Les Frères Karamazov (trad. Henri Mongault)/XII/05


Traduction par Henri Mongault.
NRF (2p. 682-690).

V

Brusque catastrophe

Il avait été appelé avant Aliocha. Mais l’huissier informa le président qu’une indisposition subite empêchait le témoin de comparaître et qu’aussitôt remis il viendrait déposer. On n’y fit d’ailleurs pas attention, et son arrivée passa presque inaperçue ; les principaux témoins, surtout les deux rivales, étaient déjà entendues, la curiosité commençait à se lasser. On n’attendait rien de nouveau des dernières dépositions. Le temps passait. Ivan s’avança avec une lenteur étrange, sans regarder personne, la tête baissée, l’air absorbé. Il était mis correctement, mais son visage, marqué par la maladie, avait une teinte terreuse et rappelait celui d’un mourant. Il leva les yeux, parcourut la salle d’un regard trouble. Aliocha se dressa, poussa une exclamation, mais on n’y prit pas garde.

Le président rappela au témoin qu’il n’avait pas prêté serment et pouvait garder le silence, mais devait déposer selon sa conscience, etc. Ivan écoutait, les yeux vagues. Tout à coup, un sourire se dessina sur son visage, et lorsque le président, qui le regardait avec étonnement, eut fini, il éclata de rire.

« Et puis, quoi encore ? demanda-t-il à haute voix.

Silence absolu dans la salle. Le président s’inquiéta.

« Vous… êtes encore indisposé, peut-être ? demanda-t-il en cherchant du regard l’huissier.

— Ne vous inquiétez pas, Excellence, je me sens suffisamment bien et puis vous raconter quelque chose de curieux, répondit Ivan d’un ton calme et déférent.

— Vous avez une communication particulière à faire ? » continua le président avec une certaine méfiance.

Ivan Fiodorovitch baissa la tête et attendit durant quelques secondes avant de répondre.

« Non… je n’ai rien à dire de particulier. »

Interrogé, il fit à contrecœur des réponses laconiques, pourtant assez raisonnables, avec une répulsion croissante. Il allégua son ignorance sur bien des choses et ne savait rien des comptes de son père avec Dmitri Fiodorovitch. « Je ne m’occupais pas de cela », déclara-t-il. Il avait entendu les menaces de l’accusé contre son père et connaissait l’existence de l’enveloppe par Smerdiakov.

« Toujours la même chose ! interrompit-il soudain d’un air las ; je ne puis rien dire au tribunal.

— Je vois que vous êtes encore souffrant, et je comprends vos sentiments… », commença le président.

Il allait demander au procureur et à l’avocat s’ils avaient des questions à poser, lorsque Ivan dit d’une voix exténuée :

« Permettez-moi de me retirer, Excellence, je ne me sens pas bien. »

Après quoi, sans attendre l’autorisation, il se retourna et marcha vers la sortie. Mais après quelques pas il s’arrêta, parut réfléchir, sourit et revint à sa place :

« Je ressemble, Excellence, à cette jeune paysanne, vous savez : « Si je veux j’irai, si je ne veux pas, je n’irai pas ! » On la suit pour l’habiller et la conduire à l’autel, et elle répète ces paroles… Cela se trouve dans une scène populaire…

— Qu’entendez-vous par là ? dit sévèrement le président.

— Voilà, dit Ivan en exhibant une liasse de billets de banque, voilà l’argent… le même qui était dans cette enveloppe (il désignait les pièces à conviction), et pour lequel on a tué mon père. Où faut-il le déposer ! Monsieur l’huissier, veuillez le remettre à qui de droit. »

L’huissier prit la liasse et la remit au président.

« Comment cet argent se trouve-t-il en votre possession… si c’est bien le même ? demanda le président surpris.

— Je l’ai reçu de Smerdiakov, de l’assassin, hier… J’ai été chez lui avant qu’il se pendît. C’est lui qui a tué mon père, ce n’est pas mon frère. Il a tué et je l’y ai incité… Qui ne désire pas la mort de son père ?

— Avez-vous votre raison ? ne put s’empêcher de dire le président.

