Les Frères Kip/Première partie/Chapitre XIII

Hetzel (p. 282-299).


XIII

l’assassinat.


Voici ce qui s’était passé :

Dès qu’il eut donné ses dernières instructions pour que le James-Cook fût prêt à appareiller le lendemain au jour levant, le capitaine Gibson débarqua et se rendit d’abord au comptoir.

Une petite sacoche qu’il portait contenait la somme de deux mille piastres en or, qu’il devait verser entre les mains de M. Hamburg.

Une partie de l’équipage avait quitté le brick après lui, et les frères Kip étaient déjà en promenade aux environs du port.

Lorsque M. Gibson arriva au comptoir, un des employés lui remit des papiers de diverses sortes, son connaissement et autres.

Le soleil, durant deux heures encore, allait éclairer les hauteurs de l’îlot Kabokon. Le capitaine connaissait bien la route qui conduisait à la villa, et il ne pouvait craindre de s’égarer.

Une fois engagé sous bois au fond du port, M. Gibson marcha pendant un demi-mille, et il se disposait à obliquer vers la gauche, lorsqu’il fut violemment projeté à terre. Deux hommes venaient de se précipiter sur lui, et l’un d’eux l’étreignait à la gorge. Étourdi d’un coup violent qui lui avait été porté à la poitrine, il ne les reconnut pas, ayant presque aussitôt perdu l’usage de ses sens.

Ces deux hommes le prirent alors par les épaules et par les pieds, et le transportèrent à cinq cents pas à travers le bois.

Après s’être arrêtés au bord d’une clairière, les malfaiteurs déposèrent leur victime à terre, et l’un d’eux dit :

« Il faut l’achever… »

À ce moment, les yeux de M. Gibson se rouvrirent :

« Flig Balt !… Vin Mod ! » prononça-t-il.

C’étaient le maître d’équipage et Vin Mod qui avaient commis ce crime. Vin Mod serait enfin délivré d’Harry Gibson avec l’espoir assez justifié que Flig Balt obtiendrait le commandement du navire. Alors, sous la direction du nouveau capitaine, au lieu de faire voile pour Hobart-Town, le brick se jetterait hors de sa route, et, sans que M. Hawkins pût s’en apercevoir, il gagnerait vers l’est les parages des îles Salomon. Là, on verrait à se débarrasser de l’armateur, de Nat Gibson, des frères Kip, de ceux des hommes qui ne voudraient pas s’associer à une campagne de piraterie. Ce qui n’avait pas été fait entre la Nouvelle-Zélande et l’archipel Bismarck se ferait après le départ de Port-Praslin.

Après que M. Gibson eut crié le nom des deux assassins, ces mots s’échappèrent de ses lèvres :

« Misérables… misérables ! »

Il voulut se relever, il voulut se défendre, et que pouvait-il, lui sans armes, contre deux hommes vigoureux et armés ?…

« Au secours ! » cria-t-il encore.

Vin Mod se précipita sur le malheureux, et de la main lui ferma la bouche, tandis que Flig Balt, du poignard qui avait été volé à bord de la Wilhelmina par son complice, le frappait en pleine poitrine.

Harry Gibson poussa un suprême gémissement ; puis ses yeux grands ouverts, d’où jaillissait un regard d’épouvante, se fixèrent une dernière fois sur ses meurtriers. La lame du poignard l’avait atteint au cœur, et, après une seconde d’angoisse, il retomba mort.

« Capitaine Balt… salut ! » dit Vin Mod en portant la main à son béret.

Le maître d’équipage, terrifié, reculait devant les yeux de sa victime, qui, vivement éclairés par un rayon de soleil, le regardaient toujours.

Vin Mod, ayant conservé tout son sang-froid, fouilla la poche du capitaine, où il trouva les papiers de bord et la sacoche, de laquelle il retira les deux mille piastres.

« Agréable surprise ! » s’écria-t-il.

Puis, tapant sur l’épaule du maître d’équipage, toujours immobilisé sous le regard du cadavre :

« Filons ! » dit-il.

Et laissant le corps à cette place, où il ne serait probablement pas découvert avant le départ du brick, tous deux, regagnant le sentier, se dirigèrent rapidement vers le port.

