Les Frères de la Bonne Trogne (De Coster)/03


Imprimerie de F. Parent (p. 3).
◄  II.
IV.  ►


III.


À la troisième heure, survint Blaeskaek et prit nouvelles. — Mais comme il s’en voulait aller, il fut arrêté par Pieter Gans, lequel lui dit : « Ayant célé le secret aux miens serviteurs, de peur qu’ils n’en aillent caqueter à l’ecclésiastique, je suis comme seul en la maison. — Il ne faut donc point partir de sitôt, car il peut advenir céans quelque méchante affaire, et pour lors il fera bon avoir du cœur au ventre. Seul je n’en aurai point, mais à deux nous en aurons de trop. — Il convient aussi nous bien armer en guerre. Et en place de dormir nous banquetterons et boirons allègrement. »

« — Je le veux, dit Blaeskaek, mais du vieux, si me croyez. »

Environ vers la minuit, les deux compagnons choppinant en une salle basse, à ventres déboutonnés, mais non toutefois sans appréhension, ouïrent la même voix non plus lamentable, mais joyeuse, chanter chansons en langue tout à fait étrange ; et il y eut cantiques bien doux, comme qui dirait anges — (parlant sauf leur respect), lesquels en paradis auraient bu trop d’ambroisie, voix de femmes bien célestes, miaulements de tigres, soupirs, bruits d’accolades et baisers amoureux.

Ho ! ho ! s’exclamait Pieter Gans, qu’avons-nous ici ? doux Jésus ! — Ce sont diables pour sûr. — Ils me vont vider la pipe entièrement. Et estimeront excellente ma cervoise et en voudront boire de rechef et à chaque nuit ulleront plus fort : Mouille ! mouille ! Et je serai ruiné, las ! las ! — Çà, compagnon Blaeskaek — et ce disant tira son kuyven, lequel est, comme vous savez, un fort couteau bien affilé, — çà, il nous les faut chasser par force, mais je n’en ai le courage. »

— J’y vais, répondit Blaeskaek, mais tantôt seulement, au chant du coq. On dit que lors diables ne mordent point.

Davant le clair soleil levé chanta le coq.

Et il eut à ce matin si martiale voix que l’on eût dit claire trompette.

Et ayant ouï la trompette, mirent fin subitement à leurs propos et chansons tous les diables buveurs.

Ce dont Pieter Gans et Blaeskaek furent grandement ravis. — Et coururent au clos en grande hâte.

Pieter Gans, empêché à quérir sa pipe de cervoise, la vit muée en pierre et au-dessus était assis comme sus un roussin, une manière de garçonnet nu tout à fait, garçonnet gentil et mignon, couronné de pampres allègrement, avec grappes pendant sur l’oreille. — Et il avait en la main droite un bâton, ayant pomme de pin au bout et tout autour enlacés pampres et grappes.

Et le garçonnet, ce nonobstant qu’il fût de pierre, semblait vivant tant il avait bonne trogne.

Grandement furent effrayés Gans et Blaeskaek, à la contemplation dudit garçonnet.

Et redoutèrent maléfice du diable et punition de l’ecclésiastique, et jurèrent de n’en souffer mot à nully, et mirent la figure laquelle n’était point bien haute en une noire cave où il n’était rien à humer.