— Mais oui, j’ai ma raison… Une raison vile comme la vôtre, comme celle de tous ces… museaux ! — Il se tourna vers le public. — Ils ont tué leurs pères et simulent la terreur, dit-il avec mépris en grinçant des dents. Ils font des grimaces entre eux. Les menteurs ! Tous désirent la mort de leurs pères. Un reptile dévore l’autre… S’il n’y avait pas de parricide, ils se fâcheraient et s’en iraient furieux. C’est un spectacle ! Panem et circenses ! D’ailleurs, je suis joli, moi aussi ! Avez-vous de l’eau, donnez-moi à boire, au nom du ciel ! »

Il se prit la tête. L’huissier s’approcha de lui aussitôt. Aliocha se dressa en criant : « Il est malade, ne le croyez pas, il a la fièvre chaude ! » Catherine Ivanovna s’était levée précipitamment et, immobile d’effroi, considérait Ivan Fiodorovitch. Mitia, avec un sourire qui grimaçait, écoutait avidement son frère.

« Rassurez-vous, je ne suis pas fou, je suis seulement un assassin ! reprit Ivan. On ne peut exiger d’un assassin qu’il soit éloquent », ajouta-t-il en souriant.

Le procureur, visiblement agité, se pencha vers le président. Les juges chuchotaient. Fétioukovitch dressa l’oreille. La salle attendait, anxieuse. Le président parut se ressaisir.

« Témoin, vous tenez un langage incompréhensible et qu’on ne peut tolérer ici. Calmez-vous et parlez… si vous avez vraiment quelque chose à dire. Par quoi pouvez-vous confirmer un tel aveu… s’il ne résulte pas du délire ?

— Le fait est que je n’ai pas de témoins. Ce chien de Smerdiakov ne vous enverra pas de l’autre monde sa déposition… dans une enveloppe. Vous voudriez toujours des enveloppes, c’est assez d’une. Je n’ai pas de témoins… Sauf un, peut-être. »

Il sourit d’un air pensif.

« Qui est votre témoin ?

— Il a une queue, Excellence, ce n’est pas conforme à la règle ! Le diable n’existe point ![1] Ne faites pas attention, c’est un diablotin sans importance, ajouta-t-il confidentiellement en cessant de rire ; il doit être quelque part ici, sous la table des pièces à conviction : où serait-il, sinon là ? Écoutez-moi ; je lui ai dit : « Je ne veux pas me taire », et il me parle de cataclysme géologique… et autres bêtises ! Mettez le monstre en liberté… il a chanté son hymne, car il a le cœur léger ! Comme une canaille ivre qui braille : Pour Piter est parti Vanka. Moi, pour deux secondes de joie, je donnerais un quatrillion de quatrillions. Vous ne me connaissez pas ! Oh ! que tout est bête parmi vous ! Eh bien ! Prenez-moi à sa place ! Je ne suis pas venu pour rien… Pourquoi tout ce qui existe est-il si bête ? »

Et il se remit à inspecter lentement la salle d’un air rêveur. L’émoi était général. Aliocha courait vers lui, mais l’huissier avait déjà saisi Ivan Fiodorovitch par le bras.

« Qu’est-ce encore ? » s’écria-t-il en fixant l’huissier.

Tout à coup il le saisit par les épaules et le renversa. Les gardes accoururent, on l’appréhenda, il se mit à hurler comme un forcené. Tandis qu’on l’emportait il criait des paroles incohérentes.

Ce fut un beau tumulte. Je ne me rappelle pas tout dans l’ordre, l’émotion m’empêchait de bien observer. Je sais seulement qu’une fois le calme rétabli l’huissier fut réprimandé, bien qu’il expliquât aux autorités que le témoin avait tout le temps paru dans son état normal, que le médecin l’avait examiné lors de sa légère indisposition, une heure auparavant ; jusqu’au moment de comparaître, il s’exprimait sensément, de sorte qu’on ne pouvait rien prévoir ; il insistait lui-même pour être entendu. Mais avant que l’émotion fût apaisée, une nouvelle scène se produisit ; Catherine Ivanovna eut une crise de nerfs. Elle gémissait et sanglotait bruyamment sans vouloir s’en aller, elle se débattait, suppliant qu’on la laissât dans la salle. Tout à coup, elle cria au président :