Un quart d’heure plus tard, ils mettaient le pied sur le pont du James-Cook. Flig Balt réintégra sa cabine. Vin Mod descendit au poste de l’équipage, vide alors, et cacha au fond de son sac les papiers du capitaine Gibson, les piastres volées et le poignard qui avait servi à l’assassinat.

Une demi-heure s’était écoulée, lorsque Karl et Pieter rentrèrent à bord, et, en attendant le retour des invités de M. Hamburg, ils vinrent s’asseoir à l’arrière du rouf.

Quant à Vin Mod, le misérable remonta, vers l’avant-pont. Affectant même une extrême gaieté, il se mit à causer avec les matelots Hobbes et Wickley, qui n’étaient point descendus à terre.

Ainsi avait été commis le crime.

Ce fut l’employé d’une factorerie qui, le lendemain, traversant la clairière, découvrit le corps du capitaine Gibson. Il revint en toute hâte au comptoir, et le bruit du meurtre se répandit aussitôt.

À cette nouvelle, Nat Gibson fut comme foudroyé. On sait quel lien d’affection unissait le père et le fils. M. Hawkins, aussi terriblement frappé que le malheureux jeune homme, n’aurait pu lui donner des soins. Les frères Kip durent le transporter dans sa cabine, où il finit par reprendre connaissance. Tous deux, d’ailleurs, témoignaient de la plus vive douleur et de la plus profonde indignation.

L’équipage était atterré. Jim pleurait à grosses larmes. Hobbes, Wickley, Burnes, ne pouvaient croire à la mort de leur capitaine. Flig Balt et Vin Mod se répandaient en violentes menaces contre le meurtrier.

Seules les recrues de Dunedin montrèrent une complète indifférence. On ne l’ignore pas, Len Cannon et les autres avaient décidé de débarquer ce jour-là — ce qui eût compromis et même peut-être empêché le départ du brick. Mais, M. Gibson disparu, leurs dispositions allaient sans doute être modifiées. À plusieurs reprises, Len Cannon jeta à Vin Mod un regard interrogateur. Celui-ci détournait la tête, comme pour ne pas le comprendre.

Cependant Nat Gibson, dès qu’il fut revenu à lui, s’élança hors de sa cabine :

« Mon père !… s’écria-t-il. Je veux revoir mon père !… »

Karl Kip tenta de le retenir. Nat le repoussa et se précipita sur le pont.

M. Hamburg, qui avait regagné son habitation, s’était hâté d’accourir dès qu’il eut été informé du meurtre. Il arriva même à bord au moment où Nat Gibson cherchait à débarquer, et il lui dit :

« Je vous accompagne. »

Il était huit heures. MM. Hamburg et Zieger, M. Hawkins et Nat Gibson, les frères Kip, quelques employés de la factorerie, prirent à travers la forêt pour atteindre la clairière, ce qui ne demanda que dix minutes à peine.

Le corps était dans l’état où les meurtriers l’avaient laissé, étendu sur le sol, les yeux toujours démesurément ouverts, comme si la vie ne l’eût pas encore quitté.

Nat Gibson s’agenouilla près de son père. Il l’embrassait, l’appelait, et appelait aussi sa mère… Lorsque Mme Gibson apprendrait cet horrible malheur, y survivrait-elle, la malheureuse femme !…

Cependant M. Hamburg, auquel incombait le soin de faire une enquête, examinait les traces laissées sur l’herbe, et il crut reconnaître, à des empreintes de pas récentes, que le meurtre avait eu deux hommes pour auteurs. Puis, après avoir entrouvert les vêtements de M. Gibson, il constata à la poitrine une plaie produite par une lame dentelée, plaie ayant peu saigné. Quant à l’argent et aux papiers que portait le capitaine, ils avaient disparu.

Il était donc certain que le vol avait été le mobile du crime. Mais qui l’avait commis ?… Quelque colon de Kerawara ?… Cela semblait tout d’abord douteux… N’étaient-ce pas plutôt des indigènes ?… et, en réalité, ils sont assez suspects… Mais comment et où découvrir les assassins ?… Le meurtre accompli, n’avaient-ils pas immédiatement quitté Kerawara sur leur pirogue pour regagner l’île d’York ?… En quelques heures, ils avaient pu se mettre à l’abri de toute poursuite…

Il était donc probable que ce crime demeurerait impuni, comme tant d’autres dont ces parages, depuis la Nouvelle-Guinée jusqu’à l’archipel des Salomon, ont été le théâtre.

