Le sens des affaires, si l’on peut dire, entama sérieusement chez lui l’esprit de bohème. Son travail commença à des heures plus normales et son entourage en bénéficia. Aussi la nouvelle entreprise journalistique eut-elle un bon départ et une existence financière assez satisfaisante, pour quelque temps du moins.

« Charles Bacuez, d’Arras, fondateur de la Société Jeanne d’Arc, qui gagnait sa vie dans l’immeuble, avait collaboré bénévolement au Nouvelliste et continua de donner des articles au Soleil. Atrocement défiguré à la guerre, il ne revint pas à Saint-Boniface. Parmi les autres rédacteurs, il y eut, à la suite de Brun, avant août 1914, Louis Piéchaud, camarade de Maurice Rostand et dont le père était médecin de la famille Mauriac, qui a fait son chemin dans les lettres françaises ; Lebel, originaire de Melun, qui avait été bûcheron et trappeur dans le Grand Nord ; le Lyonnais Antoine Picot, grand et bel homme dans la trentaine, un peu bourgeois, bon enfant, qui prenait plaisir à nous raconter ses souvenirs du ranch avec le Dr Nové-Josserand, à High View.

« Je regrette de ne pouvoir évoquer tous les visages de Français que j’ai vu défiler au Nouvelliste et au Soleil de l’Ouest. Il en venait non seulement du Manitoba, mais aussi de la Saskatchewan et de l’Alberta, amenés par des amis des deux villes. »


Un rédacteur du « Figaro » qui fit ses débuts à Winnipeg

Lors de la terrible inondation de la rivière Rouge, au printemps de 1950, un chroniqueur du Figaro, de Paris, évoquait fort heureusement les deux villes de Winnipeg et de Saint-Boniface, où il avait vécu sa vingtième année. C’était ce même Louis Piéchaud, l’un des anciens rédacteurs du Soleil de l’Ouest. Il avait bien observé et laissé là-bas un peu de son cœur, celui qui, se penchant sur son passé, écrivait :

« Le printemps, c’est l’universel craquement de quelques jours. Brusquement, les deux fleuves (rivières Rouge et Assiniboine) délivrés de leur cuirasse en secouent les débris furieusement, ébranlant les ponts qui relient Winnipeg à son faubourg Saint-Boniface, où vivent 30,000 Canadiens français autour d’un important collège des Jésuites et d’une cathédrale en pierre, d’un gothique amélioré par des entrepreneurs américains.

« Cette année, Winnipeg et Saint-Boniface auront vécu un début de mai tragique. Le voyageur de jadis imagine avec chagrin les rues inondées, les petites maisons peut-être englouties, l’une d’elles où le temps de Christmas était lumineux autour de la dinde et du pudding, le piano s’en allant à la dérive, le clocher de Saint-Boniface sonnant le tocsin, ces garçons d’autrefois devenus des hommes luttant aux digues pour les mères affolées

« Mais dans peu de jours, le grand soleil de la Prairie mûrira le blé, tarira les eaux. Le glorieux été séchera les seuils, déploiera les larges feuilles des érables. Les jeunes filles inventeront des robes claires. Puis, ce sera l’automne court, la première neige, le vent nettoyant l’azur et, le soir, les jeunes gens oublieux comme la vie danseront sur l’armure de nouveau glacée des deux rivières. »

Des Manitobains ne peuvent lire sans émotion et sans fierté cette prose élégante jaillie de la plume d’un journaliste parisien qui fit ses premières armes il y a quarante-cinq ans, à Winnipeg, au Soleil de l’Ouest.