« J’ai encore quelque chose à dire, tout de suite… tout de suite !… Voici un papier, une lettre… prenez, lisez vite ! C’est la lettre du monstre que voici ! dit-elle en désignant Mitia. C’est lui qui a tué son père, vous allez voir, il m’écrit comment il le tuera ! L’autre est malade, il a la fièvre chaude depuis trois jours ! »

L’huissier prit le papier et le remit au président, Catherine Ivanovna retomba sur sa chaise, cacha son visage, se mit à sangloter sans bruit, étouffant ses moindres gémissements, de peur qu’on ne la fît sortir. Le papier en question était la lettre écrite par Mitia au cabaret « À la Capitale », qu’Ivan considérait comme une preuve catégorique. Hélas ! ce fut l’effet qu’elle produisit ; sans cette lettre, Mitia n’aurait peut-être pas été condamné, du moins pas si rigoureusement ! Encore un coup, il était difficile de suivre les détails. Même à présent, tout cela m’apparaît dans un brouhaha. Le président fit sans doute part de ce nouveau document aux parties et au jury. Comme il demandait à Catherine Ivanovna si elle était remise, elle répondit vivement :

« Je suis prête ! Je suis tout à fait en état de vous répondre. »

Elle craignait encore qu’on ne l’écoutât point. On la pria d’expliquer en détail dans quelles circonstances elle avait reçu cette lettre.

« Je l’ai reçue la veille du crime, elle venait du cabaret, écrite sur une facture, regardez, cria-t-elle, haletante. Il me haïssait alors, ayant eu la bassesse de suivre cette créature… et aussi parce qu’il me devait ces trois mille roubles. Sa vilenie et cette dette lui faisaient honte. Voici ce qui s’est passé, je vous supplie de m’écouter ; trois semaines avant de tuer son père, il vint chez moi un matin. Je savais qu’il avait besoin d’argent et pourquoi, précisément pour séduire cette créature et l’emmener avec lui. Je connaissais sa trahison, son intention de m’abandonner, et je lui remis moi-même cet argent, sous prétexte de l’envoyer à ma sœur à Moscou. En même temps, je le regardai en face et lui dis qu’il pouvait l’envoyer quand il voudrait, « même dans un mois ». Comment n’a-t-il pas compris que cela signifiait : il te faut de l’argent pour me trahir, en voici, c’est moi qui te le donne ; prends si tu en as le courage ! Je voulais le confondre. Eh bien, il a pris cet argent, il l’a emporté et gaspillé en une nuit avec cette créature. Pourtant, il avait compris que je savais tout, je vous assure, et que je le lui donnais uniquement pour l’éprouver, pour voir s’il aurait l’infamie de l’accepter. Nos regards se croisaient, il a tout compris et il est parti avec mon argent !

— C’est vrai, Katia, s’écria Mitia, j’avais compris ton intention, pourtant j’ai accepté ton argent. Méprisez tous un misérable, je l’ai mérité !

— Accusé, dit le président, encore un mot et je vous fais sortir de la salle.

— Cet argent l’a tracassé, reprit Katia avec précipitation, il voulait me le rendre, mais il lui en fallait pour cette créature. Voilà pourquoi il a tué son père, mais il ne m’a rien rendu, il est parti avec elle dans ce village où on l’a arrêté. C’est là qu’il a de nouveau fait la fête, avec l’argent volé. Un jour avant le crime, il m’a écrit cette lettre étant ivre — je l’ai deviné aussitôt — sous l’empire de la colère, et persuadé que je ne la montrerais à personne, même s’il assassinait. Sinon, il ne l’aurait pas écrite. Il savait que je ne voulais pas le perdre par vengeance ! Mais lisez, lisez avec attention, je vous en prie, vous verrez qu’il décrit tout à l’avance ; comment il tuera son père, où est caché l’argent. Notez surtout cette phrase : « Je tuerai dès qu’Ivan sera parti. » Par conséquent, il a prémédité son crime, insinua perfidement Catherine Ivanovna. — On voyait qu’elle avait étudié chaque détail de cette lettre fatale. — À jeun, il ne m’aurait pas écrit, mais voyez, cette lettre constitue un programme ! »

Dans son exaltation, elle faisait fi des conséquences possibles, bien qu’elle les eût envisagées peut-être un mois auparavant, quand elle se demandait, tremblante de colère : « Faut-il lire ceci au tribunal ? » Maintenant, elle avait brûlé ses vaisseaux. C’est alors que le greffier donna lecture de la lettre, qui produisit une impression accablante. On demanda à Mitia s’il la reconnaissait.