À présent, il fallait transporter le corps à la factorerie. M. Hamburg avait fait apporter une civière, sur laquelle on déposa le mort. Puis tous, Nat Gibson au bras de M. Hawkins, reprirent le chemin du port.

Le cadavre fut placé dans une salle du comptoir, en attendant que M. Hamburg eût terminé son enquête. Quant à l’inhumation, cette triste cérémonie s’accomplirait dès le lendemain, car la décomposition s’opère rapidement sous ce brûlant climat des Tropiques.

Le missionnaire qui se trouvait alors à Kerawara vint s’agenouiller et prier près de la victime.

M. Zieger reconduisit à bord Nat Gibson qui, dans un inquiétant état de prostration, resta couché sur le cadre de sa cabine.

Entre temps, M. Hamburg ne cessait de prendre des renseignements de nature à le mettre sur la trace des meurtriers. Après qu’il eut ramené MM. Hawkins et Zieger à la factorerie, il s’entretint avec eux à ce sujet, et lorsqu’ils lui demandèrent quels pouvaient, à son avis, être les auteurs du crime :

« Assurément des indigènes, répondit-il.

— Pour voler le pauvre M. Gibson ?… demanda M. Hawkins.

— Oui… Ils auront appris qu’il devait rapporter une somme d’argent… » ils l’auront guetté, suivi dans la forêt, attaqué, dépouillé…

— Mais comment les découvrir ?… dit M. Zieger.

— Ce sera presque impossible, déclara M. Hamburg. Sur quels indices s’appuyer pour commencer les recherches ?…

— Il y aurait une chose à faire, observa M. Zieger, ce serait de photographier la plaie faite par l’arme du meurtrier, et, si l’on retrouvait cette arme, peut-être apprendrait-on à qui elle appartenait…

— Vous avez raison, répondit M. Hamburg, et je demande à monsieur Hawkins de procéder à cette opération.

— Oui… oui ! approuva M. Hawkins, dont l’émotion faisait trembler la voix, et que ce crime affreux ne reste pas impuni ! »

M. Zieger alla chercher l’appareil à bord et revint quelques minutes après. La poitrine du capitaine Gibson mise à nu, on fit un nouvel examen très minutieux de la blessure.

Elle ne mesurait qu’un demi-pouce de largeur, et, d’un côté, ses bords présentaient une dentelure, comme si la peau eût été sciée.

Et alors M. Hamburg de dire :

« Vous le voyez, c’est avec une arme indigène que le coup a été porté… un de ces kriss à lame dentelée dont se servent les naturels. »

Deux clichés furent obtenus avec une extrême précision. L’un reproduisait la poitrine d’Harry Gibson, l’autre sa tête. Ses yeux étaient encore largement ouverts, et M. Hawkins les referma ensuite. Il fut convenu que ces photographies seraient laissées entre les mains de M. Hamburg pour son enquête. Quant aux clichés, que conserverait M. Hawkins, ils lui serviraient à tirer d’autres épreuves. L’image de son malheureux ami, mort à Kerawara, serait rapportée dans sa ville natale.

Il fallut, dans l’après-midi, procéder à la mise en bière. Les obsèques se feraient le lendemain matin. Une place fut choisie dans le petit cimetière de Kerawara. C’eût été trop tarder que d’attendre le retour à Port-Praslin pour creuser la fosse destinée à recevoir le corps.

Cette triste journée s’acheva au milieu de la désolation générale. Vint la nuit, que Nat Gibson, étouffé de sanglots, passa sans avoir pu trouver un instant de sommeil.

Le lendemain, les funérailles eurent le concours de toute la population anglaise et allemande de Kerawara. Le pavillon du James-Cook étant en berne, les autres navires hissèrent le leur à mi-mât en signe de deuil.

Le cercueil, recouvert du drapeau national, fut porté par quatre hommes du brick. Nat Gibson, le gouverneur, M. Hawkins, M. Zieger marchaient derrière, suivis de Flig Balt et du reste de l’équipage auquel s’étaient joints les matelots des autres bâtiments.

Le missionnaire anglican, précédant le cercueil, récitait les prières liturgiques.

Le funèbre cortège atteignit le cimetière, et là, devant la tombe, M. Hamburg prononça quelques paroles en souvenir du capitaine Gibson.