Ce modeste hebdomadaire, qui avait eu une carrière utile, fut complètement bouleversé par la guerre. Son directeur-gérant, Arthur Boutal, partit comme tant d’autres pour la France. M. de la Giclais et le rédacteur Antoine Picot en firent autant. Quant à Horace Chevrier, tout en conservant ses actions dans la compagnie, il paraissait moins s’intéresser à la politique et au journal. Ce fut Louis Baloche, un Parisien, ancien pressier au Free Press, qui recueillit la succession de Boutal. Il possédait une petite imprimerie à Norwood, en société avec un riche Belge du nom de Collomb, qui apporta du capital nouveau au Soleil. Socialiste et plus ou moins antimilitariste, le nouveau directeur-gérant se mit à écrire des articles patriotiques bourrés de fautes de français, pour démontrer qu’il valait mieux que sa réputation. Me Albert Dubuc devint alors le rédacteur attitré. Comme administrateur, Baloche, non content de se mettre tout le monde à dos par ses procédés indélicats, gaspilla promptement les fonds de Collomb et des autres. Et c’est ainsi que Le Soleil de l’Ouest, comme Le Nouvelliste, sombrait à son tour en mars 1916.

Pauline Le Goff avait fui cette galère dès le début du nouveau régime. Ce fut en France, où elle était allée se marier, en pleine guerre, à Angoulême, avec Arthur Boutal sous les drapeaux, que tous deux apprirent la nouvelle du dénouement fatal. Comment n’y auraient-ils pas été très sensibles ? C’étaient pour l’une cinq et pour l’autre sept belles années de jeunesse que représentait l’existence toujours précaire de ces deux journaux auxquels ils s’étaient donnés corps et âme.


« La Libre Parole » et A.-H. de Trémaudan

Mais le vide causé par la disparition du Soleil de l’Ouest fut comblé sans délai. Un Canadien français du nom de Robert possédait, rue Princess, à Winnipeg. une imprimerie bien montée, qui exécutait des travaux pour les deux grandes compagnies de chemins de fer. L’homme disposait de capitaux et entretenait un vieux désir de faire du journalisme. Il saisit l’occasion et, avec l’avocat Auguste-Henri de Trémaudan, lança La Libre Parole. Le professeur Albert Doyen, de l’Université du Manitoba, lui succéda bientôt comme rédacteur en chef.

Né dans la province de Québec, de parents bretons qui furent parmi les fondateurs de Montmartre, en Saskatchewan, Trémaudan avait débuté dans le journalisme en dotant d’une feuille anglaise la ville naissante du Pas, dans le nord du Manitoba. Il a laissé quelques ouvrages qui attestent ses convictions patriotiques et une admirable ardeur au travail : The Hudson Bay Road, Le Sang français, Histoire de la Nation métisse, sans parler de plusieurs pièces de théâtre.

De format plus grand et de présentation plus soignée que ses prédécesseurs, La Libre Parole n’eut pas leur vie pittoresque et disparut après trois ans de publication. Elle ne réussit pas à soutenir la concurrence du Manitoba, presque cinquantenaire, et de La Liberté, fondée en 1913, qui s’établissait sur des bases durables.

Au nombre des journaux mort-nés, on pourrait citer Le Démocrate, de Paul Lardon, au début de la première Grande Guerre. Mais celui-ci, ancien professeur d’histoire à Lyon, était avant tout un poète, avec, comme autre métier, celui de garçon d’ascenseur à l’hôpital. Il fréquentait assez régulièrement l’atelier du Nouvelliste, puis du Soleil de l’Ouest, où ses vers se mêlaient à la prose des rédacteurs. Son expression favorite, qui terminait généralement chacune de ses phrases, était : « Etc., etc., etc., etc…, voilà l’affaire !… »


La poésie à Saint-Boniface

Lardon publia les Poésies de Saint-Boniface, premier recueil du genre paru dans l’Ouest canadien, qu’il dédia à la supérieure des Sœurs Grises. Le poète américain Whittier a chanté les fameuses tourelles et les cloches de Saint-Boniface. Lardon a repris le thème sur un mode lyrique plus familier dans des strophes que Paul Salé mit en musique :


Je suis la cloche de l’église,
Celle que bénit Provencher ;
Trois fois j’ai changé de clocher,
Non ma voix qu’emporte la brise.