« Oui, oui ! et je ne l’aurais pas écrite si je n’avais pas bu !… Nous nous haïssons pour bien des causes, Katia, mais je te jure que malgré ma haine, je t’aimais et que tu ne m’aimais pas ! »

Il retomba sur son banc en se tordant les mains.

Le procureur et l’avocat demandèrent à tour de rôle à Catherine Ivanovna pour quels motifs elle avait d’abord dissimulé ce document et déposé dans un tout autre esprit.

« Oui, j’ai menti tout à l’heure, contre mon honneur et ma conscience, mais je voulais le sauver, précisément parce qu’il me haïssait et me méprisait. Oh ! il me méprisait, il m’a toujours méprisée, dès l’instant où je l’ai salué jusqu’à terre à cause de cet argent. Je l’ai senti aussitôt, mais je fus longtemps sans le croire. Que de fois j’ai lu dans ses yeux : « Tu es pourtant venue toi-même chez moi. » Oh ! il n’avait rien compris, il n’a pas deviné pourquoi j’étais venue, il ne peut soupçonner que la bassesse ! Il juge tous les autres d’après lui, dit avec fureur Katia au comble de l’exaltation. Il voulait m’épouser seulement pour mon héritage, rien que pour cela, je m’en suis toujours doutée. C’est un fauve ! Il était sûr que toute ma vie je tremblerais de honte devant lui, et qu’il pourrait me mépriser et avoir le dessus, voilà pourquoi il voulait m’épouser ! C’est la vérité ! J’ai essayé de le vaincre par un amour infini, je voulais même oublier sa trahison, mais il n’a rien compris, rien, rien ! Peut-il comprendre quelque chose ? C’est un monstre ! Je n’ai reçu cette lettre que le lendemain soir, on me l’a apportée du cabaret, et le matin encore j’étais décidée à lui pardonner tout, même sa trahison ! »

Le procureur et le président la calmèrent de leur mieux. Je suis sûr qu’eux-mêmes avaient peut-être honte de profiter de son exaltation pour recueillir de tels aveux. On les entendit lui dire : « Nous comprenons votre peine, nous sommes capables de compatir », etc., pourtant, ils arrachaient cette déposition à une femme affolée, en proie à une crise de nerfs. Enfin, avec une lucidité extraordinaire, comme il arrive fréquemment en pareil cas, elle décrivit comment s’était détraquée, dans ces deux mois, la raison d’Ivan Fiodorovitch, obsédé par l’idée de sauver « le monstre et l’assassin », son frère.

« Il se tourmentait, s’exclama-t-elle, il voulait atténuer la faute, en m’avouant que lui-même n’aimait pas son père et avait peut-être désiré sa mort. Oh ! C’est une conscience d’élite, voilà la cause de ses souffrances ! Il n’avait pas de secrets pour moi, il venait me voir tous les jours comme sa seule amie. J’ai l’honneur d’être sa seule amie ! dit-elle d’un ton de défi, les yeux brillants. Il est allé deux fois chez Smerdiakov. Un jour, il vint me dire : « Si ce n’est pas mon frère qui a tué, si c’est Smerdiakov (car on a répandu cette légende), peut-être suis-je aussi coupable, car Smerdiakov savait que je n’aimais pas mon père et pensait peut-être que je désirais sa mort ? » C’est alors que je lui ai montré cette lettre ; il fut définitivement convaincu de la culpabilité de son frère, il était atterré ; il ne pouvait supporter l’idée que son propre frère fût un parricide ! Depuis une semaine, ça le rend malade. Ces derniers jours, il avait le délire, j’ai constaté que sa raison se troublait. On l’a entendu divaguer dans les rues. Le médecin que j’ai fait venir de Moscou l’a examiné avant-hier et m’a dit que la fièvre chaude allait se déclarer, et tout cela à cause du monstre ! Hier, il a appris la mort de Smerdiakov ; ça lui a porté le dernier coup. Tout cela à cause de ce monstre, et afin de le sauver ! »