La douleur de Nat faisait pitié. M. Hawkins pouvait à peine le soutenir. Une dernière fois, le jeune homme voulut se jeter sur le cercueil de son père. Puis la bière fut descendue dans la fosse, sur laquelle M. Hamburg fit placer une croix de bois avec cette inscription :

Au capitaine Harry Gibson
d’Hobart-Town,
Assassiné le 2 décembre 1885,
Son fils, ses amis, son équipage,
et la population de Kerawara.
Dieu reçoive son âme !

Les recherches auxquelles s’était livré M. Hamburg n’avaient point donné de résultat. Le crime accompli, les meurtriers s’étaient sans doute hâtés de quitter Kerawara pour se réfugier chez les tribus du Neu-Lauenburg. Dans ces conditions, comment espérer jamais les découvrir, puisque les pirogues indigènes circulaient jour et nuit entre l’îlot et l’île ?… Retrouverait-on l’arme qui avait servi à l’assassinat et celui à qui elle appartenait ?… Seul le hasard pouvait intervenir en cette affaire, et interviendrait-il ?…

Le brick ne prolongea pas son séjour à Kerawara. Le matin même où se répandit la nouvelle du meurtre, il était prêt à prendre la mer pour revenir à Port-Praslin.

Aussi, d’accord avec M. Zieger, M. Hawkins fit-il venir le maître d’équipage dans le carré, et il lui dit :

« Flig Balt, le James-Cook a perdu son capitaine…

— Et c’est un grand malheur, répondit Flig Balt, dont la voix tremblait d’une émotion qui n’était pas celle de la douleur.

— Je sais, poursuivit M. Hawkins, combien mon malheureux ami avait confiance en vous… et, cette confiance, je suis disposé à vous la continuer. »

Le maître d’équipage, les yeux baissés, s’inclina sans prononcer une seule parole.

« Demain, Flig Balt, reprit l’armateur, le James-Cook appareillera, et vous le reconduirez à Port-Praslin. Là nous achèverons le chargement, et, dès que l’opération sera terminée, il fera voile pour Hobart-Town.

— À vos ordres, monsieur Hawkins », répondit Flig Balt en se retirant.

M. Hawkins avait bien dit que le maître d’équipage remplacerait M. Gibson dans la direction du navire, mais non qu’il en serait le capitaine, Peut-être même ne songeait-il pas à lui donner officiellement ce titre et trouvait-il suffisant qu’il en remplît les fonctions pendant la traversée de l’archipel Bismarck à la Tasmanie. Le maître d’équipage l’avait bien remarqué. Aussi s’en expliqua-t-il avec Vin Mod quelques instants après :

« Eh qu’importe ! repartit le matelot. Reconduisons d’abord le brick à Port-Praslin… Que vous soyez ensuite le capitaine ou le second, c’est tout un, maître Balt !… Lorsque nous serons en possession du navire, c’est nous qui vous en nommerons le capitaine, et que je sois pendu si cette nomination ne vaut pas celle de Hawkins ! »

Du reste, Len Cannon et ses compagnons, s’ils ignoraient que Flig Balt et Vin Mod fussent les assassins de M. Gibson, étaient assurés maintenant que le brick ne reviendrait pas à Hobart-Town, et ils ne parlèrent plus de débarquer.

Le lendemain, 5 décembre, M. Hawkins prit congé du gouverneur. M. Hamburg serra Nat Gibson dans ses bras et lui promit de faire toute diligence pour découvrir les meurtriers de son père. S’il y parvenait, la justice allemande serait sans pitié pour eux !… Ils payeraient de leur tête cet abominable crime.

Puis M. Hawkins, M. Zieger, Karl et Pieter Kip firent leurs adieux — et combien tristes ! — au gouverneur et aux autres agents des factoreries de Kerawara.

L’appareillage s’effectua sous les ordres de Flig Balt.

Une heure après, le brick, sorti des bancs madréporiques, marchait au sud-est, perdait de vue le cap Barard, la pointe la plus avancée de l’île d’York, et se dirigeait vers l’entrée du canal Saint-Georges.

