G. Charpentier, éditeur (p. 84-86).

XI

Les premières fois que le petit saltimbanque prenait part aux exercices de la troupe, qu’il mettait son maillot, son caleçon, ses bottines, le spectacle était vraiment curieux de l’élancement bondissant du bambin dans l’amphithéâtre, tout à coup arrêté net sur les jarrets, par un subit accès de timidité, par une peur enfantine, presque comique, venant au débutant de tout ce public le regardant. On le voyait alors insensiblement opérer sa retraite du côté de Gianni, et se réfugier tout contre lui, plein d’embarras, de petits frémissements lui courant les épaules, et se grattant le derrière du cou de sa main retournée par contenance. Puis l’enfant aux longs cheveux, aux membres grêles, naturellement et comme si les poses des statues antiques étaient nées de la gymnastique, croisait ses bras, et une jambe devant l’autre posée sur l’orteil, le talon relevé, semblait dans son immobilité une statuette du Repos dans un musée.

Mais cette tranquillité, cet apaisement ne duraient qu’un instant chez Nello. Bientôt il se mêlait aux tours des autres, venant à tout moment, comme s’il travaillait sérieusement, s’essuyer au mouchoir jeté sur la barrière ; il tentait de se tenir horizontalement, en s’accrochant à l’un des montants du trapèze de son frère, roulant presque aussitôt dans la petite montagne de sable du mât, et y disparaissant à demi ; il se livrait à des promenades sur les mains, à la série des sauts d’usage et d’habitude, à ces retournements où lentement et péniblement le corps paraît se redresser sur des reins brisés. Ces hors-d’œuvre de la représentation, ces petits tours, souvent manqués, Nello les faisait et les refaisait avec une pétulance, une alacrité, un entrain où il y avait le plaisir d’un gamin qui joue, un rire des yeux rempli d’une émotion humide, des saluts de ses petits bras contournés et gracieux à l’adresse des applaudisseurs, tout à fait amusants : et cela était accompli, quelque chose de décidé, de résolu, d’audacieux, de presque héroïque répandu sur sa gentille figure. Mais déjà, son rôle fini, de toute la rapidité de ses jambes il était revenu près de Gianni chercher, comme récompense, le passage et la caresse dans ses cheveux des doigts de son frère, qui quelquefois, le soulevant sur la paume de sa main, la tête en bas, tenait ainsi renversés le petit corps brandillant et cette colonne vertébrale encore molle dans un équilibre qui durait une seconde.