Assurément, on ne peut parler ainsi et faire de tels aveux qu’une fois dans la vie, à ses derniers moments, par exemple, en montant à l’échafaud. Mais cela convenait précisément au caractère de Katia. C’était bien la même jeune fille impétueuse qui avait couru chez un jeune libertin pour sauver son père ; la même qui, tout à l’heure, fière et chaste, avait publiquement sacrifié sa pudeur virginale en racontant « la noble action de Mitia », dans le seul dessein d’adoucir le sort qui l’attendait. Et maintenant elle se sacrifiait tout de même, mais pour un autre, ayant peut-être, à cet instant seulement, senti pour la première fois combien cet autre lui était cher. Elle se sacrifiait pour lui dans son effroi, s’imaginant soudain qu’il se perdait par sa déposition, qu’il avait tué au lieu de son frère, elle se sacrifiait afin de le sauver, lui et sa réputation. Une question angoissante se posait : avait-elle calomnié Mitia au sujet de leurs anciennes relations ? Non, elle ne mentait pas sciemment, en criant que Mitia la méprisait pour ce salut jusqu’à terre ! Elle le croyait, elle était profondément convaincue, depuis ce salut peut-être, que le naïf Mitia, qui l’adorait encore à ce moment, se moquait d’elle et la méprisait. Et seulement par fierté, elle s’était prise pour lui d’un amour outré, par fierté blessée, et cet amour ressemblait à une vengeance. Peut-être cet amour outré serait-il devenu un amour véritable, peut-être Katia ne demandait-elle pas mieux, mais Mitia l’avait offensée jusqu’au fond de l’âme par sa trahison, et cette âme ne pardonnait pas. L’heure de la vengeance avait sonné brusquement, et toute la rancune douloureuse accumulée dans le cœur de la femme offensée s’était exhalée d’un seul coup. En livrant Mitia, elle se livrait elle-même. Dès qu’elle eut achevé, ses nerfs la trahirent, la honte l’envahit. Elle eut une nouvelle crise de nerfs, il fallut l’emporter. À ce moment, Grouchegnka s’élança en criant vers Mitia, si rapidement qu’on n’eut pas le temps de la retenir.

« Mitia, cette vipère t’a perdu ! Vous l’avez vue à l’œuvre ! » ajouta-t-elle frémissante, en s’adressant aux juges.

Sur un signe du président, on la saisit et on l’emmena. Elle se débattait en tendant les bras à Mitia. Celui-ci poussa un cri, voulut s’élancer vers elle. On le maîtrisa sans peine.

Je pense que les spectatrices demeurèrent satisfaites, le spectacle en valait la peine. Le médecin de Moscou, que le président avait envoyé chercher pour soigner Ivan, vint faire son rapport. Il déclara que le malade traversait une crise des plus dangereuses, qu’on devait l’emmener immédiatement. L’avant-veille, le patient était venu le consulter, mais avait refusé de se soigner, malgré la gravité de son état. « Il m’avoua qu’il avait des hallucinations, qu’il rencontrait des morts dans la rue, que Satan lui rendait visite tous les soirs », conclut le fameux spécialiste.

La lettre de Catherine Ivanovna fut ajoutée aux pièces à conviction. La cour, en ayant délibéré, décida de poursuivre les débats et de mentionner au procès-verbal les dépositions inattendues de Catherine Ivanovna et d’Ivan Fiodorovitch.

Les dépositions des derniers témoins ne firent que confirmer les précédentes, mais avec certains détails caractéristiques. D’ailleurs, le réquisitoire, auquel nous arrivons, les résume toutes. Les derniers incidents avaient surexcité les esprits ; on attendait avec une impatience fiévreuse les discours et le verdict. Les révélations de Catherine Ivanovna avaient atterré Fétioukovitch. En revanche, le procureur triomphait. Il y eut une suspension d’audience qui dura environ une heure. À huit heures précises, je crois, le procureur commença son réquisitoire.

  1. En français dans le texte.