La traversée allait être rapide et ne demander que vingt-quatre heures. Flig Balt n’eut pas à se plaindre de l’équipage, dont le service s’accomplit régulièrement. Point de manœuvres à exécuter, d’ailleurs, avec ce vent favorable qui n’exigeait aucun changement d’amures. Que Flig Balt fût ou ne fût pas un bon marin, cette courte navigation n’aurait pas permis d’en juger. Il convenait d’attendre qu’il eût ramené le navire à Hobart-Town. Du reste, il n’occupait point la cabine du capitaine et garda la sienne à l’entrée du poste.

Pendant la nuit, à Len Cannon, qui l’interrogeait, alors qu’ils étaient tous deux de quart, Vin Mod répondit de façon à satisfaire ses compagnons et lui. Le James-Cook ne retournerait pas en Tasmanie, Capitaine ou non, Flig Balt saurait le rejeter hors de sa route… Une fois dans les parages des Salomon, il ne serait pas difficile d’en finir avec les passagers du bord… N’y a-t-il pas toujours par là d’honnêtes matelots en quête d’aventures qui, au besoin, s’empresseraient de leur prêter main-forte ?… Len Cannon et les autres n’avaient donc aucune raison de quitter le James-Cook, dont ils ne tarderaient pas à devenir maîtres.

Les hauteurs de Lanut furent aperçues dans la matinée du 6 décembre. Avant midi, le bâtiment serait à son ancrage devant le comptoir de M. Zieger.

Comme il arrivait avec son pavillon en berne, on comprit, à Port-Praslin, qu’il y avait un malheur.

Et quelle fut la désolation générale, lorsque l’on sut en quelles conditions M. Gibson était mort ! Mme Zieger, qui était accourue sur le quai, reçut Nat Gibson dans ses bras à l’instant où il débarquait. Les sanglots la suffoquaient, et, dès qu’elle put parler :

« Mon pauvre Nat… mon pauvre enfant… et votre mère… votre mère !… » répéta-t-elle, tandis que ses yeux se noyaient de larmes.

Nat Gibson dut accepter de passer à Wilhelmstaf les derniers jours de la relâche, M. Hawkins également. C’est ainsi que tous deux reprirent leurs chambres et s’assirent à la table de cette hospitalière maison où M. Gibson ne devait plus revenir !

M. Zieger ne voulut laisser à personne le soin de surveiller l’embarquement des cent cinquante tonnes de coprah en complément de la cargaison du brick. Il y fut aidé, d’ailleurs, par Karl et Pieter Kip, qui ne quittèrent pas le navire, même une heure. L’aîné des deux frères s’entendait parfaitement à ces arrimages, et, au surplus, Flig Balt s’en fût tiré sans peine, tant l’équipage le secondait avec zèle.

Le coprah mis en cale, on répartit à l’avant et à l’arrière les caisses de nacre à destination de Hobart-Town. En outre, comme, avant son voyage à Kerawara, le capitaine avait fait procéder aux travaux de nettoyage et de peinture, le départ ne fut pas retardé de ce chef.

Tout était terminé dans l’après-midi du 9.

Ce soir-là, M. Hawkins et Nat Gibson, accompagnés de M. et Mme Zieger, rentrèrent à bord, afin que le James-Cook pût mettre à la voile dès l’aube.

Lorsqu’ils arrivèrent, ils furent reçus par Flig Balt, qui se tenait à l’échelle. M. Hawkins lui dit alors :

« Tout est paré ?…

— Oui, monsieur Hawkins.

— Eh bien, Flig Balt, demain, nous prendrons la mer… Vous avez conduit le brick de Kerawara à Port-Praslin, conduisez-le de Port-Praslin à Hobart-Town… Vous le commandez désormais…

— Je vous remercie, monsieur Hawkins », répondit Flig Balt, tandis que l’équipage laissait entendre un murmure approbatif.

L’armateur serra la main du nouveau capitaine, mais ne s’aperçut pas qu’elle tremblait dans la sienne.

M. et Mme Zieger firent leurs adieux à Nat Gibson, à M. Hawkins, et n’oublièrent pas les frères Kip, pour lesquels ils éprouvaient une vive sympathie. Puis, sur la promesse d’aller passer, dès qu’ils le pourraient, quelques semaines en Tasmanie près des deux familles, ils regagnèrent leur habitation.

Le lendemain, dès cinq heures du matin, le capitaine Balt fit ses préparatifs d’appareillage.

Une heure après être sorti des passes de Port-Praslin, le James-Cook, cap au sud-est, se trouvait au large de la Nouvelle-Irlande.