Venez, venez ! Priez, priez !
Pleurez vos larmes de tristesse ;
Souriez, riez d’allégresse ;
Vous ai-je jamais délaissés ?

Depuis cent ans je vous baptise ;
J’aime à nouer les doux liens ;
Évêque et prêtres canadiens
Se font chez moi, dans mon église.

Et quand, las, vous vous étendez
Tout autour de moi dans la tombe,
Mon cœur se gonfle et mon glas tombe ;
Je sanglote : Miserere !

Vous passez, seule je demeure :
Suis-je pas là pour vous garder ?
Nul ne m’a vue abandonner
Mon poste pour une seule heure.

De la Cène au Samedi Saint
Je me tais, je pleure en silence.
Autrement je pleure et je danse
Sur un signe du sacristain.


Carrière brillante du Cercle Molière

Franchissons maintenant la période de la guerre 1914-1918 pour esquisser la reprise de l’effort théâtral à Saint-Boniface et son extraordinaire réussite.

Le Cercle Molière, fondé en 1925 par un Belge, M. André Castelein de la Lande, donnait sa première représentation à Winnipeg, au Théâtre Walker, avec « Le Monde où l’on s’ennuie », d’Édouard Pailleron. C’était le mouvement lancé quinze ans plus tôt par René Brun qui reprenait avec une vigueur nouvelle et allait s’épanouir d’une façon inattendue.

Ce fut l’œuvre d’un petit nombre d’ardents, qui travaillèrent longtemps dans la pauvreté, faisant tout — décors, costumes et le reste — de leurs mains. Mme Le Goff s’improvisa costumière, faisant preuve d’une ingéniosité et d’un dévouement admirables. Les répétitions avaient lieu dans une ancienne épicerie désaffectée. Le propriétaire étant mort, sa veuve avait converti le magasin en salle de réunion qu’elle louait à un prix modique. À quoi peut tenir une vocation artistique !… Cette femme, qui n’était plus jeune, tapie dans un coin obscur contre le piano, pour ne pas gêner les acteurs, ne perdait pas un de leurs mots ni de leurs gestes — prête aux rires et aux larmes — tout entière aux scènes qui s’ébauchaient sous ses yeux. Elle n’ouvrait la bouche que pour imposer silence, de temps à autre, à son malicieux perroquet qui, de sa cage dans la cuisine, choisissait les moments les plus pathétiques de la pièce pour appeler : « Eda ! Eda !… » Un si beau zèle méritait récompense. On confia un rôle à Mme Eda Pelletier dans « Chut ! voilà la bonne ! », d’Albert Acremant, et elle y fit merveille. Elle figura par la suite dans plusieurs distributions et toujours avec bonheur. Actrice excellente, très goûtée du public, Mme Pelletier mérita en outre le titre de « Grand-mère du Cercle Molière ». C’est bien chez elle, en effet, qu’il commença de prendre son essor.

Depuis 1925, le Cercle Molière a monté presque tous les ans au moins une grande pièce. Dès 1928, M. de la Lande s’étant retiré pour se donner plus librement à ses leçons de français, Arthur Boutal, qui appartenait au groupe depuis le début, en prit la direction. « L’Arlésienne » avait été, cette année-là, un véritable succès, même du point de vue financier. Une sorte de tradition se liait bientôt aux entreprises du Cercle et il importait de ne pas la briser. Tout en abordant différents genres, on apporta beaucoup de soins au choix des pièces et l’on finit par grouper un public suffisamment nombreux pour assurer la vie de l’organisation.

Le Cercle a donné entre autres, dans la première phase de son existence : « Les deux Pierrot », d’Edmond Rostand : « L’Échelle cassée » et « Un jeune homme qui se tue », de Georges Berr ; « Popaul et Virginie », d’Alfred Machard (Gisèle LaFlèche, aujourd’hui une vedette américaine du vaudeville, y fit ses débuts à vingt mois) ; « Le Tampon du Capiston », de Mouézy-Éon, pour ceux qui aiment la farce au théâtre, et « Le Train fantôme », d’Erlanger, pour les amateurs de spectacles policiers.

En 1934, « Blanchette », d’Eugène Brieux, d’abord présentée au public de Winnipeg, fut demandée au Festival dramatique national, qui venait d’être fondé l’année précédente par lord Bessborough, gouverneur général du Canada. À Ottawa, elle obtint le prix de la meilleure pièce française. Ce fut la première d’une suite de présentations au Festival et de succès qui attirèrent l’attention de tout le pays sur le Cercle Molière.

Vinrent ensuite « Le Gendre de M. Poirier (direction Denys Goulet), « Les Sœurs Guedonnec » (l’une des trois sœurs était Gabrielle Roy, devenue la grande romancière du Canada français), « Le Voyage à Biarritz », « Poil de Carotte ».

Arthur Boutal, qui avait été l’âme du Cercle et l’avait conduit aux plus hauts honneurs, mourut brusquement en 1941. Qu’allait devenir le groupe privé de son chef ? Mme Pauline Boutal, non contente de fournir à la troupe sa meilleure actrice, avait été le bras droit de son mari dans ses lourdes et multiples tâches de directeur. Elle a recueilli sa succession, ce qui a permis au Cercle Molière de poursuivre sa brillante carrière avec « La Donation », « L’Avare », « Prisonnier de mon cœur » (direction Christiane Le Goff), « Le Village des miracles », « Le Médecin malgré lui », « Les Fourberies de Scapin ».

Le tableau suivant embrasse l’ensemble des succès remportés au Festival dramatique, supérieur à ceux de tout autre groupe de théâtre amateur au Canada :

Concours final
1934 — Blanchette, Ottawa, prix de meilleure pièce française (direction Arthur Boutal).
1936 — Les Sœurs Guedonnec, Ottawa, meilleure pièce française, meilleure actrice française (direction Arthur Boutal).
1937 — Le Voyage à Biarritz, Ottawa, meilleur acteur français (direction Arthur Boutal).
1938 — Le Chant du berceau, Winnipeg, meilleure pièce française, meilleure actrice française, meilleure actrice (direction Arthur Boutal).
1948 — La Donation, Ottawa, meilleure pièce française, deux mentions honorables (direction Pauline Boutal).
1950 — L’Avare, Calgary, meilleure pièce française (direction Pauline Boutal).
Concours régional
1951 — Prisonnier de mon cœur, meilleure pièce, meilleur acteur (direction Christiane Le Goff).
1953 — Le Village des miracles, meilleure pièce (direction Pauline Boutal).
1954 — Le Médecin malgré lui, meilleure direction, meilleur acteur, meilleure actrice de soutien (direction Pauline Boutal).

Le Cercle Molière ne s’est pas contenté de fournir du personnel compétent à Radio-Saint-Boniface ; il en a exporté dans les autres régions du pays. C’est ainsi que l’on trouvait à Edmonton Léo Rémillard, gérant du poste français, maintenant devenu coordonnateur des émissions françaises pour Radio-Canada, à Winnipeg ; à Québec, René Dussault, gérant du poste français ; à Montréal, Henri Bergeron, à Radio-Canada, et Bernard Goulet, au poste de La Presse : à Shawinigan Falls, Gaston Tessier, gérant adjoint au poste français. Dans le milieu anglo-saxon et cosmopolite où il évolue, son action bienfaisante se fait sentir non seulement chez les Canadiens français du Manitoba comme un stimulant dans le maintien de notre langue, mais aussi parmi une élite d’origines diverses capable d’apprécier le bon théâtre français.[1]

  1. Précieux collaborateurs pour ce chapitre : Mme Pauline Boutal et M. Joseph Vermander.